Des perspectives suisses en 10 langues

«La Suisse devrait montrer patte blanche»

A 51 ans, le Belge Didier Reynders est le doyen des grands argentiers des membres de l'UE. AFP

Alors que le gouvernement doit préciser aujourd’hui sa stratégie de défense de la place financière suisse, le ministre belge des Finances, Didier Reynders, livre ce conseil: «La protection de la sphère privée doit s’arrêter là où apparaissent des indices de fraude fiscale.» Interview.

Vice-premier ministre et ministre belge des Finances depuis 1999, le libéral francophone Didier Reynders connaît bien le débat sur le secret bancaire. Il a participé aux négociations qui ont débouché sur l’adoption de la première loi européenne sur la fiscalité de l’épargne et la conclusion d’un accord entre l’UE et la Suisse dans ce domaine, en 2004.

A l’image de la Suisse, son pays s’est également retrouvé, en 2009, sur la «liste grise» des pays jugés peu coopératifs que l’OCDE avait établie, à la demande du G20. La Belgique a dû lâcher du lest et a aujourd’hui abandonné le secret bancaire.

swissinfo.ch: Si quelqu’un vous propose d’acheter une liste de contribuables belges qui ont des comptes au Luxembourg ou en Suisse, vous le faites?

Didier Reynders: On ne va pas pouvoir l’acheter, car la législation belge ne nous le permet pas. Mais on va tenter de l’utiliser, par tous les moyens possibles. C’est toujours ce qu’on fait, dans le but de redresser la situation fiscale des contribuables.

swissinfo.ch: Le bilan est-il positif, jusqu’à présent?

D.R.: Les informations qui nous ont été fournies dans le cadre de l’affaire KB Lux, il y a une quinzaine d’années, nous ont permis, sans difficulté, d’opérer d’importants redressements fiscaux. Nous avons également reçu des données de l’Allemagne, dans le cadre de l’affaire du Liechtenstein. Et nous lui avons déjà demandé de disposer de la nouvelle liste des relevés de comptes suisses dont on parle, au cas où elle l’achèterait.

swissinfo.ch: La Belgique ne donne plus l’impression d’entretenir de bons rapports avec le secret bancaire. Pourquoi?

D.R.: En Belgique, il n’y a pas de secret bancaire au sens où on l’entend au Luxembourg ou en Suisse, mais une obligation de discrétion bancaire. L’administration fiscale peut accéder à tous les comptes bancaires pour les impôts indirects. Pour les impôts directs, il faut passer par une procédure, et bien souvent par un magistrat.

Ce que je souhaite faire, c’est instaurer une logique d’ouverture complète de l’accès aux comptes bancaires dès qu’il y a des indices de fraude.

swissinfo.ch: Au risque d’empiéter sur la protection de la sphère privée?

D.R.: La protection de la vie privée doit s’arrêter là où apparaissent, de manière forte, des indices de fraude. Mais je refuserai toujours de donner à un très grand nombre de fonctionnaires le droit de faire des intrusions dans la vie des citoyens, lors de simples contrôles fiscaux de routine.

swissinfo.ch: Pourquoi votre pays a-t-il décidé de basculer, le 1er janvier, du système de la retenue à la source vers celui de l’échange automatique d’informations, avec un an d’avance sur le programme établi?

D.R.: L’évolution est logique. En 2001, nous avons adopté une réforme de la fiscalité qui prévoit une réduction de l’imposition sur les revenus. Ensuite, nous avons lancé une opération de régularisation des fonds cachés. Une fois qu’on a fait tout cela, il n’est pas anormal qu’on réclame plus de transparence.

swissinfo.ch: Les attaques du G20 contre le secret bancaire n’ont-elles donc joué aucun rôle?

D.R.: Il est évident qu’on assiste à une évolution vers l’échange d’informations à l’échelle mondiale. Nous avons intégré les normes de l’OCDE en matière d’échange d’informations sur demande dans un grand nombre de conventions bilatérales. Ce qui m’a poussé à accélérer notre passage à l’échange automatique au sein de l’Union, qui était à l’origine prévu en 2011.

swissinfo.ch: Des pays comme le Luxembourg, l’Autriche ou la Suisse sont-ils condamnés à suivre l’exemple belge?

