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Les lendemains qui hésitent du Protocole de Kyoto

Kyoto a participé à mobiliser la société civile autour des enjeux climatiques. Reuters

La deuxième période d’engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre dérivée du Protocole de Kyoto ne pourra sans doute pas commencer comme prévu en 2012. Si toutefois elle débute un jour. Les négociations climatiques internationales, en effet, patinent.

Même si les négociations débouchaient sur une deuxième période d’engagements, trois quarts des parlements devraient donner leur aval. Irréaliste d’ici la fin 2012, a estimé la responsable du dossier climatique à l’ONU Christina Figueres début juin.

Depuis, une réunion préparatoire du prochain grand rendez-vous de Durban début décembre s’est achevée à Bonn sans résultats patants. Le vide juridique et l’absence de nouvelles obligations, au moins temporaires, semblent donc de plus en plus inévitables. Mais de quoi parle-t-on?

Contrairement à la convention cadre onusienne sur les changements climatiques, le Protocole de Kyoto oblige juridiquement une minorité d’Etats à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Un chiffre de réduction apparait pour chacun dans le protocole (Annexe I). A un an de la fin de la première période d’engagements, ces Etats présentent des copies insuffisantes, manquant parfois largement leur cible de réduction.

Ces 37 Etats (ceux de l’Annexe B de la convention) sont les pays considérés comme industrialisés au moment de la signature de Kyoto en 1997. «Ils représentent une petite partie des émissions de GES, explique Jorge E. Viñuales, titulaire de la chaire de droit international de l’environnement au Graduate institute (IHEID) de Genève.

«A l’époque, on n’avait pas prévu l’industrialisation de la Chine, la vision de l’avenir était encore très marquée par la guerre froide, précise-t-il. Kyoto ne lie ni les Etats-Unis [qui l’ont signé mais pas ratifié] ni la Chine ni des Etats émergeants qui comptent pour la grande majorité des émissions.»

Kyoto, oui et non

Le professeur genevois va plus loin. «L’apport véritable de Kyoto à la réduction des émissions est très limité. L’intérêt du protocole est d’avoir été une première expérience sur la manière de faire un traité qui limite les émissions.»

Kyoto sur le plan strictement climatique serait donc assez dérisoire. Les émissions sur lesquelles les Etats se sont engagées sont minimales, selon Jorge E. Viñuales. «Et même si on arrivait à zéro émission, cela ne suffirait pas, la température moyenne augmenterait de toute manière de deux degrés ou plus à la fin du siècle. Le stock [de GES] actuellement dans la troposphère est déjà trop élevé. D’où l’importance de la géo-ingénierie [reforestation, injection de particules dans l’atmosphère, etc]».

Kyoto, par contre, est un instrument utile de négociation et d’impulsion. Par exemple, «le fait de lancer le mouvement, de dire aux acteurs privés qu’émettre beaucoup serait cher et réduirait leur compétitivité dans les dix ou quinze ans suivants a permis d’inciter le secteur privé à plus d’efficience.» Kyoto permet aussi aux Etats de justifier de décisions parfois désagréables pour les entreprises en invoquant le sens du courant international.

Kyoto est aussi un instrument diplomatique. Chine et pays émergeants l’appuient afin de pousser les pays industrialisés à s’engager avant d’exiger d’eux-mêmes des efforts. Et le Canada et l’Union européenne (avec la Suisse) se refusent à se lier seuls et à réduire leur compétitivité si les grands émetteurs ne s’engagent pas. Ce qui explique aussi en bonne partie le blocage actuel.

Flou artistique

Ce vide juridique attendu après 2012 débouchera sur une absence de signal clair permettant à l’économie de faire les bons choix d’investissements énergétiques et industriels. Pour Jorge E. Viñuales, cette absence d’engagement des Etats au niveau international incitera aussi les entreprises «à déployer tous les efforts de lobby possible afin de limiter au maximum le poids de la règlementation nationale en matière de réduction des émissions.»

En revenant à l’avant-2012, un Etat lié par Kyoto dont les émissions dépasseraient celles de 1990 violerait en théorie ses engagements. Mais Kyoto prévoit trois mécanismes de flexibilité. Le plus connu est l’échange des droits d’émissions. Il permet d’acheter le droit d’émettre davantage de GES à des pays qui dégagent moins que leurs quotas.

Ce mécanisme – à l’image des autres instruments institués par le protocole – survivra grâce au système européen d’échange, bien installé et où peuvent se traiter une bonne partie des droits dérivés de Kyoto, prévoit Jorge E. Viñuales. Le professeur genevois qui envisage déjà les scénarii de l’après-Kyoto sans Kyoto bis.

Trois scénarii

«Le premier scenario, assez probable, est un retour vers la convention cadre, dont les obligations non-contraignantes seraient précisées par la conférence des parties [COP]. Cela donnerait un cadre substantiel, pas obligatoire, mais offrant un signal fort, international et largement harmonisé au secteur privé.»

Autre possibilité, celle de la voie des droits de l’homme. Il s’agit de l’emploi des mécanismes et instruments dans ce domaine pour obtenir dédommagements et compensations de la part des grands émetteurs. Une piste explorée actuellement par le Hauts commissariat aux droits de l’homme, indique Jorge E. Viñuales.

Le troisième scénario est celui de l’atomisation, «une mosaïque de règlementations nationales sans coordination ni obligations communes», explique le professeur genevois, qui envisage assez volontiers l’émergence d’un mix des trois. Le rendez-vous de Durban en décembre permettra peut-être d’y voir plus clair.

Cadre. Entré en vigueur en 2005, le Protocole de Kyoto (1997) est un accord additionnel à la Convention-cadre onusienne sur les changements climatiques de 1992 destinée à réduire le réchauffement climatique et à faire face à ses conséquences.

Contraignant. Les négociations climatiques internationales ne se résument pas à l’avenir du protocole. Mais Kyoto est le seul outil juridiquement contraignant dans le domaine du climat. Il engage les 37 pays industrialisés à réduire globalement de 5,2% ces émissions par rapport à leur niveau de 1990 d’ici 2012. Pour la Suisse, l’objectif est de 8%, cible qu’elle n’atteindra pas.

Négociations. Lors de la 16e conférence de l’ONU sur le climat à Cancun en décembre, les parties ont décidé de poursuivre le processus multilatéral de négociation et de repousser les négociations Kyoto à cette année. Le temps est maintenant insuffisant pour permettre qu’une nouvelle période d’engagements intervienne dès 2012, au terme de la période d’engagement initiale.

Même si les forêts sont des puits de carbone, les projets de reboisement n’auront qu’un impact très limité sur le changement climatique, selon une étude scientifique que vient de publier Nature Geoscience.

Sur la base de la modélisation de cinq scénarios de reboisement sur 50 ans, les scientifiques canadiens ont constaté que même si toutes les terres cultivées du monde étaient reboisées, le réchauffement ne serait réduit que de 0,45 C° d’ici 2081-2100.

Une des explications en est qu’il faut des décennies aux forêts pour être suffisamment mûres pour capter le CO2, qui stagne durant des siècles dans l’atmosphère.

«Le reboisement en soi n’est pas un problème, il est positif mais nos conclusions indiquent qu’il n’est pas un outil pour maîtriser la température si on émet des gaz à effet de serre comme on le fait actuellement», assure le chercheur Alvaro Montenegro.

Source: agences

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