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Micheline Calmy-Rey façon Janus dans la presse suisse

Micheline Calmy-Rey, une personnalité qui n'est jamais passée inaperçue. Keystone

D’un côté son rayonnement, son infatigable énergie et l’impulsion qu’elle a su donner aux affaires étrangères helvétiques. De l’autre, la femme dite pudiquement «de caractère», son égocentrisme, son intransigeance. Suite à l’annonce du départ de Micheline Calmy-Rey, la presse suisse joue du contraste.

«Adieu, Madame l’obstinée», titre le St.Galler Tagblatt, qui constate qu’avec le départ de Micheline Calmy-Rey, c’est l’une des têtes les plus originales de ce pays qui s’en va.

Constat unanime: au cours de ses neuf années passées à la tête de la diplomatie suisse, Micheline Calmy-Rey a fait exister la Suisse à l’étranger comme aucun de ses prédécesseurs ne l’avait pu ou voulu jusque-là.

Ainsi LaTribune de Genève souligne-t-elle qu’elle a «osé casser la diplomatie molle et fuyante d’une Suisse figée dans sa neutralité». Pour le quotidien fribourgeois La Liberté, «la petite musique helvétique est devenue plus audible».

«Une grande partie de la classe politique suisse n’était pas préparée à voir une femme ainsi en mouvement, sûre d’elle-même, capable, qui sera même parvenue à redonner à la Suisse un rôle prépondérant dans la diplomatie mondiale», constate le quotidien italophone La Regione.

Le quotidien romand Le Temps va jusqu’à accorder à la Valaisanne de Genève des vertus dignes de Guillaume Tell: «Micheline Calmy-Rey, et la Suisse commença à exister», titre-t-il, avant de souligner le concept de «diplomatie publique» qu’elle avait dès le départ annoncé vouloir mener.

Rappelant l’anecdote de Jacques Chirac se demandant qui est «Monsieur Cotti», Le Temps constate que la chose ne risquait pas d’arriver à Micheline Calmy-Rey, «qui fait la bise à Hillary Clinton, est du dernier mieux avec la commissaire Catherine Ashton, a rencontré trois fois ces derniers mois le président russe Andreï Medvedev».

Oui mais…

«Aucune autre politicienne, au cours de ces dernières années, n’a été aussi attaquée que la pourtant très populaire ministre des Affaires étrangères», constate le quotidien de boulevard Der Blick. «Sa diplomatie offensive et sûre d’elle-même» ne s’insérait pas dans la conception politique de beaucoup, peut-on y lire en substance.

Si l’activisme débridé de Micheline Calmy-Rey est souligné par tous, son interprétation de la «neutralité active», ses choix et son efficacité ne sont de loin pas cautionnés par tout le monde.

La Liberté regrette par exemple chez elle «un minimum de sensibilité au souffle historique de la construction européenne». Plusieurs médias, comme Le Temps, parlent d’échec dans le dossier de l’UE, évoquant «une impasse», une «voie sans issue». «La présidente de la Confédération avait annoncé vouloir faire de la consolidation de nos relations avec l’Union européenne la priorité absolue de son mandat. Trouver une solution qui concilie nos intérêts économiques et le partenariat avec l’UE, tout en préservant la souveraineté suisse. Et voilà qu’elle jette l’éponge alors même que les négociations sont toujours dans le brouillard», écrit Yves Petignat.

Autre sujet de critique: la précipitation de la ministre pour reconnaître le Kosovo. «Au vu des cadavres que l’on risque encore de retrouver dans les placards de l’ex-Yougoslavie, on peut se demander quel était l’intérêt helvétique à être le premier dans la course à la reconnaissance du Kosovo», peut-on lire dans le Corriere del Ticino.

La Basler Zeitung, quant à elle, commet un assassinat en règle sous la plume de Markus Somm en affirmant que, en matière de politique étrangère et d’image de la Suisse, Micheline Calmy-Rey laisse derrière elle un «champ de ruines, dont les cratères et la terre en feu seront encore à visiter pendant des années». Rien que cela.

Bien sûr, on fait aussi allusion, pratiquement dans tous les médias, au ridicule chaos diplomatique que fut l’affaire libyenne – les démêlés helvétiques suite à l’affaire Hannibal Kadhafi et aux otages suisses retenus en Libye.