D.R.: Je crois qu’en Europe, le système de l’échange automatique d’informations et celui de la retenue à la source vont encore coexister pendant quelques années. Ce sera du moins le cas entre l’UE d’un côté et certains pays tiers, qui veulent se contenter d’appliquer les normes de l’OCDE, de l’autre.

swissinfo.ch: Le Luxembourg et l’Autriche établissent pourtant un lien direct entre l’abolition de leur secret bancaire et celui de pays tels que la Suisse.

D.R.: Les deux choses sont différentes. Les pays de l’Union ont reconnu que le système de la retenue à la source ne serait que transitoire. Il serait donc préférable qu’ils appliquent tous celui de l’échange automatique d’informations.

swissinfo.ch: Vienne et Luxembourg ont-ils tort de redouter une fuite des capitaux vers la Suisse?

D.R.: Aucun Etat ne peut justifier son activité bancaire ou financière en prétendant défendre des fraudeurs. Si une place financière veut encore attirer des capitaux demain, elle devra le faire grâce à la performance de ses services et non plus en raison de sa capacité à aider les gens à éluder l’impôt.

swissinfo.ch: Mais en attendant, la Suisse ne risque-t-elle pas d’en profiter?

D.R.: Beaucoup de pays s’intéressent à la Suisse parce qu’ils sont convaincus que l’argent qui s’y trouve a été dissimulé au fisc.

Si, de fait, on se rend compte que sur dix comptes suisses dont on apprend l’existence, il y en a neuf qui devraient conduire leur titulaires à subir un redressement fiscal, Berne devra nécessairement se poser la question: peut-elle vraiment continuer à valoriser une place financière en attirant les fraudeurs?

Tanguy Verhoosel, Bruxelles, swissinfo.ch

Depuis fin 2008, les coups de boutoir contre le secret bancaire se sont multipliés.

Février 2009: la Confédération autorise UBS à livrer 255 noms au fisc américain, qui a alors réclamé 52’000 noms.

Août 2009: Berne a signé avec Washington un accord prévoyant l’identification de 4450 comptes bancaires.

Janvier 2010: une décision du Tribunal administratif fédéral sur recours d’une cliente américaine a bloqué la livraison de ces données.

Parallèlement, sous pression du G20 et de l’OCDE, la Suisse a annoncé au printemps 2009 sa volonté d’assouplir le secret bancaire suivant les standards de l’OCDE.

Depuis, Berne a entrepris de renégocier les conventions visant à régler l’entraide administrative en cas d’évasion fiscale avec toute une série de pays.

Septembre 2009: l’OCDE a biffé la Suisse de sa liste grise suite à la signature de 12 de ces conventions.

Certaines passeront devant la Chambre haute lors de la session de mars. Le gouvernement a fini par décider de les soumettre au référendum facultatif.

Les récentes affaires de vol de données bancaires ont eu pour conséquence le gel des négociations avec la France. Les discussions continuent par contre avec l’Allemagne.

Février 2009: UBS est autorisée par Berne à livrer aux Etats-Unis l’identité de 255 clients qu’elle a aidé à échapper au fisc américain, en violation de la loi sur le secret bancaire.

Mars 2009: Dans le collimateur de l’OCDE, Berne décide d’assouplir le secret bancaire en suivant les standards en matière d’échange d’informations.

Avril 2009: Le G20 place la Suisse sur une liste grise des paradis fiscaux prêts à faire des efforts en matière d’échange d’informations.

Août 2009: La Suisse et les Etats-Unis trouvent un accord sur UBS. Les Américains ne chercheront plus à obtenir l’identification de 52’000 titulaires. Une entraide administrative est décidée sur 4450 comptes.

Septembre 2009: Après avoir signé 12 conventions élargies de double imposition, la Suisse est biffée de la liste grise de l’OCDE.

Novembre 2009: Le gouvernement propose au parlement de soumettre les nouveaux accords de double imposition au référendum facultatif. L’UE reporte à 2010 un projet d’accord sur la fiscalité de l’épargne impliquant l’échange automatique d’informations.

Position officielle. La Suisse est décidée à refuser l’échange automatique d’information. L’entraide administrative est accordée au cas par cas, en réponse à des demandes concrètes et justifiées. L’échange d’informations est limité aux impôts couverts par les conventions de double impositions concernées.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision