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L’UE regrette mais ne sévira pas

Malgré la clause de sauvegarde, l'ambassadeur de l'UE Richard Jones reste optimiste sur les relations entre la Suisse et l'UE. Keystone

L’ambassadeur de l’Union européenne à Berne regrette que le gouvernement suisse apporte des restrictions à la libre circulation des personnes. Richard Jones juge toutefois peu probables des mesures de rétorsion à l’encontre des Suisses désireux de vivre et de travailler dans l’UE.

La décision (mercredi) du gouvernement d’activer la clause de sauvegarde contenue dans l’accord de libre circulation des personnes intervient au moment même où Berne et Bruxelles discutent de l’avenir de leurs relations bilatérales, principalement en matière de fiscalité et d’institutions. Elle intervient aussi à quelques mois des votes sur deux initiatives populaires demandant un frein à l’immigration.

Dans une Europe en grande partie en proie à la crise économique, la prospérité suisse agit comme un aimant. 

En janvier 2013, le nombre d’immigrés en provenance de l’UE-17 a augmenté de presque 33% par rapport à janvier 2012. Parmi les ressortissants de l’UE-8 (pays de l’Est), cette hausse a atteint presque 50%. 

5500 immigrés de l’UE-17 ont obtenu une autorisation de séjour prolongée en janvier. C’est le 2e plus important afflux mensuel depuis début 2009. Le principal pays d’émigration vers la Suisse est l’Allemagne, suivie de l’Italie, du Portugal, de la France et de l’Espagne. 

Au total, plus de 79’000 ressortissants de l’UE-17 et 13’500 de l’UE-8 sont arrivés en Suisses entre février 2012 et janvier 2013.

swissinfo.ch: Quelle est votre réponse au fait que le gouvernement suisse veuille limiter le nombre de permis accordés aux citoyens de l’UE?

Richard Jones: L’Union européenne regrette cette décision. Nous considérons qu’elle n’est pas justifiée compte tenu de la situation économique objective en Suisse. Par ailleurs, la libre circulation des personnes deviendra totale l’année prochaine; nous estimons donc qu’il est un peu paradoxal d’introduire de nouvelles mesures de sauvegarde si tard.

Nous avons également un problème avec la manière dont cette décision est intervenue: en créant ces groupes d’Etats-membres, le soi-disant groupe des huit et le soi-disant groupe des dix-sept. Cette sorte de différentiation n’est pas prévue par l’accord de libre circulation. Et surtout, elle va à l’encontre d’un principe clef du fonctionnement de l’UE. Etant une union, nous sommes unis et nous ne faisons pas de différence entre des groupes d’Etats.

De notre côté, nous ne ferions en aucun cas de différences entres des groupes de cantons…

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La Suisse décide de freiner l’immigration européenne

Ce contenu a été publié sur Le Conseil fédéral (gouvernement) a décidé mercredi d’étendre pour un an à tous les ressortissants de l’Union européenne un contingentement des permis de travail de longue durée, un dispositif qui était déjà en place depuis un an pour les ressortissants de huit pays d’Europe centrale et orientale. La clause dite «de sauvegarde», fixée dans l’accord bilatéral, permet…

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swissinfo.ch: Vous avez évoqué la situation économique en Suisse. Mais qu’en est-il de la situation politique? Cette décision n’est-elle pas un signal donné à la population pour lui montrer que quelque chose est entrepris contre l’immigration?

R. J. : Il ne m’appartient pas de commenter le discours politique entre le gouvernement suisse et le peuple suisse.

Mais j’aimerais dire que nous nous trouvons dans la dernière année de transition de l’accord de libre circulation. Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il ne sera plus possible d’introduire d’autres mesures de sauvegarde au terme de cette période – ce n’est pas prévu dans l’accord. Nous aimerions donc plutôt nous préparer à cette nouvelle période.

swissinfo.ch: Est-il possible que l’UE adopte des mesures similaires à l’encontre des Suisses, en limitant le nombre de ceux qui veulent vivre et travailler dans l’Union?

R. J. : L’accord stipule que la Suisse peut prendre des mesures pour limiter l’immigration en provenance de l’UE. Mais la réciproque n’est pas prévue.

Plus important encore, la libre circulation des personnes est d’une incroyable importance pour l’UE. Le fait qu’autant de citoyens suisses vivent et travaillent à l’intérieur des Etats-membres est extrêmement bénéfique pour nous et bénéfique pour la Suisse – ils contribuent de manière importante à notre vie économique. Je pense qu’il serait donc un peu étrange de s’engager dans cette voie.

swissinfo.ch: L’activation de la clause de sauvegarde pourrait-elle rendre les discussions plus difficiles dans d’autres dossiers, comme celui du secret bancaire?

R. J. : L’esprit des institutions est de toujours juger chaque dossier individuellement et de ne pas mélanger des choses qui ne sont pas semblables.

La seule chose à prendre ici en considération, c’est que nous ne connaissons pas les répercussions que l’activation de la clause de sauvegarde aura sur les Etats-membres. Or il faut garder à l’esprit qu’au final chaque accord doit être approuvé par les Etats-membres.

L’accord de libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE a été signé en 1999 et est entré en vigueur le 1er juin 2002 avec les 15 Etats qui étaient membres de l’UE à cette époque (UE-15).

  

Le 1er avril 2006, il a été étendu aux dix Etats qui avaient rejoint l’UE en 2004. Chypre et Malte ont immédiatement été intégrés aux règles valables pour les 15 premiers pays; l’UE-15 est donc devenue l’

UE-17. Les huit autres pays forment le groupe UE-8.

