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Pourquoi les Etats-Unis cassent du banquier suisse

Alors que la crise financière et économique fait rage, les Etats-Unis, en guerre, ont besoin d'argent et redeviennent protectionnistes. La banque suisse en fait les frais, suggère David Laufer, qui publie un livre d'entretiens.

Conseiller en communication et écrivain, cet historien formé à Lausanne et la Sorbonne publie «Mon banquier m’a dit… Qui veut détruire la banque suisse?». Un ouvrage écrit en plein tsunami financier, qui met en alerte.

swissinfo: Pour reprendre le titre de votre ouvrage, qui veut détruire la banque suisse?

David Laufer: D’abord, il ne s’agit pas juste d’un titre accrocheur, les dangers sont très sérieux. La banque suisse, représentée par ses méga-banques aux Etats-Unis, et un grand nombre d’acteurs derrière, se bat non pour sa survie, mais pour sa position sur la planète bancaire. Qui veut détruire la banque suisse? D’une part, le fisc américain, qui a décidé de donner suite à l’affaire des fonds en déshérence.

Les Etats-Unis sont confrontés à la guerre en Irak, qui coûte extrêmement cher. L’Etat a dépensé trois trillions de dollars dans cette guerre et continue d’en dépenser dix milliards par mois. Cet argent doit venir de quelque part – être, donc, ponctionné sur les impôts.

Cette guerre est un des aspects cruciaux de la crise financière et économique actuelle, qui leur a déjà coûté des centaines de milliards, avec des déficits commercial et budgétaire records. La situation économique et budgétaire aux Etats-Unis est quasiment inégalée en terme de catastrophe.

Les Etats-Unis ont laissé venir les banques suisses sur leur territoire, qui se sont fait, pendant des années, des sommes records sur ce marché. Puis est arrivée l’occasion idéale: UBS mise à terre à cause des «subprime». Les Etats-Unis ont attendu que les banques suisses sur place se trouvent en position de faiblesse pour leur sauter à la gorge et entamer des poursuites judiciaires.

swissinfo: Et la suite?

D.L.: Aujourd’hui, nous ne sommes pas en position de prédire la suite. Le pan judiciaire de l’affaire UBS [et désormais Credit Suisse] aux Etats-Unis ne fait que commencer. Il est très possible que dans les mois prochains survienne une avalanche de poursuites judiciaires de clients d’UBS, au nom des accords passés entre la banque et le fisc américain.

Ces accords, conclus lors de l’entrée d’UBS sur le marché américain, stipulent que le secret bancaire ne s’applique pas aux clients américains [seul dans le monde avec celui de la Corée du Nord, le fisc US fonctionne de manière extraterritoriale: les Américains lui versent des impôts où qu’ils habitent sur la planète]. UBS a donc commencé à signaler ses clients au fisc américain sans en informer ces derniers. Ce qui contrevient aux lois contractuelles essentielles entre un banquier et son client.

Pourquoi UBS agit ainsi: parce qu’elle a pratiqué de l’évasion fiscale. En cherchant à se dédouaner, elle fait davantage plaisir au fisc qu’aux clients, ayant estimé plus dangereux d’avoir le fisc comme ennemi que ses clients. Il n’empêche: si les clients aux Etats-Unis, par dizaine de milliers, se mettent ensemble à lancer des «class actions», la survie d’UBS sera en jeu.

Outre ces multiples périls sur le marché américain, l’autre danger pour la banque suisse vient de l’intérieur. Est-ce de l’incompétence, de la naïveté, de la légèreté, de l’arrogance? Toujours est-il qu’il y a manifestement eu des légèretés de management extrêmement dommageables sur le long terme au top niveau d’UBS et de plusieurs institutions bancaires suisses.

swissinfo: Dans votre livre, une des thèses fortes est cette idée que le fisc américain tente d’éjecter les banques suisses du marché américain et de casser le secret bancaire.

D.L.: Sur le plan de la philosophie politique, les Etats-Unis ne sont pas un pays libre-échangiste. Ils pensent avant tout à leurs propres intérêts. Tant que ces intérêts sont dans le libre-échange total, ils l’appuient.

