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Kosovo: «Je vais gagner la confiance de mon peuple»

Behgjet Pacolli, ce 23 février, au premier jour de sa présidence. AFP

Elu mardi soir à la présidence du Kosovo, le milliardaire suisso-kosovar Behgjet Pacolli, 59 ans, a pris ses fonctions au Palais présidentiel du centre de Pristina. Mercredi, il effectuait déjà une «tournée de reconnaissance» en voiture dans son pays lorsque swissinfo l'a contacté.

Behjet Pacolli (prononcer Patsolli… il y tient!) est un homme comblé. Elu – de justesse et au troisième tour de scrutin – président de la République du Kosovo, sa terre natale, il se dit «prêt à travailler durement pour  assurer le bien-être» à son pays et «en faire une nation moderne et multiethnique» qui sache tirer un trait définitif sur les atrocités de la guerre.

L’entrepreneur, qui vivait à Lugano, au Tessin, restera en place pendant cinq ans. Une tâche ardue l’attend, «gagner la confiance de mon peuple et dissiper la méfiance des médias kosovars à mon égard»,  dit-il.

swissinfo.ch: Monsieur le Président, quelles seront vos priorités à la tête de ce pays  que vous aviez quitté tout jeune, et où vous êtes revenu comme parlementaire en 2007?

Behgjet Pacolli: Je vais principalement me consacrer à nos relations avec le reste du monde et entreprendre une série de voyages à l’étranger. A ce jour, 75 pays ont reconnu la République du Kosovo, je souhaite que d’ici la fin de l’année, ce nombre grimpe à 100. Je vais travailler durement pour faire du Kosovo une nation développée à l’occidentale, un pays multiethnique, un peu à mon image… celle d’un homme cosmopolite, ouvert à d’autres réalités, d’autres cultures.

swissinfo.ch: Vous allez aussi renforcer les liens avec la Suisse, le pays dont vous avez acquis la nationalité et où vous vous êtes établi au milieu des années 80?

B. P.: Bien sûr. La Suisse est ma seconde patrie et, durant toutes ces années, je ne m’y suis jamais senti un étranger, j’y ai toujours été accepté.  Mes relations avec l’Ambassade de Suisse à Pristina et avec la Swisscoy sont d’ores et déjà excellentes.

Ma priorité est d’ouvrir un consulat honoraire à Lugano, ma ville d’adoption, que je souhaiterais jumeler avec Pristina. Je lance donc un appel au maire, Giorgio Giudici, pour lui demander de m’aider dans ce projet. Pristina aurait beaucoup à apprendre de l’organisation démocratique et fonctionnelle d’une ville comme Lugano et pourrait beaucoup offrir à Lugano en termes d’échanges culturels. Pristina est une ville universitaire, riche d’une jeunesse active et positive.

swissinfo.ch: Vous avez eu de la peine à passer la rampe du parlement lors de votre élection mardi soir. Saurez-vous gagner la confiance des Kosovars, faire oublier que vous avez vécu plus longtemps à l’étranger que dans votre terre natale?

B.P.: Les obstacles sont nombreux mais je les franchirai. Je veux que mes compatriotes oublient le passé, oublient les rancœurs nourries envers les Serbes, acceptent la multiethnicité. Ce sera difficile, j’en suis conscient mais avec la collaboration du Premier ministre et du gouvernement, j’y parviendrai. Une des membres de mon parti, Mimoza Kusari, âgée de 34 ans, a été nommée Vice-premier ministre et est en charge de l’Economie.

swissinfo.ch: Il y a une certaine méfiance envers vous, à cause de votre richesse accumulée à l’étranger, de votre rapide ascension au pouvoir… En êtes-vous conscient?

B. P.: Bien sûr et elle a aussi été alimentée par les médias de mon pays, dont certains ont orchestré une véritable campagne contre moi. Nul n’est prophète en son pays, comme le dit le proverbe, mais dans mon cas, j’ai essuyé de pesantes accusations, surtout pour avoir travaillé en Russie.

