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Pilatus, l’avion suisse qui crée des remous

Pilatus Aircraft Ltd

Depuis 30 ans, le Pilatus PC-7 fabriqué en Suisse n'en finit pas de susciter la polémique. Cet avion d'entraînement, qui peut être armé après coup, a été livré à des pays en conflit malgré la loi sur le matériel de guerre. L'affaire Pilatus fait le point.

«Les avions Pilatus ne doivent pas être assimilés à du matériel de guerre.» Par 112 voix contre 64, le Conseil National (Chambre basse du Parlement) a refusé au début décembre 2008 de donner suite à une initiative parlementaire des Verts visant à interdire l’exportation dans des zones de conflit de cet appareil «made in Switzerland».

Avion d’entraînement à hélice aux réactions comparables à celles d’un jet, le Pilatus PC-7 peut être modifié en «bombardier du pauvre», comme cela a été le cas dans des zones de conflits au Guatemala, en Birmanie, en Angola, voire entre l’Iran et l’Irak ou plus récemment au Tchad.

Contre les rebelles au Darfour

En 2006, la Suisse a autorisé la vente d’un PC-9 (modèle amélioré du PC-7 Turbo-Trainer) à N’Djamena, un appareil qui a été armé par la suite et utilisé pour bombarder des camps de rebelles au Darfour.

Pour les partis de droite, Pilatus ne peut être tenu pour responsables des modifications apportées à ses avions à l’étranger. Les nouvelles mesures proposées par le gouvernement suffisent à éviter les abus, estime le Conseil fédéral (gouvernement) qui veut se donner lui-même la compétence d’interdire l’exportation de certains «biens sensibles».

Au cœur d’une polémique qui dure depuis trente ans, le Pilatus PC-7 est un avion fabriqué à Stans (Nidwald), en Suisse centrale, depuis 1976. «Avant même qu’il ne soit sorti d’usine, le fabricant avait signé des contrats pour la vente de cet appareil alors à la pointe du développement technologique», rappelle Jean-Marie Pellaux.

Secret bien gardé

Cet universitaire a choisi L’affaire Pilatus comme mémoire de licence en histoire contemporaine de l’Université de Fribourg. Entre 1976 et 1978, il recense trente Pilatus Turbo-Trainer qui trouvent preneur en Birmanie, en Bolivie et au Mexique.

La possibilité de transformer l’appareil en engin de guerre est encore un secret bien gardé, alors que d’autres contrats sont en discussion avec l’Irak et le Maroc. C’est en 1978 que le journaliste Ariel Herbez du magazine contestataire Tout Va Bien Hebdo lance le pavé dans la mare: «les PC-7 ont six points renforcés dans les ailes et l’on prévoit que leur rôle principal sera la lutte antiguérilla.»

Pendant des années, les autorités suisses vont affirmer qu’il est impossible d’armer ces avions d’entraînement et de les utiliser à des fins militaires: les points d’ancrage situés sous les ailes sont là pour leur permettre «de prendre des charges supplémentaires comme des réservoirs, du foin pour les animaux en détresse en montagne ou des appareils de sauvetage», assure le chef de la division juridique du Département militaire fédéral.

Après d’autres révélations du quotidien Tribune-Le Matin sur les transformations effectuées en Belgique par la Fabrique Nationale Herstal, les mêmes fonctionnaires continueront de défendre leur thèse: «Si les Belges transforment un avion civil suisse en avion militaire, c’est leur affaire».

Neutralité en cause

Il faudra la découverte en 1984 par le journaliste Roger de Diesbach d’un prospectus de Pilatus lui-même dans lequel l’entreprise recommande à ses clients, photos explicites à l’appui, les armements à installer sur le PC-7 pour que le débat soit relancé. Un groupe d’étude est constitué à Berne, tandis que les œuvres d’entraide et les mouvements pacifistes prennent le relais.

Le débat prend une dimension idéologique et diplomatique. Saoudiens et Irakiens réagissent à l’annonce (par la presse) de livraisons de PC-7 à Téhéran, tandis que les Turcs protestent contre les escales faites sur leur sol par les pilotes suisses qui livrent les avions en Iran. Pékin s’inquiète en apprenant que Taïwan négocie avec Pilatus et la livraison d’une cinquantaine de PC-7 à l’Afrique du sud suscite l’ire des mouvements anti-apartheid.

La neutralité suisse bat de l’aile, mais Berne va s’en tenir à sa politique pour des raisons à la fois stratégique, idéologique et commerciale: ne pas mettre les bâtons dans les roues d’un des fleurons de l’industrie helvétique.

«Finalement c’est une poignée de journalistes qui vont le plus gêner le Conseil fédéral dans sa volonté de maintenir la pratique. En révélant la vraie nature des PC-7, ils ont obligé les autorités fédérales à justifier régulièrement leur politique. Ils les ont placées face à leurs contradictions et ont permis au débat de s’engager», conclut l’auteur de L’affaire Pilatus.

swissinfo, Olivier Grivat

L’affaire Pilatus, les milieux engagés et la Suisse officielle face aux exportations d’armes (1978-1985), par Jean-Marie Pellaux, Université de Fribourg.

Selon les revues spécialisées Flight et AviationWeek and Space Technology citées par l’auteur, les principales flottes de Pilatus PC-7, PC-9 et son équivalent américain le Raytheon T-6 et AT-6A (actuellement en phase de développement), ainsi que le tout nouveau PC-21 de Pilatus équipent les forces aériennes des pays suivants:

US Air Force (entre 234 et 255 appareils + 75 en commande), US Navy (entre 49 et 57 appareils +287 en commande), Mexique (69 avions d’entraînement et 15 avions de combat + 16 commandés), Australie (63), Afrique du Sud (entre 55 et 58), Suisse (37 PC-7, 11 PC-9 et 6 PC-21 ou 54 en tout), Malaisie (entre 33 et 52 + 10 commandés), Arabie saoudite (entre 45 et 48), Grèce (45), Iran (entre 20 et 35), Emirats arabes unis (30), Canada (26), Thaïlande (24), Birmanie-Myanmar (entre 22 et 26), Croatie (17 + 3 d’occasion), Singapour (19), Autriche (16), Oman (entre 12 et 18), Pays-Bas (13), Slovénie (entre 2 et 11), Bolivie (10), Irlande (8), Botswana, Bulgarie, Chili, Uruguay (6), Guatemala (5), Brunei (4), Slovénie et Tchad (2), Chypre (1).

La flotte de 52 PC-7 acquise par l’Irak en 1979 a été entièrement détruite.

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