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Des ventes d’armes militaires très controversées

Un fusil d'assaut à la cave: une image courante en Suisse. Keystone

A la fin de son service obligatoire, le soldat suisse peut garder – gratuitement – son arme. Une lacune juridique lui permet ensuite de la revendre.

La révision de la loi en cours prévoit des règles plus strictes. Mais le marché est déjà envahi de fusils et de pistolets d’ordonnance à prix réduit.

Un homme, un soldat. Le principe de milice pour le service militaire n’est pas une exception suisse. En revanche, ce qui distingue les Helvètes, c’est un détail. Un détail qui se trouve traditionnellement à la cave ou dans une armoire.

Durant ses années de service – obligatoire – à la patrie, le Suisse garde ses affaires militaires à la maison. Son uniforme, sa gamelle et… son fusil. Et, lorsqu’il a terminé, il peut garder le tout: cadeau de l’armée.

Pour cela, il doit juste remplir quelques conditions et un formulaire. Théoriquement, le citoyen qui veut garder son arme doit faire partie d’un club de tir.

En réalité, il suffit d’avoir accompli une seule fois le tir fédéral en campagne, en plus des tirs obligatoires (partie intégrante du service militaire), au cours des trois ans qui précèdent la demande.

Le soldat retraité recevra alors un fusil, qui sera toutefois modifié pour empêcher le tir en rafales.

Une faille dans la loi



Selon une enquête de la caserne centrale de Zurich, 57% des Suisses qui ont terminé leur service militaire gardent leur fusil. Et plus de 75% conservent leur pistolet.

En trois ans seulement, 150’000 fusils d’assaut et pistolets sont devenus la propriété privée de simples citoyens. Au total, la statistique officielle parle de 324’484 armes.

Un permis de port d’arme n’est même pas nécessaire, dénoncent certaines voix. D’ailleurs, la loi, révisée en 1999, ne tient pas compte de cet aspect.

Le porte-parole de l’Office fédéral de la police Guido Balmer confirme laconiquement: «L’article 2 de la loi exclut explicitement l’armée de toutes les limitations sur le port d’arme».

Ainsi, les armes offertes par la défense nationale peuvent appartenir aux citoyens, se vendre et se revendre sans limite.

Armes à vendre



Un sondage du Tages Anzeiger confirme qu’une bonne partie de ces nouveaux ‘propriétaires’ souhaitent tirer profit de leur cadeau de fin de carrière militaire. Selon le quotidien zurichois, bon nombre de commerçants d’armes officiels reçoivent quotidiennement des offres de vente.

Peu recherchées par les collectionneurs, ces armes se négocient généralement à bas prix. «Les propriétaires parviennent-ils ensuite à revendre leurs armes? On ne le sait pas. En tous les cas, ce n’est pas illégal», avoue Guido Balmer.

Le porte-parole s’empresse d’ajouter que la réforme prévoit la création d’une banque de données qui enregistre tous les changements de propriété des armes à feu.

«Un instrument important notamment lorsqu’il s’agit de retrouver les traces d’une arme impliquée dans un délit», souligne le Ministère de la Justice.

Un cri d’alarme



Le Conseil suisse pour la paix, une organisation qui réunit de nombreux mouvements pacifistes, dénonce cette situation depuis longtemps déjà. «On peut aisément imaginer quel danger latent représente ces centaines de milliers d’armes lâchées sur le marché.»

Dans le projet de révision, on ne trouve aucune trace d’une quelconque limite sur la pratique de redistribution du matériel de l’armée, regrette encore l’organisation.

Selon elle, la création d’une banque de données n’est qu’un alibi pour permettre aux défenseurs de la libre diffusion des armes à feu de poursuivre leurs activités en toute légalité. Sont visés les marchands d’armes, mais aussi les clubs de tir et les chasseurs qui ont un important poids politique en Suisse.

Un certain laxisme

Depuis quelques années, les pacifistes mènent une campagne pour une limitation stricte des armes de petit calibre et attribuent la responsabilité du régime laxiste helvétique au lobby des armes.

Les analyses des experts affirment que la criminalité organisée n’utilise pas l’arsenal militaire, mais reconnaissent qu’ils ne peuvent pas non plus nier un possible abus.

Les cas d’homicide qui ont vu des citoyens perdrent leur sang froid ne manquent pas ces dernières années. Parmi les plus marquants: la fusillade au Parlement cantonal de Zoug.

Pour l’instant, la caserne de Zurich se contente de distribuer des contrats de vente types pour que les traces de l’arme ne disparaissent pas. Pour Guido Balmer, «une manière de responsabiliser les détenteurs de matériel militaire».

swissinfo, Daniele Papacella
(Traduction et adaptation de l’italien: Alexandra Richard)

324’484 fusils d’assaut et autres armes sont entre les mains d’anciens soldats de l’armée suisse.
En Suisse, 1,2 à 3 millions d’armes à feu sont en circulation.
On enregistre chaque jour 16 nouvelles armes pour 100 habitants.

– Il est plus facile d’acquérir une arme à feu en Suisse que dans les pays voisins.

– La moyenne des armes enregistrées en Suisse est proche de celle de la Belgique ou de l’Autriche, mais supérieure à celle de l’Italie ou de la Slovaquie.

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