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La Genève internationale perd son as de coeur

Sergio Vieira de Mello en conférence de presse à Genève le 30 mai dernier. Keystone

Avec la mort tragique de Sergio Vieira de Mello à Bagdad, Genève voit disparaître l’une de ses grandes figures onusiennes.

Le Brésilien était pressenti pour remplacer Kofi Annan au terme de son mandat, rappelle son ami Pierre de Senarclens, professeur à l’université de Lausanne.

Au lendemain de l’attentat contre le siège de l’ONU à Bagdad, le gouvernement suisse condamne «avec la plus extrême vigueur» cet «acte aveugle». Dans le même temps, Berne réaffirme son soutien à l’action des Nations Unies en Irak.

Le gouvernement suisse exprime aussi sa consternation après la mort du représentant spécial de l’ONU sur place. «En la personne de Sergio Vieira de Mello, les Nations Unies et la Genève internationale perdent un grand serviteur des idéaux de paix et de justice qui les animent», écrit Berne.

Sergio Vieira de Mello avait commencé sa carrière onusienne à Genève, en 1969. Et le mois prochain, il devait regagner son bureau genevois de Haut commissaire pour les droits de l’homme.

Professeur de relations internationales à l’université de Lausanne, Pierre de Senarclens a bien connu le Brésilien.

swissinfo: Vous qui étiez un de ses amis, qui était Sergio Vieira de Mello?

Pierre de Senarclens: C’était un grand serviteur des Nations Unies. Un homme d’une grande intelligence qui s’est trouvé sur tous les fronts difficiles et dangereux ces quinze dernières années.

Sergio Vieira de Mello était un homme très subtil qui avait aussi la qualité d’oser s’exprimer lorsqu’il le fallait. Et cela tout en respectant le devoir de réserve imposé par ses fonctions.

Sa mort est une immense perte pour les Nations Unies. Avec beaucoup de courage, il a assumé en Irak une position qu’il savait être dangereuse et compliquée.

swissinfo: Que ressentait-on à son contact?

P. de S.: Il suscitait immédiatement un sentiment d’amitié et de connivence. C’était un homme très chaleureux, qui avait le sens de l’humour.

Il apportait beaucoup à ceux qui le côtoyaient et donnait l’impression d’une grande bienveillance, d’un grand rayonnement. Il avait le charme de l’intelligence.

swissinfo: Le nom de Sergio Vieira de Mello circulait comme possible remplaçant de Kofi Annan au terme de son mandat. Etait-ce réaliste?

P. de S.: Cette idée était effectivement dans l’air. Il aurait été tout désigné pour remplacer Kofi Annan. Mais des considérations de répartition géographique seraient aussi intervenues. Personne ne peut assurer qu’il aurait été choisi.

swissinfo: Certains observateurs croient voir l’ombre de la CIA derrière l’attentat de mercredi. Cet attentat aurait mis à terre un homme que Washington n’aurait pas voulu voir remplacer Kofi Annan… Qu’en pensez-vous?

P. de S.: Dans ce genre de circonstances, on assiste toujours à un réveil de toutes les paranoïas. Personnellement, je ne crois pas à ce genre de scénario. Les Etats-Unis avaient toutes les raisons d’obtenir la collaboration de Sergio Vieira de Mello et des Nations Unies.

Cela étant, ce scénario va certainement circuler pendant quinze ou vingt ans. Les pulsions paranoïaques sont très difficiles à enrayer…

swissinfo: Sergio Vieira de Mello était-il, selon vous, une personnalité de la Genève internationale?

P. de S.: C’était une personnalité qui comptait. Il a effectué une bonne partie de sa carrière pour le Haut commissariat pour les réfugiés, dont le siège est à Genève. Son rayonnement y était important et sa disparition va laisser un grand vide au sein de la Genève internationale.

swissinfo: Sur le terrain maintenant, que peut faire l’ONU après un tel coup de boutoir?

P. de S.: Je ne sais pas ce que va faire l’ONU. Mais je sais qu’il va être difficile de remplacer l’expérience, les facilités de contact et le talent diplomatique de Sergio Vieira de Mello.

Il faudra une personne qui ait à la fois la confiance des Américains et de l’administrateur américain en Irak Paul Bremer, et celle du secrétaire général de l’ONU. Un diplomate au fait des difficultés rencontrées lors de la reconstruction d’un Etat.

swissinfo: La Suisse privilégie la voie onusienne en Irak. L’attentat de mardi remet-il en question cette approche?

P. de S.: Je ne pense pas. La position de principe de la Suisse en faveur des Nations Unies est tout à fait logique et traditionnelle. Je ne crois pas que cet attentat aura la moindre incidence sur la politique de la Suisse.

swissinfo: Quelle lecture faites-vous de cet attentat?

P. de S.: La résolution 1483 du Conseil de sécurité donne à l’ONU un rôle crucial dans la reconstruction institutionnelle et politique de l’Irak.

Ce rôle est très délicat, peut-être même assez équivoque, dans la mesure où le Conseil de sécurité n’était pas favorable à l’engagement des forces de la coalition. D’une certaine manière, l’ONU appuie l’effort des Etats-Unis. Et bien évidemment, ceux qui veulent chasser les Etats-Unis s’en prennent aussi à elle.

Cet attentat exprime symboliquement la volonté d’un certain nombre de mouvements de poursuivre la confrontation avec les Etats-Unis et d’empêcher la reconstruction de l’Irak.

Au fond, on assiste à l’extension de la confrontation avec Al Qaida et les forces terroristes. L’Irak est devenu un terrain d’affrontement entre le monde occidental, soutenu par les Nations Unies, et les forces du fondamentalisme islamique.

C’est pour moi la conséquence de cette guerre. Je ne pense pas qu’au départ, le régime de Saddam Hussein était directement lié à ce terrorisme international.

swissinfo: Dans ce contexte, la Suisse a-t-elle un autre choix que d’appuyer l’ONU?

P. de S.: La Suisse n’a pas de politique extrêmement définie sur la scène internationale. Elle soutient l’ONU, elle accorde beaucoup de place aux activités humanitaires, mais je ne pense pas qu’elle puisse jouer un rôle spécifique dans cette crise.

Je ne suis d’ailleurs pas sûr que la Suisse dispose du personnel nécessaire pour jouer un rôle diplomatique. La Suisse n’a pas de forte tradition de politique étrangère, ni d’engagement sur la scène internationale. Elle a rejoint tardivement les Nations Unies. Et doit encore y faire ses preuves.

Interview swissinfo: Pierre-François Besson

– Sergio Vieira de Mello est mort tragiquement dans l’attentat contre le siège de l’ONU à Bagdad.

– Agé de 55 ans, le Brésilien polyglotte avait été nommé représentant spécial des Nations Unies le 23 mai dernier. Il assumait également la fonction de Haut commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme.

– Spécialiste des problèmes humanitaires et de la reconstruction de pays, Sergio Vieira de Mello a travaillé au Proche-Orient, dans les Balkans, en Asie et en Afrique.

– Docteur en philosophie de la Sorbonne et homme de terrain, le diplomate avait commencé sa carrière onusienne à Genève, au sein du Haut commissariat aux réfugiés en 1969.

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