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L’agglomération genevoise, une réponse aux populismes

CERN

Après les législatives genevoises de dimanche marquées par le succès d'un mouvement anti-frontaliers, le maire de la ville française d'Annemasse appelle les élus des deux cotés de la frontière à mieux communiquer le projet d'agglomération franco-valdo-genevoise, et à le réaliser.

Avec son slogan «Frontaliers assez», le Mouvement Citoyens Genevois (MCG) s’est imposé comme la 2e force politique du canton dimanche dernier, à égalité avec les Verts.

Maire d’Annemasse, commune française de 30’000 habitants intégrés dans le tissu urbain de l’agglomération genevoise, le socialiste Christian Dupessey rappelle qu’un tiers des 60’000 frontaliers sont suisses et que le projet d’agglomération franco-valdo-genevoise doit justement permettre à chaque habitant de cet espace urbain de près d’un million d’habitants d’en profiter. Interview.

swissinfo.ch: Le succès du MCG vous a-t-il surpris?

Christian Dupessey: Les électeurs genevois se sont prononcés. Il faut donc prendre acte de ce choix et savoir en tirer les conséquences. La France n’a pas de leçons à donner dans ce domaine, puisqu’elle a aussi connu ce genre de dérive.

Ceci étant, le succès du MCG peut apparaître comme inquiétant, car il n’est pas basé sur des positions politiques d’avenir et des propositions que l’on partage ou non, mais sur des slogans populistes qui ciblent des boucs émissaires, en l’occurrence les frontaliers.

Face à ce mouvement qui rejette et exclut, nous avons plus de 75% des Genevois qui ont voté pour des formations qui veulent construire une grande région franco-valdo-genevoise où chacun doit pouvoir trouver sa place.

L’effet positif de cette campagne anti-frontaliers est d’avoir accru le sentiment d’appartenance à une même région. Depuis dimanche dernier, ma mairie a reçu des centaines de messages de soutien de la part des Genevois.

Si les élus du MCG veulent collaborer avec nous, ils sont les bienvenus.

swissinfo.ch: Ce résultat ne montre-t-il pas une certaine défiance à l’égard du projet d’agglomération franco-valdo-genevoise?

C. D.: Au contraire. La charte du projet d’agglomération contient les grands axes des réponses à toutes les questions que se posent ses habitants. Ce qui est regrettable, c’est que l’appropriation du contenu de ce projet par les citoyens ne soit pas plus importante. Jusqu’à maintenant, c’est un projet qui reste l’affaire des élus et des techniciens.

Tous les élus suisses et français qui portent ce projet ont comme première mission, aujourd’hui, d’expliquer le contenu de ce vaste chantier. Si nous sommes capables de le mettre en pratique, il devrait répondre aux attentes des gens, y compris les plus fragiles ou dubitatifs.

La mobilité, le rééquilibrage entre les logements construits en France et en Suisse, une meilleure répartition des emplois, la recherche de nouveaux emplois, toutes ces questions figurent en toutes lettres dans le projet. Il est donc urgent de passer du projet à sa réalisation.

swissinfo.ch: Justement, le MCG accuse les partenaires français du projet de ne pas en faire assez, notamment en ce qui concerne les facilités accordées aux PME suisse pour s’installer en France voisine.

C.D.: Si on prend en compte les emplois par rapport à la population active, il y a plus d’emplois à Genève que sa population active. Le canton a donc de toute manière besoin des travailleurs frontaliers. La première couronne française (autour de Genève, ndlr) est loin de n’être qu’une cité dortoir. Dans l’agglomération annemassienne, il y a autant d’emplois que de population active. Nous sommes donc dans une région où l’emploi s’équilibre des deux cotés de la frontière.

Il n’y a aucun problème pour les Suisses qui veulent travailler en France, si ce n’est qu’ils sont moins payés qu’en Suisse. Quant aux entreprises, il y a aujourd’hui une volonté d’améliorer les conditions cadres pour leur implantation, un dossier qui est remonté jusqu’à Bercy (ministère français des Finances).

swissinfo.ch: L’augmentation du nombre de frontaliers, qui peuvent venir de toute la France, a-t-il un impact sur votre ville et votre région?