Mais le jour où le crédit se contracte, le déficit augmente et la guerre coûte trop chère, la chose est entendue: vous ne dites pas aux invités de rester autour de la table et de continuer à s’empiffrer avec votre poulet. Vous les jetez et gardez le poulet pour vous. C’est mécanique.

swissinfo: En clair, derrière les bons sentiments qui incitent à combattre le secret bancaire se cache aussi un agenda politique…

D.L.: C’est un des messages clé du livre: rappeler aux citoyens suisses, dans un pays qui dépend beaucoup de la santé de ses services financiers, et aux banquiers eux-mêmes, que nous nous trouvons dans une bataille d’image, extrêmement cynique. Rappeler que les Etats-Unis ne reculent devant rien et que nous fonder sur notre seul bon droit ne résout que très peu de problèmes. Et parfois même, les aggravent.

En brandissant la nature démocratique du secret bancaire – qui est une réalité – on oublie que le contexte général est largement anti-secret bancaire et pro-transparence. Il faut donc faire très attention à ce qu’on défend, à la manière dont on le fait et aux armes utilisées par le camp d’en face.

Les Etats-Unis sont prêts à passer par des excuses bidons, des combats et des prétextes moraux. Ils se sont servis des fonds en déshérence, de la Shoa, pour mettre en avant des avantages commerciaux, ce qui me choque encore aujourd’hui. Mais l’enjeu est tellement gigantesque: le cœur de la finance mondiale, des sommes qui n’ont plus aucune réalité tellement elles sont énormes.

Je n’enjoins pas les politiques et les banquiers suisses à faire de même, mais à être conscients qu’en face, des gens ne reculent devant rien.

swissinfo: La Suisse est-elle de taille à résister à cette pression?

D.L.: Elle en a les moyens. La crise actuelle est aussi grave que celle des fonds en déshérence qui, elle, nous a pris par surprise. Nous, c’est à dire les banques et un peuple entier.

Cette affaire a permis à la population et aux faiseurs d’opinion de s’interroger sur le rôle de la Suisse durant la Seconde guerre mondiale. C’est une des clés de la réponse. L’arme principale de la Suisse, dans ces tournants, ce sont ses institutions et ses traditions de démocratie directe.

La façon dont on a réagi en 1996, les succès enregistrés ensuite – l’accord sur la fiscalité avec l’Union européenne, les accords bilatéraux – ne doivent rien à quelques cerveaux de génie, mais à des institutions particulièrement adaptées à notre pays et particulièrement efficaces.

Du reste, pour les banquiers, ces institutions sont un avantage comparatif prépondérant. La place bancaire suisse n’a pas attendu le secret bancaire pour être forte. Il faut répéter ce message, cela évite la crispation autour du secret bancaire.

Le secret bancaire, je n’exclus pas que la Suisse doive s’en défaire un jour. Ce sera une défaite diplomatique, mais pas une catastrophe nationale. Cet abandon ne signalera pas la fin de la place bancaire suisse.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson

Publié aux éditions Xenia, le livre de David Laufer contient des entretiens sur l’avenir de la place financière suisse dans la crise financière mondiale.

Les personnalités interviewées vont du sénateur socialiste Alain Berset à l’ex-patron de la SBS Georges Blum en passant par Michel Dérobert, de l’Association des banquiers privés.

Autres regards proposés, ceux de Matthias-Leonhard Lang, directeur d’une banque étrangère en Suisse, Christophe Reymond, représentant patronal et Luis Suarez-Villa, professeur à l’Université de Californie.

La place financière suisse «pèse» 192’900 postes de travail (2007), dont 119’900 dans le seul secteur bancaire. C’est 6% du total de l’emploi en Suisse.

Ce secteur réalise 11,5% de la création de valeur totale de l’économie suisse ou 52,6 milliards de francs en 2005.

Le secteur financier génère le quart de l’excédent de la balance suisse des transactions courantes (balance commerciale + balance des invisibles comprenant les services, revenus et transferts).

Les seules banques suisses gèrent un tiers de la fortune privée internationale et contribuent aux finances publiques pour un montant situé entre 10 et 15 milliards de francs.

En 1998, UBS et Credit Suisse ont conclu un accord avec les organisations juives prévoyant le versement de 1,25 milliard de dollars en faveur des survivants de l’Holocauste et de leurs ayants droit.

C’était la fin d’une longue controverse qui a contraint la Suisse à établir la vérité sur son rôle durant la Seconde Guerre mondial et donné lieu aux Etats-Unis à des plaintes collectives des organisations juives représentées par des avocats américains.

Dans cette affaire, les grandes banques suisses étaient accusées d’avoir empêché les héritiers des détenteurs de comptes bancaires de récupérer les fonds que les membres de leur famille avaient déposé avant d’être envoyés vers les camps de concentration allemands.

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