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Suisse – Tunisie: des relations plutôt tièdes

Le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali (gauche) et son homologue suisse Samuel Schmid lors du Sommet mondial sur la société de l'information en 2005. Keystone

Les années Ben Ali n’ont pas été celles de l’idylle entre Berne et Tunis. En 2005, le président suisse Samuel Schmid avait rappelé vertement le régime à ses obligations en matière de droits de l’homme. Un coup d’éclat pour les uns, juste un devoir pour les autres.

«Ce qui est arrivé montre qu’on ne peut pas brider trop longtemps la liberté. La population et les moyens de communication moderne ont contribué à faire tomber ce régime», se réjouit aujourd’hui Samuel Schmid, qui espère une transition «sans effusion de sang».

Depuis sa prise de pouvoir en 1987, les relations entre la Suisse et le régime du président Zine el-Abidine Ben Ali ont été plutôt tièdes. «Les relations bilatérales entre les deux Etats sont parfois affectées par des positions divergentes en matière de respect des droits de l’homme», écrit, dans un langage parfaitement diplomatique, le site internet du ministère suisse des Affaires étrangères.

Signe de cette tiédeur: la représentation diplomatique tunisienne à Berne a régulièrement manqué d’un locataire ayant rang d’ambassadeur. De 1995 à 2000, elle était dirigée par un chargé d’affaires et depuis, les périodes de vacance ont été nombreuses.

«Ce n’était pas une relation ouverte et absolument amicale», confirme Samuel Schmid, qui siégea au gouvernement suisse entre 2000 et 2008. «Et j’espère que cela va changer maintenant», ajoute le paisible ancien ministre, auteur en novembre 2005 à Tunis d’un coup de gueule dont le monde se souvient encore.

Coup d’éclat

A l’époque, la capitale tunisienne accueille, après Genève en 2003, le second volet du Sommet mondial de la société de l’information. Et Samuel Schmid occupe cette année-là la présidence tournante de la Confédération.

Face à un parterre de chefs d’Etat dont Ben Ali au premier rang, le Suisse juge «pas acceptable que l’ONU compte encore, parmi ses membres, des Etats qui emprisonnent des citoyens au seul motif qu’ils ont critiqué leurs autorités sur Internet ou dans la presse». Et pour être sûr d’être bien compris, le président ajoute: «pour moi, il va de soi qu’ici à Tunis, dans ces murs mais aussi à l’extérieur, tout un chacun puisse discuter en toute liberté».

Aussitôt censuré par la télévision nationale, ce discours vaudra notamment à swissinfo.ch plus de cinq ans de purgatoire en Tunisie, où – mis à part une courte période de quelques mois -, le site n’a plus été accessible jusque à la semaine dernière.

«En 2005, il n’y avait pas de liberté d’expression, cela se savait. Il y avait une censure plus ou moins stricte et je ne voulais pas que ce sommet soit instrumentalisé pour cimenter un tel système. Je voulais au contraire saisir l’occasion pour appeler les choses par leur nom», se souvient aujourd’hui Samuel Schmid.

«La Suisse de l’Afrique du Nord»

Cette reconnaissance du caractère dictatorial et liberticide du régime Ben Ali n’est pas toujours allée de soi en Suisse. Réfugié politique arrivé en 1992, Ali Belhadj se souvient qu’à l’époque, «la situation de quasi guerre civile en Algérie cachait la situation tunisienne». Les Suisses ne connaissaient pas bien la Tunisie, alors considérée un peu comme «la Suisse de l’Afrique du Nord».

Dans un premier temps, cet animateur de l’Association Ez-Zeitouna, qui rassemble des familles de réfugiés tunisiens en Suisse, voit d’ailleurs sa demande d’asile refusée et doit faire recours. «En 1995, j’ai finalement reçu le statut de réfugié, et là, la cause tunisienne était très claire dans l’esprit des dirigeants suisses, se félicite-t-il. Et depuis cette époque, les opposants tunisiens reçoivent facilement le statut, parfois en deux ou trois mois».

Anouar Gharbi, coordinateur du Comité de soutien du peuple tunisien, n’est pas un réfugié politique. Avec son épouse suissesse, il a choisi de quitter la Tunisie en 1991 en découvrant son nom sur une liste de personnes recherchées.

«Je suis syndicaliste, et ce que je n’ai pas pu faire en Tunisie, j’ai pu le faire en Suisse», explique-t-il. Lorsqu’en 1995, le président Ben Ali vient à Genève pour une session du Bureau international du travail, l’exilé est un des organisateurs de la manifestation qui dénonce cette visite. A noter qu’à l’époque, ni le gouvernement fédéral ni celui du canton de Genève ne viennent accueillir officiellement l’homme fort de Tunis.

