La raison l’emporte quatre fois, le cœur une fois
La presse suisse commente largement ce lundi l'acceptation surprise de l'initiative visant à rendre les crimes pédophiles imprescriptibles. Pour les gazettes, le peuple suisse s'est rangé du côté de l'émotion alors qu'il s'est montré très raisonnable sur les quatre autres sujets portés devant les urnes dimanche.
«Entre la raison et le cœur, les électeurs ont écouté la raison du cœur», souligne élégamment le Quotidien jurassien pour expliquer le succès de l’initiative de l’association «Marche-Blanche».
Le Temps note que «La Suisse a emprunté pour l’essentiel la voie du juste milieu, ce ni-ni pragmatique qui est son ADN politique» lors des votations de dimanche.
Mais le peuple a décidé de faire une exception à cette règle en acceptant l’initiative sur l’imprescribilité des crimes pédophiles: «l’examen rationnel, ici, marque le pas devant le désir de conjurer la complexité du réel en fixant, par une décision simple, les frontières du Bien et du Mal».
Seuls contre tous
«Entre politiques et experts d’un côté, parlant trop doucement le langage de la raison, et une population transportée par l’émotion, le dialogue ne pouvait pas se nouer», affirme pour sa part l’éditorialiste de la Tribune de Genève.
Seuls contre tous, les initiants ont réussi l’exploit de faire passer un texte pourtant combattu par tous les partis politiques, excepté l’Union démocratique du Centre (UDC / droite nationaliste), le gouvernement et les experts, écrivent plusieurs journaux.
Un scénario semblable s’était déjà produit il y a quatre ans avec l’acceptation de l’initiative sur l’internement à vie des délinquants sexuels et très dangereux. «On sait depuis cette votation que notre société attribue désormais une prime massive aux victimes», estime Le Temps. «Les deux résultats montrent à quel point le peuple se soucie de la protection des enfants», renchérit le Tages Anzeiger.
Une réponse inefficace
L’Express explique ce résultat par les affaires de prêtres pédophiles qui ont éclaté ces derniers mois. «En Suisse romande, les cantons historiquement catholiques ont ainsi accepté l’initiative, tandis que les cantons considérés comme protestants l’ont rejetée», analyse le quotidien neuchâtelois.
«Si la réponse est impressionnante, elle est surtout inefficace. Quel pédophile ce changement de loi freinera-t-il dans l’assouvissement de ses pulsions malades?», se demande Le Matin. Et de poursuivre «Cette décision nous rappelle brutalement notre incapacité à dépasser l’émotionnel pour s’attaquer à la racine du mal».
Volonté du peuple contre droit
Avec cette décision, le peuple a fait passer la protection des victimes devant les réserves juridiques, estime la Neue Zürcher Zeitung. «Pédophilie et génocide, tous deux imprescriptibles, sont placés sur un même pied», écrit la Tribune de Genève.
«Sur l’échelle de nos valeurs codifiées, il sera à l’avenir plus grave d’attenter à l’intégrité sexuelle d’un enfant qu’à sa vie», relève La Liberté, à l’instar de plusieurs journaux, qui soulignent le problème d’adaptation que risque de connaître la nouvelle loi.
«La politique doit désormais trouver un chemin pour sortir du dilemme opposant la volonté du peuple aux principes juridiques», conclut le Blick.
swissinfo, Samuel Jaberg
Imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine
Oui 1’206’222 – Non 1’119’172
Pourcentages 51,9% – 48,1%
Cantons 18 – 5
Loi fédérale sur les stupéfiants
Oui 1’541’227 – Non 723’714
Pourcentages 68,1% – 32%
Cantons 23 – 0
Dépénalisation de la consommation de cannabis
Oui 848’470 – Non 1’456’336
Pourcentages 36,8% – 63,2%
Cantons 0 – 23
Retraite flexible
Oui 970’490 – Non 1’374’107
Pourcentages 41,4% – 58,6%
Cantons 4 – 19
Droit de recours des organisations écologiques
Oui 774’018 – Non 1’501’184
Pourcentages 36,8% – 63,2%
Cantons 0 – 23
En conformité avec les normes du JTI
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