C.D. : Grâce à l’activité et à la renommée de Genève, nous avons en effet la chance d’habiter une région un peu moins touchée par la crise que d’autres. Une situation qui crée un effet d’appel. Mais les personnes qui ne trouvent pas de travail et de logement ne restent pas. Il faut aussi savoir que ces personnes qui viennent de l’extérieur trouvent un emploi plutôt du coté français que suisse.

De plus, l’augmentation du nombre de frontaliers (environ 60’000) vient pour l’essentiel de travailleurs suisses habitant en France (20’000). Quand on rejette les frontaliers, on rejette donc aussi des citoyens suisses.

swissinfo.ch: Ce développement économique de toute la région ne crée-t-il pas aussi des frustrations coté français, en particulier dans les milieux défavorisés?

C.D.: C’est l’une des plus grandes difficultés de cette région. Comme ailleurs, le risque est de se retrouver avec une société à deux vitesses. Il faut donc accorder encore plus d’attention aux quartiers populaires et aux catégories les plus frappées par la crise. Que ce soit en Suisse ou en France. Aujourd’hui, vivre à Annemasse avec le SMIC français est en effet très difficile.

Ce vendredi, nous allons justement signer un important projet de rénovation des quartiers populaires d’Annemasse.

swissinfo.ch: Un peu comme l’Union européenne, le projet d’agglomération semble désincarné et technocratique aux yeux de ses habitants. Que faire pour y remédier?

C.D. : Je suis persuadé que la population, qu’elle soit suisse ou française, va se saisir du projet d’agglomération le jour où elle réalisera qu’il correspond à ses attentes. Et le débat qui entoure le CEVA (projet transfrontalier de transports) devrait permettre d’aller dans cette direction, puisque le CEVA est la colonne vertébrale du projet d’agglomération.

La collaboration dans le domaine culturel – déjà bien développée – peut aussi renforcer le sentiment d’appartenance à cette région.

Dans le cadre du projet d’agglomération, nous avons d’ailleurs prévu de faire de l’anniversaire de Rousseau en 2012 un événement fédérateur dans toutes les communes françaises et genevoises.

Il faudrait à terme qu’il y ait au moins une fois par année une manifestation culturelle qui implique l’ensemble de l’agglomération franco-valdo-genevoise. Car cet espace vit et échange au quotidien. Il faut savoir que la circulation à la frontière n’est pas que le fait des pendulaires. Elle est dense tout au long de la journée. Les Genevois sont par exemple encore nombreux (-15 % depuis l’introduction de l’euro) à venir se ravitailler en France, tout comme les Français à Genève, puisque certains produits y sont moins chers.

Je participe aux travaux de la Mission opérationnelle transfrontalière qui réunit toutes les régions frontalières de France. J’ai eu la surprise de constater que notre projet d’agglomération est l’un des plus avancés. Et cela alors que la Suisse n’est pas membre de l’Union européenne, contrairement à l’Allemagne ou à la Belgique.

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Réunion bernoise. Les responsables français et suisse de la coopération frontalière se sont réunis ce jeudi à Berne.

Thèmes. Les thèmes abordés, selon le ministère français des Affaires étrangères: l’aménagement des espaces transfrontaliers, notamment l’agglomération de Genève, les aides européennes à ces régions, les questions sociales (emploi, santé, sport), les accords UE-Suisse ayant une incidence sur les zones frontières et les questions de transports (liaisons ferroviaires).

Annuel. Cette instance se réunit annuellement depuis 2005 dans le cadre d’un «dialogue politique» sous l’égide des deux ministères des Affaires étrangères.

Niveau ministériel. La délégation française était composée de représentants des départements ministériels concernés (Affaires étrangères, économie, industrie et emploi, santé et sports, transports), des conseils régionaux et préfectures d’Alsace, Franche-Comté et Rhône-Alpes. La délégation suisse, conduite par un représentant du ministère des affaires étrangères, comprenait des représentants des administrations cantonales et des organes de coopération intercantonale.

Etat français. Selon le maire d’Annemasse Christian Dupessey, cette rencontre devrait permettre, entre autre, à l’Etat français d’être représenté dans le projet d’agglomération franco-valdo-genevoise, une participation qui butte sur des questions institutionnelles. Selon le maire, l’entrée de l’Etat français dans le projet donnera un coup d’accélérateur au projet, coté français.

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