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Les leçons de la crise monétaire des années 70

Jeudi 24 octobre 1929. C’est le Krach à Wall Street. Cette crise marque le début de la Grande Dépression aux Etats-Unis et d'une crise économique mondiale. Keystone

La crise du franc suisse en rappelle une autre: en 1978, la monnaie suisse s’échangeait à un niveau record contre le mark allemand. Kurt Schiltknecht, chef économiste de la Banque nationale suisse à ce moment-là, se souvient.

Le moins que l’on puisse dire c’est que le franc fort est sur le devant de la scène. Et avec lui la Banque nationale suisse (BNS) qui a pris ce mercredi de nouvelles mesures pour enrayer l’appréciation de la monnaie nationale.  

La semaine dernière déjà, l’institut d’émission avait baissé les taux d’intérêt et augmenté la masse d’argent en circulation. Cette fois encore, la BNS prend des mesures. Afin de relever les liquidités en francs sur le marché monétaire, elle augmente à nouveau les comptes de virement  des banques de 80 à 120 milliards de francs.

Dans un communiqué publié mercredi, l’institut d’émission indique qu’il va en outre conclure des swaps de change, opérations de politique monétaire qui permettent la création de liquidités en francs.  La BNS avait utilisé pour la dernière fois cet instrument en automne 2008.

C’est dire que les crises se suivent et… qu’il est possible d’en tirer des enseignements, notamment de celle qui avait éclaté en 1978. Analyse de l’économiste Kurt Schiltknecht.

swissinfo.ch: Les bourses jouent aux montagnes russes dans le monde entier et les incertitudes sont grandes, tant sur les marchés qu’au sein des gouvernements. Avez-vous le sentiment d’un certain «déjà-vu»?

Kurt Schiltknecht: Oui, j’ai déjà vécu de telles situations sur les marchés boursiers, tout comme pour les taux de change. Mais la combinaison des deux éléments est quelque chose de nouveau.

swissinfo.ch: Comment décririez-vous la situation actuelle?

K.S.: Les gens sont incroyablement désécurisés parce que les gouvernements ne parviennent plus à expliquer dans quelle direction l’économie et la politique économique doivent se développer.

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Banque nationale suisse

Ce contenu a été publié sur La banque nationale suisse (BNS) est la banque centrale de la Suisse. Elle est indépendante du gouvernement. Cela signifie qu’elle fixe les taux d’intérêt de manière autonome. Son objectif prioritaire est la stabilité des prix, condition importante à la croissance économique. La BNS base sa politique monétaire sur une prévision d’inflation à moyen terme, son…

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swissinfo.ch: Y a-t-il un lien entre la crise de l’euro et la dégradation de la note des Etats-Unis?

K.S.: Non, aucun. La crise de l’euro est principalement due au surendettement extrême de certains pays et à leur insolvabilité. Les autres Etats doivent donc intervenir, ce qui leur fait du tort. C’est un problème spécifiquement européen.

Aux Etats-Unis, le gouvernement a accumulé les dettes ces dernières années et ces derniers mois. Le problème a maintenant atteint des proportions inquiétantes.

swissinfo.ch: L’endettement des Etats est donc le dénominateur commun de ces deux crises?

K.S.: C’est ça. Ce n’est bien sûr pas nouveau. Nous avions déjà des problèmes d’endettement dans les années 70 et 80. Mais la dimension actuelle est encore pire. Et les marchés ne sont pas convaincus que l’on puisse simplement rembourser ces dettes étatiques.

swissinfo.ch: Le gouvernement suisse dit que, désormais, «une intervention énergique est nécessaire dans le cadre de la politique sur le marché monétaire.» Mais aucune décision n’a encore été prise. Qu’en pensez-vous? Que devrait faire le Conseil fédéral?

K.S.: A court terme, il ne peut pas faire grand-chose. La  meilleure mesure serait de baisser l’imposition des entreprises et des particuliers.

Le Conseil fédéral pourrait aussi décider de rembourser un certain pourcentage de l’impôt fédéral direct. Les consommateurs pourraient acheter davantage et les entreprises auraient à nouveau un peu d’argent à investir.

swissinfo.ch: La crise monétaire actuelle est-elle comparable avec celles du siècle dernier?

K.S.: Nous avons traversé une situation relativement similaire en 1978. A l’époque, le franc suisse s’est apprécié de 30% sur une base réelle, en neuf mois. Ce qui correspond à peu près à l’évolution actuelle.

swissinfo.ch: Chef économe de la Banque nationale suisse à l’époque, vous avez grandement contribué à stabiliser le franc suisse. Qu’avez-vous fait?

K.S.: Nous avons tenté pas mal de mesures pour stabiliser le cours. La BNS a acheté des monnaies étrangères sur le marché des devises pour mettre en place une politique monétaire plus expansive.

