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Bouleversements au gouvernement

Dans la salle où siège le Conseil fédéral, la répartition des ministères a été difficile. Keystone

Le gouvernement suisse a été chamboulé lundi lors de la répartition des ministères. Quatre départements sur sept changent de main. Une rocade qui marque une rupture par rapport aux années précédentes. Analyse avec Michael Hermann, politologue de l’Université de Zurich.

A une année des élections fédérales, une telle rocade est une surprise. Quatre départements sur sept sont redistribués. Un bouleversement que le gouvernement n’avait plus connu depuis 2002, où trois ministères avaient changé de tête. D’ailleurs, la répartition des départements ne s’est pas faite sans heurts: faute de consensus, le gouvernement a dû procéder à une votation.

Contrairement à l’habitude, les nouveaux élus, la socialiste Simonetta Sommaruga et le libéral-radical (PLR/centre droit) Johann Schneider- Ammann n’ont pas hérité des départements des deux ministres sortants Moritz Leuenberger et Hans-Rudolf Merz. Respectivement responsables du département fédéral de l’Environnement, des Transports, de l’Energie et de la Communication (DETEC) et du département fédéral des Finances (DFF).

Alors que le premier ministère, département «mammouth», est octroyé à la présidente de la Confédération, la démocrate-chrétienne (PDC/ centre) Doris Leuthard, le second est remis à la ministre du Parti bourgeois-démocratique (PBD/ centre droit), Eveline Widmer-Schlumpf.

Ainsi, Doris Leuthard laisse le département fédéral de l’Economie (DFE) au libéral-radical, capitaine d’industrie Johann Schneider-Ammann. Et Eveline Widmer-Schlumpf cède le département fédéral de Justice et Police (DFJP), à la socialiste Simonetta Sommaruga. Un défi pour le Parti socialiste, qui n’a jamais dirigé ce ministère.

Analyse de cette nouvelle distribution, qui donne l’avantage aux partis du centre, avec le politologue Michael Hermann.

swissinfo.ch: Quelles sont les raisons d’un tel remaniement ministériel?

Michael Hermann: La démission simultanée des deux ministres Hans-Rudolf Merz et Moritz Leuenberger a ouvert une porte au changement. D’autant plus que plusieurs ministres du gouvernement désiraient changer de département. D’une part, Doris Leuthard souhaitait quitter le ministère de l’Economie pour celui des Transports et de l’Environnement. D’autre part, Eveline Widmer-Schlumpf était déjà à la tête du ministère des Finances dans le canton des Grisons, tout en assumant également la présidence de la Conférence des directeurs cantonaux des finances.

On peut clairement observer que les partis du centre, le Parti libéral-radical, le Parti démocrate-chrétien et le Parti bourgeois-démocratique représentent une majorité au gouvernement. Il peuvent ainsi faire pression pour mettre en avant leurs aspirations.

Les perdants sont la gauche et la droite. Avant tout la gauche. Le Parti socialiste a toujours eu un des ministères-clé. L’Intérieur, les Finances ou les Transports et l’Environnement. Des ministères importants pour permettre au Parti socialiste de se distinguer de la droite.

C’est également étrange que Simonetta Sommaruga, qui n’est pas une juriste, soit placée à la tête du ministère de la Justice. La règle était que ce ministère soit toujours dirigé par un ou une juriste.

swissinfo.ch: Selon vous, est-ce que Simonetta Sommaruga est apte à diriger le ministère de la Justice?

M.H.: Elle n’est pas heureuse de cette décision, mais elle remplira ses fonctions. Le centre a dicté les distributions, c’est un signal politique. Normalement la répartition ne se passe pas de cette façon. Habituellement, les décisions sont prises collectivement, grâce au consensus, il n’y a pas besoin d’effectuer un vote. Le vote est très rare et montre qu’il existait des désaccords.

swissinfo.ch: Les élections fédérales de 2011 ont-elles joué un rôle dans cette rocade au gouvernement?

M.H.: Non, je ne pense pas. Ce n’est pas les partis qui décident de la répartition des ministères. En l’occurrence, c’est, avec Johann Schneider-Ammann, qui désirait le ministère de l’Economie, les trois ministres qui représentent le centre. Mais je ne pense pas qu’ils ont agi en prévision des élections de l’année prochaine.

swissinfo.ch: En quoi cette redistribution va-t-elle influer sur le travail du gouvernement?

M.H.: Je ne pense pas que la dynamique de groupe sera affectée. Simonetta Sommaruga est déçue, mais elle reste très professionnelle et elle est le genre de personne qui recherche le compromis. Cette répartition n’affectera donc pas le climat du gouvernement sur le long terme.

Si vous êtes fraîchement élu au gouvernement, vous devez accepter le fait que vous ne pouvez choisir votre département. La tradition veut que les ministres les plus anciens soient prioritaires quant au choix des ministères.

swissinfo.ch: Est-ce que le déplacement d’Eveline Widmer-Schlumpf à la tête du ministère des Finances va affecter ses chances d’être réélue l’année prochaine?

M.H.: Je pense qu’Eveline Widmer-Schlumpf a réduit ses chances d’être réélue. Désormais, elle a offensé la gauche, car si elle n’avait pas changé de department, le ministère des Finances aurait été ouvert à la gauche. Et ce ministère est plus intéressant pour le Parti socialiste que celui de Justice et Police. Il y a parfois des alliances impies entre la gauche et la droite. Avec ce changement, Eveline Widmer-Schlumpf a augmenté les chances qu’un telle alliance lui barre la route à quatre ans supplémentaires au gouvernement.

Département fédéral des affaires étrangères(DFAE): Micheline Calmy-Rey
Suppléance: Didier Burkhalter

Département fédéral de l’Intérieur (DFI): Didier Burkhalter
Suppléance: Simonetta Sommaruga

Département fédéral de Justice et Police (DFJP): Simonetta Sommaruga
Suppléance: Eveline Widmer-Schlumpf

Département fédéral de la Défense, de la Protection de la population et des Sports (DDPS): Ueli Maurer
Suppléance: Johann Schneider-Ammann

Département fédéral des Finances (DFF): Eveline Widmer-Schlumpf
Suppléance: Micheline Calmy-Rey

Département fédéral de l’Economie (DFE): Johann Schneider-Ammann
Suppléance: Doris Leuthard, présidente de la Confédération

Département fédéral de l’Environnement, des Transports, de l’Energie et de la Communication (DETEC): Doris Leuthard, présidente de la Confédération
Suppléance: Ueli Maurer

Pour le Parti libéral-radical (PLR/centre droit), la nouvelle répartition est optimale. «Johann Schneider-Ammann était la personne la mieux indiquée pour reprendre le département de l’Economie. Une département-clé pour l’avenir du pays.»

Pour l’Union démocratique du centre (UDC/droite conservatrice) la répartition constitue «un coup de force dont l’unique but est de sauver le pouvoir des partis du centre». Une manœuvre, «irresponsable à un an de la fin de législature».

Le Parti socialiste est très mécontent de la répartition. Pour son président Christian Levrat, elle constitue un «diktat des partis bourgeois pour marginaliser Simonetta Sommaruga, par peur de sa popularité.»

Le Parti bourgeois démocratique (PBD/centre droit) nie des calculs quant aux élections fédérales de 2011. Le président du parti Hans Grunder estime que les ministères ont été attribués en fonction des «compétences et
de l’expérience» des conseillers fédéraux.

Le Parti démocrate-chrétien (PDC/centre), affirme également par le biais de son président Christophe Darbellay que la question de la répartition des départements a été abordée par le PLR, le PDC et le PBD lors d’entretiens. Mais qu’aucun marché n’a été scellé.

Les Verts critiquent une répartition «incompréhensible.» Selon eux, ces
nombreux changements n’aident pas à apporter de la stabilité au gouvernement.

(Traduction et adaptation de l’anglais: Laureline Duvillard)

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