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Même restauré, Kadhafi resterait en sursis

Le portrait du 'Colonel' dans une maison privée, à Tripoli. Keystone

La reconquête du terrain par les forces loyales au clan Kadhafi se poursuit en Libye, alors qu’une intervention de la communauté internationale n’est toujours pas en vue. Mais une restauration du régime Kadhafi reste peu probable, selon d’anciens diplomates suisses.

Ce mercredi, les forces fidèles au colonel Mouammar Kadhafi ont bombardé la ville de Misrata, dernier bastion rebelle dans l’ouest de la Libye. D’autres unités loyalistes marchaient sur Benghazi, le fief principal de l’insurrection dans l’est, après avoir repris une série de villes côtières ces onze derniers jours. Et ce dans un rapport de force entre une insurrection civile et une armée en guerre contre son peuple.

Saïf al Islam, l’un des fils du guide libyen, a donc pu déclarer dans une interview à la chaîne de télévision Euronews que les forces régulières auront repris le contrôle de tout le pays dans les prochaines 48 heures.

De son coté, le chef de la diplomatie française – en pointe pour convaincre les pays occidentaux et arabes de freiner ou de stopper cette offensive – a assuré sur son blog, ce mercredi également, qu’il n’était «pas encore trop tard» pour intervenir en Libye. «Il faut se donner les moyens d’aider efficacement ceux qui ont pris les armes contre la dictature», a ajouté Alain Juppé dans son billet.

Ancien ambassadeur suisse et consultant basé à Genève, François Nordmann va dans le même sens: «Rien n’est inéluctable. Il y a trois semaines, tout le monde pariait sur le départ de Kadhafi qui semblait quasiment acquis. Aujourd’hui,  la reprise en main de son pays ne l’est pas non plus».

Un théâtre d’ombres

De son coté, son ancien collègue Yves Besson, grand connaisseur du monde arabe, ajoute: «la situation en Libye est un théâtre d’ombres. Rien n’est vraiment clair depuis le début de l’insurrection. Par exemple, que signifient concrètement les proclamations de conquête et de reconquête des villes par les insurgés ou les loyalistes?»

Une chose est sûre cependant pour Yves Besson. «Quoi qu’il arrive, il n’y a pas de status quo ante possible. Sur le plan intérieur, Kadhafi devra faire face à des attaques incessantes de forces rebelles, à des troubles. Même s’il renoue des alliances avec les tribus et les clans qui l’ont abandonné, ceux qui ont le plus souffert de son régime répressif chercheront tôt ou tard à se venger, malgré leur apparente allégeance. Mais cela peut prendre encore du temps, pronostique l’ancien diplomate qui rappelle le contexte du printemps arabe. Même s’il peut être suivi par un été pourri.»

Sur le plan international, un retour en arrière semble peu probable également, d’autant qu’une série de mesures et de sanctions à l’encontre du régime ont déjà été prises et que la Cour pénale internationale a été saisie du dossier pour les nombreuses atrocités commises contre le peuple libyen par Mouammar Kadhafi et ses forces répressives.

Pas de retour en arrière

«Trop de dirigeants occidentaux se sont engagés contre Kadhafi et son clan pour pouvoir retourner leur veste aujourd’hui», estime Yves Besson.

Pour autant, la capacité de nuisance du vieux leader et de son clan ne doit pas être sous-estimée, tout comme son intelligence tactique.

«Ce n’est pas la première fois que la Libye de Kadhafi se retrouve au ban des nations», rappelle François Nordmann, faisant référence à l’embargo en vigueur contre la Libye jusqu’à la fin des années 90.

«Il a déjà survécu en s’étant brouillé avec la Ligue arabe ou l’Union africaine, ajoute le consultant genevois. Et Kadhafi sait très bien appuyer là où ça fait mal».

Ne pas sous-estimer les Kadhafi

En guise d’avant-goût, Saïf Al-Islam a assuré lors de son interview à Euronews que la Libye avait contribué au financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy: «Il faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale. C’est nous qui avons financé sa campagne, et nous en avons la preuve. Nous sommes prêts à tout révéler».

Même s’ils s’avéraient totalement faux, ces propos produisent déjà leurs effets sur l’opinion publique française, comme en témoignent les réactions d’internautes sur divers médias en ligne français.

Reste à savoir si la Suisse, qui connaît bien ce savoir-faire du clan Kadhafi, doit craindre de nouveaux coups de griffes d’un régime isolé, puisque la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey s’est réjouie très publiquement et précocement de la chute du dictateur. Ce qu’un certain nombre de parlementaires hostiles aux coups d’éclats diplomatiques ne manquent pas de lui reprocher aujourd’hui.

François Nordmann ne le pense pas. La Suisse n’est pas en première ligne face à Kadhafi. Lors de la crise entre Berne et Tripoli, cette position secondaire était un désavantage pour la Suisse, alors que les grands de ce monde défilaient sous la tente du Libyen. Cette position est aujourd’hui une protection, alors que les anciens courtisans occidentaux ont changé leur fusil d’épaule.

Libye. L’est de la Libye sera libéré «des forces obscures» dans les deux prochains jours, a affirmé un des fils du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam, dans une interview mercredi à la chaîne de télévision Euronews.

Parlement européen. Plusieurs députés européens, dont les chefs de file des groupes des élus libéraux et verts, ont dénoncé avec force mercredi la passivité de l’Union européenne face à la contre-offensive du colonel Kadhafi en Libye. «Si Kadhafi prend Benghazi ce sera un véritable massacre», a mis en garde le président du groupe libéral, l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt.

USA. Des sénateurs américains ont mis en garde Washington mercredi contre un maintien au pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi à Tripoli et se sont prononcés pour l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au dessus de la Libye. «M. Kadhafi sera revanchard (…) Je pense que l’on avait une occasion là d’en finir avec lui», a dit le sénateur indépendant Joe Lieberman après une réunion à huis-clos sur le dossier libyen à la commission des Affaires étrangères du Sénat.

«On a eu peur, d’abord, que des islamistes prennent le pouvoir dans les pays concernés! Il faut dire que, comme on l’a vu lors du vote sur les minarets, la peur de l’islamisme radical est forte chez nous.

Mais je suis convaincue qu’on ne peut pas lire ce qui se passe aujourd’hui en Afrique du Nord avec les yeux de la révolution iranienne d’il y a trente ans. Les gens sont descendus dans la rue pour réclamer la liberté et la démocratie: ils n’ont pas réclamé la charia.

Il faut se réjouir que des gens réclament la liberté et la paix (…) Il y a un désir de s’ouvrir et de sortir de chez soi! Il y a des travailleurs étrangers en Libye qui tentent aujourd’hui de rentrer chez eux, mais il y a aussi des immigrants potentiels vers l’Europe. Les débarquements sont faibles aujourd’hui. Il n’est pas exclu qu’ils augmentent, mais pas dans les proportions annoncées par certains.

Je souhaite à la Suisse de se réjouir de ce qui se passe et non pas de se laisser submerger par des peurs. Et puis je souhaite aussi que la Suisse se laisse porter par l’envie d’être aux côtés de ceux qui réclament ce dont nous bénéficions dans notre pays: la liberté et la démocratie! »

Extrait d’une interview de la présidente de la Confédération accordée au magazine L’illustré

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