  

Depuis le 1er juin 2009, l’accord s’applique aussi aux derniers Etats membres de l’UE: la Bulgarie et la Roumanie (UE-2).

L’application de l’accord se fait en trois phases.

  

Dans la première, la libre circulation n’est pas totale, mais est soumise à des contingents.

Dans la seconde, la libre circulation est totale, mais la Suisse a la possibilité d’appliquer une clause de sauvegarde (réintroduction de contingents) si le nombre d’autorisations de séjour dépasse d’au moins 10% la moyenne annuelle des autorisations émises au cours des trois années précédentes. La clause de sauvegarde ne peut être activée que sur une période de deux ans au maximum.

Dans la troisième, la libre circulation est totale et sans clause de sauvegarde.

L’accord de libre circulation vaut également entre la Suisse et les trois pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE): le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande.

swissinfo.ch: Beaucoup de gens en Suisse sont d’avis qu’il faut limiter l’immigration. Comment feriez-vous pour les convaincre qu’ils ont tort?

R. J. : La libre circulation des personnes a représenté une formidable réussite pour la Suisse. Elle a constitué un facteur très important dans le succès économique dont le pays a profité ces dernières années et je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles il s’en sort relativement bien en cette période de crise économique mondiale. Dernier point, mais pas des moindres, la libre circulation augmente la liberté individuelle de chacun.

Ceci dit, un tel développement économique s’accompagne de difficultés et je pense que ces difficultés devraient être discutées, qu’il s’agisse de l’infrastructure, du prix de l’immobilier, des écoles, etc.

Je pense que nous devrions nous concentrer sur ce genre de dossiers de manière individuelle plutôt que de tout ramener à la libre circulation des personnes, tout en nous rappelant tous les bénéfices que la libre circulation a apporté tant à ce pays qu’à l’UE. C’est une véritable situation gagnant-gagnant.

swissinfo.ch: Néanmoins, beaucoup de Suisse craignent l’UE. Comprenez-vous cette résistance?

R. J. : Nous, dans l’UE, nous voulons regarder la Suisse telle qu’elle est et nous avons besoin de comprendre le débat qui se déroule en Suisse et les préoccupations que les Suisses ont.

De la même façon, je pense que plus certains mythes entourant l’UE seront discutés en Suisse plus les craintes des Suisses seront peut-être dissipées. Par exemple, on a parfois le sentiment que le but ultime de l’UE est de gommer les différences entre les pays. Mais ce n’est définitivement pas le cas. Nous sommes 27 membres «unis dans la diversité» – tout comme en Suisse.

swissinfo.ch: Vous avez récemment déclaré que les discussions sur les relations institutionnelles étaient difficiles, mais qu’elles se déroulaient bien. Combien de temps vont-elles encore prendre?

R. J.: Je ne peux pas apporter de réponse définitive. Tout ce que je peux dire, c’est que nous-mêmes et nos collègues suisses avons eu la volonté de travailler vite dans le cadre de ces discussions exploratoires, que les progrès ont été extrêmement rapides depuis le début de cette année et que nous entendons poursuivre sur cette lancée.

swissinfo.ch: Etes-vous optimiste quant aux chances de trouver une bonne solution?

R. J. : Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini. Mais je suis optimiste compte tenu de l’élan qui a été imprimé et de l’atmosphère dans laquelle ces discussions exploratoires ont été menées. C’est un dossier difficile – si ce n’était pas le cas, nous n’y aurions pas consacré autant d’heures et à un niveau aussi élevé. Il n’y a évidemment aucune garantie, mais je pense que nous allons dans la bonne direction.

L’introduction de contingents pour les citoyens des 15 Etats historiques de l’UE, à l’exception de Chypre et Malte, n’aura en principe que des effets minimes sur l’immigration. Par rapport à la période actuelle, cela devrait éviter l’arrivée durable en Suisse de 4000 à 5000 personnes. 

La clause de sauvegarde ne pourra être étendue aux 15 Etats historiques de l’UE, à l’exception de Chypre et Malte, que si la barre des 56’268 permis de séjour de type B (cinq ans au plus) est franchie d’ici fin mai. Le seuil sera certainement atteint, a assuré la ministre Simonetta Sommaruga mercredi devant la presse.

Il manque actuellement encore 3376 permis B pour que la Suisse puisse fermer les vannes. Au cours des derniers mois, 4868 autorisations de ce type ont été délivrées en moyenne mensuellement à des Français, des Italiens, des Portugais ou autres Allemands. De juin à fin mai 2014, le Conseil fédéral ne leur accordera que 53’700 permis. 

Le gouvernement suisse a également reconduit les contingents de permis de séjour pour l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie et la République tchèque. Environ 2180 autorisations sont prévues pour les ressortissants de ces huit Etats de l’Est de l’Europe.  

Dans la pratique, le contingentement des permis B ne fait qu’accroître la demande pour les permis L de courte durée (maximum un an), comme cela a pu être constaté lors de l’activation en 2012 de la clause de sauvegarde pour les huit pays de l’Est de l’UE. 

Le seuil de permis L a ainsi été dépassé pour ces pays, ce qui permet au Conseil fédéral d’activer la clause de sauvegarde pour cette catégorie. Les permis L, tout comme les permis G (frontaliers) des 15 Etats historiques de l’UE ne sont en revanche pas touchés par cette mesure. 

Plus de 1,2 million d’Européens vivent actuellement en Suisse.

(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

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