Et nous avons décidé des mesures aujourd’hui historiques comme de décider des intérêts négatifs et des interdictions de placements pour influencer le commerce des capitaux. Mais ces mesures n’ont absolument rien apporté. 

swissinfo.ch: Qu’est-ce qui a fonctionné, finalement?

K.S.: Lorsque nous avons constaté que le marché des devises n’était plus en mesure de fournir lui-même des attentes claires sur la direction des taux de change, nous avons décidé de changer nos objectifs dans ce domaine.

La BNS a déclaré qu’elle achèterait des dollars aussi longtemps que le cours du mark allemand ne serait pas clairement au-dessus de 80. Lorsque nous l’avons annoncé, le cours était aux environs de 76. Nous avons choisi un taux qui était un peu inférieur à 10% au-dessus du cours du moment.

Ça a très bien fonctionné. Après quelques hésitations, le marché s’est montré convaincu que la situation allait s’améliorer. Et le trafic des capitaux s’est remis à fonctionner.

swissinfo.ch: Mais à l’époque, il s’agissait du mark allemand, soit la monnaie d’un pays stable. Aujourd’hui, l’euro est la monnaie d’un espace bien plus fragile. Quelles autres différences voyez-vous?

K.S.: Il est bien plus difficile, de prévoir comment l’euro et le dollar vont évoluer. Ces deux zones géographiques sont confrontées à des problèmes très complexes.

Mais un élément ne changera jamais: les dirigeants doivent prendre des décisions dans des phases de grande incertitude et ils doivent soupeser les risques.

Je trouve que la décision de la BNS, la semaine passée, était tout à fait juste. Elle a envoyé un premier signal. Elle a manifesté sa position, déclarant que le franc suisse avait atteint un niveau qu’il ne pouvait plus dépasser.

swissinfo.ch: Et lors de crises antérieure, comme le crack boursier de 1929, comment les dirigeants ont-ils agi et réagi?

K.S.: Les réactions ont été passablement mauvaises. Au lieu de lancer une politique monétaire expansive, les Etats-Unis ont mis en place une politique restrictive, ce qui a encore renforcé la crise.

En Suisse, c’était l’inverse, car les flux de capitaux étaient intenses et parce que nous avions une politique monétaire expansive. C’est pourquoi la Suisse a été relativement peu touchée au début de la crise économique mondiale. Ce n’est que plus tard que les effets s’en sont fait sentir ici également.

swissinfo.ch: Quelles leçons a-t-on tirées de ces crises, quels modèles a-t-on développés pour faire face aux problèmes d’aujourd’hui? Ou bien chaque crise est-elle fondamentalement différente?

K.S.: On essaie toujours de tirer les leçons du passé. Mais chaque crise a ses particularités. Il faudrait rester prudent et ne pas réagir à chaque petite crise avec des mesures disproportionnées.

Ce qui serait urgent aujourd’hui serait que les politiciens, donc les gouvernements et les parlements, prennent des décisions pour résoudre les problèmes. Mais au lieu de s’y attaquer, on ne cesse de discuter ou de téléphoner. Cela ne contribue évidemment pas à stabiliser les marchés.

swissinfo.ch: Que faudrait-il donc faire pour mettre un terme à la crise monétaire?

K.S.: Nous n’avons pas d’autre réelle possibilité que de reformuler un plafond pour le taux de change. Ce serait vraisemblablement la dernière option à saisir.

swissinfo.ch: Une récession menace-t-elle le monde, ou en tout cas les Etats-Unis?

K.S.: Une récession ne peut être exclue dans les pays industrialisés. Mais je ne crois pas qu’une crise surviendra dans ce domaine. En revanche, la croissance risque bien de faiblir.

Né en 1941, Kurt Schiltknecht a étudié l’économie à Zurich.

Il a travaillé pour différents instituts de recherche à Zurich, Paris et aux Etats-Unis.

De 1974 à 1996, il a travaillé à la Banque nationale suisse (BNS), notamment en tant que chef économiste et membre du Conseil de banque.

Dès 1984, il a enseigné en tant que professeur de théorie économique à l’Université de Bâle.

Kurt Schiltknecht siège dans un conseil du groupe de banques BZ.

La tâche la plus importante de la Banque nationale suisse (BNS) est la politique monétaire.

Selon la Constitution fédérale, la BNS garantit la stabilité des prix, condition importante à la croissance conjoncturelle.

A ses débuts, l’émission de billets de banque et les transactions financières constituaient la tâche la plus importante de la BNS. Quant à la production de pièces de monnaie, encore plus importantes au 19e siècle, elle est du ressort du Département fédéral des finances.

La BNS s’occupe aussi de la stabilité du système financier.

La BNS est, enfin, la banque de la Confédération. Elle exécute ses opérations financières ainsi que ses transactions d’argent et de marché des capitaux, et gère ses liquidités et plus-values.

Traduction de l’allemand : Ariane Gigon

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