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Libre circulation: la crise, invitée surprise

Le secteur hospitalier suisse est parmi les plus friands en main d'œuvre européenne qualifiée. Polaris Images

Les craintes autour du marché de l'emploi joueront un rôle significatif lors du vote du 8 février. Malgré le soutien de l'économie et des syndicats, le «oui» à la libre circulation fait désormais douter au sein de la classe moyenne suisse, que l'afflux de travailleurs qualifiés inquiète.

Entrée en vigueur en 2002, élargie en 2005, la libre circulation des personnes a considérablement modifié le marché du travail helvétique.

Selon le dernier baromètre de l’emploi publié fin novembre par l’Office fédéral de la statistique (OFS), la Suisse comptait, au 3ème trimestre 2008, 1,3% d’actifs occupés de plus qu’un an auparavant. Une hausse résultant surtout de l’augmentation du nombre de travailleurs étrangers (+4,0%), le nombre de Suisses ne progressant que faiblement (+0,4%).

Absorbée par une économie qui tournait à plein régime ces dernières années, la main d’œuvre européenne s’est par ailleurs diversifiée. Fini le cliché du maçon portugais; aujourd’hui, 58% des travailleurs qui viennent s’établir en Suisse ont un diplôme de formation supérieure, contre 36% en 1997.

Mais qu’adviendra-t-il sur le marché suisse du travail à l’heure où les perspectives économiques s’assombrissent? Fait nouveau, cette angoisse hante désormais aussi la classe moyenne, traditionnellement plus ouverte à l’Europe.

Lors du dernier sondage de l’institut gfs.berne consacré à la votation du 8 février, il apparaissait ainsi que sa position allait «de l’hésitation au refus». Ce que le politologue Claude Longchamp explique par la présence de plus en plus marquée de travailleurs étrangers qualifiés.

«Produit de la haute conjoncture»

Sur le terrain de la campagne, les opposants à la libre circulation des personnes, qu’ils soient de droite ou de gauche, confirment que les inquiétudes quant à l’emploi sont vives.

«Dans la rue, peu de gens nous disent que la libre circulation est une bonne chose. Certains considèrent qu’on ne peut pas dire ‘non’ à l’Europe. Nous expliquons alors que ce n’est pas dire non à l’Europe, mais à de mauvaises conditions salariales», indique Michel Gindrat.

Membre du Syndicat des services publics (SSP), il a rejoint le Comité ouvrier contre la «libre exploitation des travailleurs» qui, contrairement aux grandes centrales syndicales du pays, prône un refus le 8 février.

De son côté, Kevin Grangier, président fondateur de la section romande de Young4fun – un mouvement interpartis de jeunes qui milite pour l’indépendance et la neutralité de la Suisse – souligne que «le ‘oui’ qui semblait presque assuré ne l’est finalement pas tant que ça» dans un contexte où le chômage vient d’atteindre la barre des 3%.

Comme Michel Gindrat, il est d’avis que la crise économique qui s’est invitée dans le débat jouera un rôle important dans les urnes. L’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste) l’a bien compris, elle qui évoque, une fois n’est pas coutume, des arguments liés à la protection des emplois pour inciter à voter «non».

Formé d’entrepreneurs et de représentants des arts et métiers favorables au «non», un sous-comité UDC a même décrit l’accord sur la libre circulation des personnes comme étant un «produit de la haute conjoncture» peu susceptible de résister à une période de récession.

Pour contrer la crise

Ce que réfute Thomas Daum, directeur de l’Union patronale suisse (UPS). Pour lui, voter «non» par crainte des turbulences économiques serait une erreur. «La libre circulation est un atout de la place helvétique. En remettant en cause nos relations avec l’UE et l’accès libre au marché européen en temps de crise, on ne ferait que cumuler les risques», indique-t-il.

A l’unisson des milieux économiques et de la droite, il estime que la libre circulation est indispensable à la création d’emplois. Pour étayer leur position, economiesuisse et l’Union patronale ont présenté en décembre dernier une étude réalisée par le Centre de recherches conjoncturelles de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (KOF).

Celle-ci montre qu’entre 2002 et 2007, le produit intérieur brut (PIB) de la Suisse a enregistré une hausse annuelle de 0,16% supérieure à ce qui se serait produit sans l’accord. La même étude indique aussi que la libre circulation n’a fait ni baisser le niveau des salaires nominaux, ni monter le taux de chômage des Suisses.

De leur côté, plusieurs offices de l’administration fédérale ont constaté ce printemps dans le 4ème Rapport de l’Observatoire de la libre circulation des personnes que plus de 150’000 emplois à temps plein et à temps partiel avaient été créés entre 2006 et 2007 grâce à l’ouverture des frontières, fournissant un «complément bienvenu» aux travailleurs indigènes.

Avec des bémols

Les deux études comportent toutefois des bémols. A commencer par la situation dans les régions frontalières. «On ne peut pas exclure que l’offre accrue de main d’œuvre ait ralenti le recul du taux de chômage» en Suisse romande et au Tessin, reconnaît à ce sujet le rapport de l’administration fédérale.

Quant à l’étude du KOF, elle souligne que d’autres études comparables effectuées dans des pays européens montrent que les effets de la libre circulation y sont «soit nuls, soit plutôt négatifs». La Suisse s’en tirerait mieux car plus attractive pour les travailleurs qualifiés dont les rémunérations dopent la croissance.

Reste que l’hypothèse selon laquelle les travailleurs européens sont les premiers touchés par la crise en Suisse semble se confirmer. En novembre, le solde migratoire a reculé de 28% par rapport au mois précédent. La baisse a été particulièrement marquée chez les Allemands (-40%), qui sont les plus nombreux parmi les ressortissants de l’UE à venir chercher leur bonheur professionnel sur le marché helvétique de l’emploi.

swissinfo, Carole Wälti

Le 8 février 2009, le peuple s’exprimera pour la troisième fois sur la libre circulation des personnes qui permet aux citoyens de l’Union européenne (UE) de s’installer et de travailler librement en Suisse et aux Suisses de faire de même dans l’UE.

Cette votation concerne la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes qui arrivera à échéance en 2009 au terme d’une «période d’essai» de sept ans ainsi que son extension à la Roumanie et à la Bulgarie, deux pays qui ont rejoint l’UE en 2007.

En juin dernier, le Parlement avait décidé, après un long débat, d’unir ces deux thèmes dans un seul décret.

Les partisans de cette solution considéraient illusoire de croire que l’UE puisse accepter l’exclusion de deux de ses membres de l’accord de libre circulation.

A leurs yeux, un refus de l’extension à la Roumanie et à la Bulgarie équivaudrait à un refus de l’ensemble de l’accord.

L’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste) a en revanche critiqué la décision d’unir les deux thèmes.

Si le peuple devait dire non, l’ensemble du premier paquet de sept accords bilatéraux conclus entre la Suisse et l’UE serait en danger.

La clause dite «guillotine» prévoit en effet que la non reconduction d’un seul accord rend les six autres caducs.

Depuis l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes, l’arrivée en Suisse de ressortissants de l’UE et de l’Association européenne de libre échange (AELE) est en augmentation.

Leur nombre a progressé de 2,2% entre décembre 2005 et décembre 2006, de 5,3% entre décembre 2006 et décembre 2007, et de 7,9% entre août 2007 et août 2008 selon les dernières données disponibles.

L’afflux le plus important vient d’Allemagne. Viennent ensuite les Portugais, les Français, les Britanniques et les Autrichiens.

Le travail est le principal motif d’immigration, devant le regroupement familial et le perfectionnement professionnel.

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