Mais plus intéressant est de constater les différents points de vue portés sur la fameuse «Initiative de Genève». Un «brillant feu de paille» pour Louis Ruffieux, dans La Liberté. Mais plus que cela pour Nicolas Willemin dans L’Expresset L’Impartial, à Neuchâtel, qui parle de «l’une de ses plus belles réussites». «Certes, cela n’a pas abouti concrètement – du moins pas encore, espérons-le – mais il s’agit du premier texte israélo-palestinien proposant une solution globale».

Enfin, Le Temps souligne que Micheline Calmy-Rey a très vite compris qu’il était vital pour la Suisse de diversifier ses relations pour ne pas dépendre uniquement de l’UE. «C’est pourquoi depuis quelques années la Suisse noue des relations stratégiques avec des pays comme le Brésil, la Russie, la Chine ou l’Inde.»

De «caractère fort» à «sacrée tronche»

Si Micheline Calmy-Rey a été à elle seule l’incarnation de la politique étrangère de la Suisse pendant neuf ans, c’est que derrière la ministre, il y a indéniablement un individu fort qui a poussé à cette personnification. Et comme pour Janus, la divinité romaine, son visage est double. Sourire radieux et dureté inflexible.

«Une sacrée tronche s’en va», titre le quotidien romand Le Matin. Qui profite de l’occasion pour rappeler les surnoms dont la ministre fut affublée: «Cruella», «Calamity Rey», «Dame de Fer». Surnoms auxquels on pourrait ajouter l’utilisation de ses initiales: MCR. Comme JFK. Ou DSK. Ce qui n’est pas banal en Suisse.

Les qualificatifs, dans la presse suisse de ce jeudi, ne manquent pas: une ministre «agissante, mais irritante», «vénérée ou décriée», «pour le meilleur et pour le pire», «forte tête», «manières abruptes», «peu commode», «entêtée», etc.

«Solitaire», «autoritaire», «égocentrique»… Ses comportements à l’interne sont également soulignés: elle peut être «cassante» et «dirigiste» dans son propre ministère, notent des commentateurs, notamment outre-Sarine. L’Express et L’impartial l’affirment «parfois odieuse avec ses collaborateurs»… Ce à quoi La Tribune de Genève ajoute «son obsession du contrôle de sa communication et de son image».

Certains journaux alémaniques en particulier insistent sur ces temps où la collégialité du Conseil fédéral fut largement malmenée, cette époque des personnalités extrêmes façon Blocher, Couchepin ou Calmy-Rey.

«Fin d’une époque», dit la Neue Zürcher Zeitung.

1945: Micheline Calmy-Rey naît le 8 juillet à Sion. Elle reste en Valais jusqu’à l’âge de 19 ans.

1968: obtient une licence ès Sciences politiques à l’université de Genève.

1974: entre au Parti socialiste genevois et travaille jusqu’en 1997 comme administratrice et directrice d’une entreprise familiale de distribution de livres.

1981-1997: membre du parlement cantonal de Genève.

1986-1990 et 1993-2002: présidente du Parti socialiste genevois.

1997-2002: membre du gouvernement cantonal genevois (responsable des Finances).

2003-2011: membre du gouvernement fédéral en charge des Affaires étrangères.

2007 et 2011: assume la présidence tournante de la Confédération.

Micheline Calmy-Rey a «gagné» toutes les votations fédérales relatives à la politique étrangères durant ses 9 années passées à la tête du DFAE:

5 juin 2005: le peuple approuve par 54,6% l’adhésion de la Suisse aux accords de Schengen et de Dublin.

25 septembre 2005: 56% des citoyens acceptent l’extension de l’Accord sur la libre circulation des personnes aux dix nouveaux Etats membres de l’UE.

26 novembre 2006: une contribution d’un milliard de francs destinées à favoriser le développement économique et la démocratisation dans les Etats de l’Europe de l’Est est acceptée par 53,4% des Suisses.

8 février 2009: 59,6% des citoyens s’expriment en faveur de l’extension de l’Accord sur la libre circulation des personnes à la Bulgarie et à la Roumanie.

17 mai 2009: l’introduction du passeport biométrique, conforme aux standards prévus par l’Accord de Schengen, est soutenue par 50,1% des votants.

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