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Tour de vis américain contre l’évasion fiscale

Barack Obama lors de la signature de la nouvelle loi. Keystone

Les Etats-Unis franchissent un nouveau pas dans lutte contre l’évasion fiscale. Une nouvelle loi prévoit que dès 2013, les instituts financiers étrangers seront tenus de dévoiler leurs relations bancaires avec des contribuables américains au fisc des Etats-Unis. Conséquences sur les places financières du monde entier en perspective.

Le règlement fiscal concernant les instituts financiers étrangers est fixé dans le «Foreign Account Tax Compliance Act», et fait partie intégrante de la loi contre le chômage, approuvée mercredi par le Sénat américain par 68 voix contre 29. Un texte en faveur duquel se sont d’ailleurs aussi prononcés 11 Républicains.

La loi sur «le job», comme l’ont intitulée les médias d’outre-Atlantique, prévoit avant tout une série d’allégements fiscaux pour les entreprises qui embauchent des chômeurs, de même qu’un financement pour des projets d’infrastructure. Une enveloppe de 18 milliards de dollars a été libérée à cet effet. «La loi doit faciliter la création de nouveaux emplois dans l’économie privée», a indiqué le président Barack Obama, jeudi, lors de la signature du texte à la Maison Blanche.

Lutte contre le chômage

Concernant la nouvelle base légale en matière de lutte contre l’évasion fiscale, de nombreux détails restent encore ouverts, mais à l’évidence, les instituts financiers qui ne dévoileront pas les données de leurs clients et contribuables américains, devront verser un impôt à la source de 30% sur toutes leurs transactions liées à des valeurs américaines.

Par ce durcissement des conditions visant les instituts financiers étrangers, le gouvernement américain espère une augmentation des rentrées fiscales d’environ 8,5 milliards de dollars pour la prochaine décennie. Ce montant devrait permettre de cofinancer la mise en œuvre de la loi sur le chômage.

Ailleurs, en Suisse notamment, ces nouvelles conditions visant les sociétés financières défrayent la chronique, alors que sur le continent américain, les médias n’ont pratiquement pas évoqué la nouvelle loi contre le chômage. Même dans les blogs, les internautes s’interrogent avant tout sur l’efficacité de la loi en matière de création d’emploi.

Le New York Times, qui accorde habituellement d’importants espaces dans ses colonnes à la lutte américaine contre l’évasion fiscale et au débat sur le secret bancaire helvétique, s’est contenté d’évoquer le sujet en une seule phrase dans son édition de jeudi: «Les mesures (soit les allègements fiscaux, ndlr), seront partiellement financées par le biais d’un durcissement de la lutte contre les paradis fiscaux».

Credit Suisse et UBS se sont abstenus de commenter ce virement législatif, jeudi à New York. Avant de livrer une appréciation, les deux géants bancaires helvétiques ont indiqué vouloir évaluer ces mesures dans les détails, a précisé un porte-parole de CS à New York, contacté par swissinfo. Quant à UBS, une représentante a souligné que pour des réactions à chaud, mieux valait s’adresser à l’Association suisse des banquiers, ainsi qu’à la Swiss Funds Association (organisation faîtière des fonds de placements collectifs de capitaux et de leurs gestionnaires en Suisse).

Pas d’acharnement contre la Suisse

De nombreux détails doivent encore être précisés et pour l’heure, les répercussions concrètes pour la place financière suisse restent difficiles à évaluer. Seule certitude en l’état: la loi ne traduit pas un acharnement contre les banques suisses. De fait, le nouveau texte légal pourrait avoir un impact déterminant sur l’activité de milliers de sociétés financières de par le monde.

Selon les médias suisses, qui relayaient les propos de l’Association suisse des banquiers (Swiss banking) et de l’Association suisse des gérants de fortune (ASG), un sentiment de soulagement prévalait à l’annonce de ce changement global, qui ne vise pas que les instituts financiers helvétiques.

Le fait que les banques et autres instituts du monde entier soient touchés n’est pas une consolation pour autant, car les conséquences de ce durcissement pourraient être très importantes, comme le soulignait un article publié dans la Neue Zürcher Zeitung (NZZ).

Pas une surprise

L’aval du nouveau texte de loi n’a pas créé la surprise et les comités du Congrès s’étaient déjà fait à l’idée de ce changement depuis un certain temps. Ces derniers mois, des associations internationales du secteur de la finance avaient bien tenté de tempérer ces amorces de changement, mais sans grand succès. La mise en œuvre de la loi pourrait à elle seule entraîner des coûts importants pour les instituts financiers.

Selon la NZZ, la «Compliance» pourrait s’avérer très incisive pour les instituts financiers du monde entier, indépendamment de la question du secret bancaire. Dans tous les pays, les instituts concernés devraient soumettre leurs activités à d’importants changement juridiques et organisationnels.

De plus, dans les milieux financiers, on estime que la nouvelle loi pourrait également entraîner des effets négatifs pour le marché financier américain, car elle pourrait susciter la méfiance d’investisseurs étrangers.

Avec le ministère des finances

La nouvelle base légale prévoit que les sociétés financières étrangères, soit les banques, les fonds de placements et autres instituts financiers, souscrivent un accord bilatéral avec le ministère américain des finances. Il s’agit de fournir les données détaillées de leurs clients contribuables aux Etats-Unis (US Persons) à l’IRS (le fisc américain), soit les nom, adresse, numéro fiscal américain de même que le numéro de compte et de dépôt de ces personnes.

Les instituts financiers qui ne se soumettront pas à l’accord en question, devront s’acquitter d’un impôt à la source de 30% sur les rendements de leurs valeurs américaines sous gestion.

Selon la NZZ, la mesure concernerait les dépôts de clients et la gestion de fonds personnels.

De son côté, l’«American Citizens Abroad», soit l’organisation des Américains de l’étranger, a critiqué la nouvelle loi, rappelant que ces derniers mois, il était devenu particulièrement difficile de détenir un compte à l’étranger ou d’en ouvrir un.

Rita Emch, swissinfo.ch, New York
(Traduction de l’allemand: Nicole della Pietra)

Les accords bilatéraux paraphés entre des banques et les autorités fiscales américaines ne sont pas une nouveauté. De nombreuses banques ont déjà adhéré à l’accord de «Qualified Intermediary» (QI).

Les clients américains ayant investi dans des valeurs américaines autorisent leur banque à livrer leur identité à l’autorité fiscale de leur pays, soit l’IRS. Le cas échéant, les dividendes et les intérêts en découlant, échappent à un prélèvement fiscal à la source de 30%.

La nouvelle loi peut être considérée comme un complément du programme QI. Les règles prévalant jusqu’alors pour les personnes physiques seront désormais aussi applicables aux personnes morales, élargissant ainsi le cercle des sujets concernés aux instituts financiers.

Les soupçons des autorités fiscales américaines à l’égard d’UBS, soupçonnée d’avoir bafoué les accords QI, sont à l’origine de la bataille fiscale qui oppose l’IRS à la grande banque et qui ont conduit à l’ouverture d’une enquête.

L’instruction avait permis de mettre à jour l’aide apportée par l’UBS à des contribuables américains, afin que ceux-ci puisse éluder le fisc de leur pays par le biais de sociétés écrans off shore, telles que des fondations. La nouvelle loi vise désormais aussi les personnes morales et comble ainsi une lacune.

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