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Nucléaire: La Suisse détruit des documents sensibles

Les installations nucléaires libyennes ont-elles profité d'informations livrées par des ingénieurs saint-gallois? Keystone

Le Conseil fédéral a fait détruire en 2007 des documents ultrasensibles liés à un trafic présumé de matériel nucléaire impliquant trois ingénieurs saint-gallois. Ces informations ne devaient pas tomber dans les mains d'organisations terroristes.

C’est Pascal Couchepin, président de la Confédération, qui a divulgué cette information vendredi devant la presse. La destruction a eu lieu en novembre 2007, sous la surveillance de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA et juste après le feu vert du Conseil fédéral (gouvernement).

Pascal Couchepin a affirmé qu’il s’agissait de prévenir des risques «considérables» pour la sécurité de la Suisse et pour respecter les engagements découlant du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.

Pakistan Connection

L’affaire remonte à octobre 2004. Le Ministère public de la Confédération (MPC) avait alors ouvert une enquête judiciaire contre deux ingénieurs saint-gallois, soupçonnés d’être impliqués dans un vaste réseau de livraison de matériel nucléaire à la Libye. Les deux frères auraient également participé au réseau d’Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise.

Arrêté en Allemagne, l’un des hommes fut extradé en Suisse en mai 2005 au titre d’infraction aux lois sur le contrôle des biens et sur le matériel de guerre. L’enquête a été ultérieurement étendue au père des deux ingénieurs.

Plans détaillés pour armes nucléaires

De très nombreux documents et supports électroniques furent saisis par le MPC au domicile des trois hommes dans le canton de St-Gall. Leur analyse révéla le caractère extrêmement sensible de ces données.

«Il s’agissait de plans détaillés pour la fabrication d’armes nucléaires, de centrifugeuses à gaz permettant d’obtenir l’uranium enrichi nécessaire à cette fin ainsi que de systèmes de guidage de missiles», a expliqué Pascal Couchepin.

Le MPC a alors fait appel à l’AIEA, afin d’évaluer ces données. Au cours de l’année 2006, les indices ont amené les magistrats à penser que les puissances nucléaires officielles avaient appris que la Suisse était en possession de ces secrets de fabrication.

Au vu des risques pour la politique de sécurité et pour la politique étrangère que constituait leur possession, le MPC s’est alors adressé au ministre de justice et police Christoph Blocher. Ce dernier a institué un groupe de travail commun à son ministère et au Département fédéral des affaires étrangères.

Compétence institutionnelle

Ensemble, ils sont arrivés à la conclusion que les documents devaient être détruits. Aucune information n’a été donnée sur l’ampleur des fichiers qui ont fini au pilon.

Le gouvernement s’est basé pour ce faire sur les articles de la Constitution qui lui donnent la compétence de prendre des décisions «pour la sauvegarde des intérêts de politique étrangère du pays» et pour éviter «des troubles menaçant gravement la sécurité extérieure ou intérieure».

Enquête pendante

La procédure pénale contre les deux frères et leur père est pendante auprès de l’Office des juges d’instruction fédéraux. Les procès-verbaux de leurs interrogatoires et les autres dossiers de la procédure pénale n’ont pas été concernés par la décision de destruction.

Le Conseil fédéral a toutefois refusé le 29 août 2007 d’autoriser des poursuites pénales contre eux pour actes exécutés sans droit pour un Etat étranger et espionnage militaire au préjudice d’un Etat étranger.

swissinfo et les agences

Le Pakistan n’a pas adhéré au Traité de non-prolifération nucléaire dont l’application est garantie par l’AIEA.

En mai 1998, Islamabad a procédé à plusieurs essais nucléaires militaires.

Le Pakistan a développé l’arme nucléaire principalement sous la supervision du docteur Abdul Quadeer Khan.

Ce scientifique formé en Occident a reconnu, en janvier 2004, avoir participé à un trafic d’armes nucléaires à destination de la Corée du Nord, de la Libye et de l’Iran.

Quant à la Libye, elle a officiellement renoncé à son programme nucléaire en 2003.

Auparavant, le gouvernement de Mouammar Kadhafi avait déployé de nombreux efforts clandestins pour acquérir l’arme atomique.

La Constitution suisse contient des articles qui permettent au gouvernement de prendre les décisions nécessaires lorsque l’intérêt du pays l’exige et de veiller «à la sécurité extérieure ou intérieure».

Ces dispositions forment manifestement la base légale justifiant la destruction de la moitié du dossier pénal dans l’enquête sur les trois complices suisses du réseau de trafic nucléaire avec la Libye et le Pakistan.

En 1999, la ministre de la Justice de l’époque Ruth Metzler avait invoqué l’intérêt du pays pour expulser Maurice Papon, un ancien haut fonctionnaire de Vichy condamné pour crimes contre l’humanité et refugié secrètement en Suisse.

Une longue et délicate procédure d’extradition qui aurait pu mettre à mal les relations avec la France avait ainsi été évitée.

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