L’enquête qui avait été ouverte contre moi à la fin des années 1990 par le Ministère public de la Confédération dans le cadre du «Russiangate» (blanchiment d’argent de la famille Eltsin en Suisse) ne m’a pas aidé. J’en suis sorti totalement innocenté mais ma réputation est quand même restée tachée. Je prouverai aux sceptiques que je suis capable de présider ce pays!

swissinfo.ch: A propos d’accusations, que pensez-vous de celles lancées par Carla del Ponte d’abord, Dick Marty ensuite, contre le premier ministre Thaci, soupçonné de ne rien avoir entrepris pour stopper un trafic d’organes prélevés à des prisonniers serbes durant la guerre civile?

 

B. C.: Ces accusations n’ont aucun fondement, elles ne tiennent pas debout! Comment des opérations sophistiquées comme celles nécessaires à prélever des organes auraient pu être faites dans cette masure en pleine montagne que Dick Marty assure avoir été le centre de ce trafic? La guerre a produit de la douleur, des deux côtés, mais ces affirmations ne sont absolument pas crédibles! Ceci dit, nous avons demandé une enquête approfondie sur ce cas qui a suscité une polémique internationale et nous attendons, avec confiance, que la justice suive son cours.

 

swissinfo.ch: Des rives du lac de Lugano, à Melide, où vivent votre épouse et vos enfants, au cœur du pouvoir à Pristina, comment votre vie privée a-t-elle changé?

 

B. C.: Tout d’abord, je suis heureux d’annoncer que je suis devenu papa d’un petit Diar, né il y a trois semaines à Lugano. Avec Mascia, mon épouse, nous avons un autre garçon et une fille, et pour l’heure, ma famille restera au Tessin. J’ai une autre fille adolescente qui étudie actuellement à Zurich et une fille adulte qui vit en Autriche. Ma famille fera des allers et retours, et moi de même.

Au Tessin, ma femme s’occupe de notre fondation, tandis que j’ai cédé les rênes de mon entreprise de construction Mabetex et de l’hôtel Swiss Diamond de Morcote à mes frères.

Tessin. Behgjet Pacolli est né à  Marec (Kosovo) le 30 août 1951 dans une famille nombreuse. Au terme de sa scolarité, il se rend en Allemagne. Etudes d’économie et commerce. Après un bref retour au pays, il s’installe au Tessin, à Chiasso, puis à Lugano.

Mabetex. En 1990, il fonde le groupe Mabetex SA spécialisé en restructurations immobilières et entreprend la rénovation de nombreux édifices gouvernementaux (dont la Douma à Moscou). Aujourd’hui le groupe Mabetex compte 8000 employés répartis dans le monde entier.

Russiangate. Devenu Suisse, Behgjet Pacolli attire l’attention des médias non seulement pour sa carrière commerciales mais aussi pour avoir été soupçonné de blanchiment d’argent dans le cadre de l’enquête «Russiangate» ouverte en 1999 par le Ministère public de la Confédération. Behgjet Pacolli sort blanchi de ses accusations.

People. L’homme d’affaires milliardaire (sa fortune est estimée entre 1,6 et 3 milliards de francs) devient une célébrité en Italie après son mariage, en 1999 à Lugano, avec la chanteuse italienne d’origine albanaise Anna Oxa, une véritable star dans la Péninsule. L’union se soldera par un divorce en 2002. 

Second mariage. En 2004, Behgjet Pacolli se remarie avec Mascia, une Russe de 26 ans sa cadette dont il a trois enfants, le dernier né il y a trois semaines à Lugano.

Président. L’entrepreneur suisso-kosovar se lance dans la politique en 2007 et fonde son parti, l’Alliance pour un nouveau Kosovo, qui obtient huit sièges aux élections de décembre dernier. Suite à un accord avec le parti du premier ministre Hakim Thaci, le 22 février Behgjet Pacolli est élu président du Kosovo, au troisième tour. Il succède au démissionnaire Fatmir Sejdiu.

Environ 170’000 Kosovares vivent en Suisse. La Confédération reste le premier choix des candidats à l’exil.

Selon Ueli Leuenberger, proche de la diaspora kosovare en Suisse, cette dernière n’aurait jamais bénéficié du soutien de Behgjet Pacolli.

La principale cause d’émigration vers la Suisse est et reste le regroupement familial.

La Suisse est l’un des principaux bailleurs de fonds du Kosovo.

Depuis 1990, elle a injecté plus de 600 millions de francs pour la stabilité politique, économique et le développement de ce petit Etat des Balkans.

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