Quant à lui, Anouar Gharbi estime que c’est à partir de 2000 seulement que les opposants tunisiens ont été vraiment pris au sérieux en Suisse. «Là, on a commencé à se rendre compte qu’en Tunisie, on tapait sur tout le monde, et ça devenait un peu trop», se souvient le syndicaliste. Et de rappeler le dicton que des milliers de touristes n’ont pas pu, pas su ou pas voulu entendre pendant toutes ces années: «Tunisie, les vacances au soleil, la torture à l’ombre».

Une première

En février 2001, les relations entre la Suisse et la Tunisie ont bien failli se gâter sérieusement. Abdallah Kallel, ancien ministre tunisien de l’Intérieur, décrit par les ONG comme un des tortionnaires en chef du régime Ben Ali, manque d’être arrêté à Genève, sur plainte d’Abdennacer Naït-Liman, président d’une association de victimes de la torture en Tunisie.

L’ancien ministre parvient à s’échapper juste avant l’arrivée de la police, mais le fait est là: la justice genevoise s’est déclarée compétente pour le juger en vertu de la convention des Nations Unies contre la torture. Aujourd’hui, l’homme court toujours et l’affaire est toujours pendante.

Fin 2005, après le coup d’éclat de son collègue président à Tunis, la cheffe de la diplomatie Micheline Calmy-Rey reçoit à Berne quatre opposants tunisiens, en signe de l’«intérêt» que porte la Suisse au respect des droits de l’homme. Une première pour un ministre occidental des Affaires étrangères, qui déclenche l’ire du régime Ben Ali.

Ni pire ni meilleure

Au final, peut-on dire que la Suisse a été plus courageuse que les autres dans sa manière de hausser le ton contre la dictature tunisienne ? «Si on compare notre attitude à celles de l’Allemagne, des Pays-Bas ou du Danemark – ne parlons pas de la France, dont on voit si souvent le président serrer la main des dictateurs -, honnêtement, je ne sais pas», admet Manon Schick, porte parole et nouvelle directrice de la section suisse d’Amnesty International.

«Il est vrai que la Suisse avait fait très fort avec le discours de Samuel Schmid à Tunis en 2005, poursuit-elle. Mais en même temps, elle avait accueilli le sommet préparatoire. C’était donc à elle plus qu’à d’autres pays de mettre ces problèmes en lumière».

Et Manon Schick de conclure: «l’attitude de la Suisse vis-à-vis de la Tunisie de Ben Ali, c’est un peu la même qu’avec tous les autres. On protège les opposants, mais on ne remet pas en cause les relations d’Etat à Etat».

Le Monde. La famille du président déchu Zine El Abidine Ben Ali se serait enfuie de Tunisie avec 1,5 tonne d’or, selon le journal Le Monde qui cite des sources à la présidence française.

Banque centrale. Selon les services secrets français cités par Le Monde, Leïla Trabelsi, la femme du président, «se serait rendue à la Banque centrale de Tunisie chercher des lingots d’or». Elle aurait essuyé un refus du gouverneur, avant qu’il ne cède sous la pression de Zine El Abidine Ben Ali.

Démenti. Cette information a été démentie par la Banque centrale de Tunisie.

En Suisse? De l’argent des familles Ben Ali et Trabelsi se trouverait également dans des banques en Europe, notamment en Suisse.

Demande de gel. L’avocat du Comité de soutien du peuple tunisien a déposé aujourd’hui une dénonciation pénale et une requête de mesures urgentes auprès du Ministère public de la Confédération pour le gel, en Suisse, de tous les avoirs du clan Ben Ali.

Réponse officielle. Le Parti socialiste a également exigé un tel blocage dimanche. Le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) a répondu que «la Suisse se réserve la possibilité de prendre les mesures appropriées, y compris celle de bloquer de tels fonds».

Sources: AFP/ATS

Avec une superficie de 163’610 km2, la Tunisie, qui compte 10,33 millions d’habitants, est quatre fois plus grande que la Suisse.

En Suisse vivent entre 8000 et 9000 ressortissants tunisiens.

En Tunisie vivent 1215 ressortissants suisses (chiffres 2009).

Exportations suisses 2009: CHF 209,09 millions (+45,6% par rapport à l’année précédente).

Les exportations suisses représentent les produits traditionnellement exportés, à savoir, les machines (36.6%) et les produits pharmaceutiques (24.6%), mais aussi les textiles (8.5%), les produits agricoles (5.7%) et les pierres précieuses (5.3%).

 
Importations suisses 2009: CHF 37,4 millions (+20,6% par rapport à l’année précédente).

Les importations suisses, elles sont essentiellement concentrées dans les secteurs des pierres précieuses (28.2%), des machines (18.3%) et des produits agricoles (16.0%).

(collaboration: Jessica Dacey et Christian Raaflaub)

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