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«Dans les bureaux, les élections ont été correctes»

Le Kirghizistan est alphabétisé à 99%, ce qui facilite la fonctionnement démocratique. AFP

Le résultat des récentes élections au Kirghizistan est très controversé sur la scène internationale. L'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) critique ce scrutin, qu'elle qualifie de frauduleux. Observatrice suisse dépêchée sur place, Kathy Riklin livre son impression.

Selon les dernières indications fournies par la commission électorale kirghize, le candidat sortant réélu Kurmanbek Bakiev a obtenu 76% des suffrages lors des élections du 24 juillet. Son plus important rival, Almasbek Atambaiev, n’a remporté que 8% des voix. L’opposition dénonce une «fraude honteuse».

La conseillère nationale (députée) Kathy Riklin a séjourné au Kirghizistan en qualité d’observatrice de l’OSCE. La démocrate chrétienne (PDC / centre droit) pose un regard plus nuancé sur ces événements.

swissinfo.ch: Vous avez suivi les élections au Kirghizistan en qualité d’observatrice de l’OSCE. Vous êtes-vous sentie limitée dans l’accomplissement de votre tâche?

Kathy Riklin: Nous avons pu nous déplacer en toute liberté. Les gens étaient aimables et attentionnés. C’est une population très chaleureuse!

Nous nous trouvions dans une région proche des frontières kazakhe et chinoise. Une zone dans laquelle sont disséminées des communautés agricoles qui comptent entre 1’000 et 2’000 électeurs.

swissinfo.ch: Quels sont les aspects qui ont requis une vigilance particulière de votre part?

K.R.: Pour être immatriculé sur une liste électorale, il faut présenter un passeport, une carte d’identité ou un permis de conduire. Et ce n’est qu’après avoir dûment signé un document que le bulletin électoral, qui comportait les six noms des candidats, était remis à l’électeur. Ensuite de quoi, la liste était glissée dans une urne transparente.

Nous avons dû vérifier que les urnes étaient bien vides avant l’ouverture des bureaux de vote. De notre point de vue, le travail accompli dans ces locaux peut être qualifié de sérieux.

Les problèmes ont concerné plutôt la phase antérieure au suffrage et les votes dits Absenty-Votes, par lesquels tout électeur à même de prouver son identité peut exprimer son vote ailleurs. Un système qui facilite la fraude et les votes multiples dans les grandes agglomérations.

swissinfo.ch: Un phénomène moins répandu dans les régions rurales?

K.R.: Tous les bureaux de vote ont ouvert leurs portes à 8 heures et nous étions déjà sur place dans l’un d’eux à 7 heures, afin de contrôler la conformité du dispositif. Et après le chant de l’hymne national entonné par les 11 collaborateurs de l’antenne, les élections ont pu démarrer.

Les bureaux de votes ont fermé à 20 heures. Les bulletins ont été extraits des urnes pour le dépouillement. Une étape au cours de laquelle aucune irrégularité n’aurait pu être commise. Nous avons d’ailleurs pu photographier le protocole électoral, dont on nous a aussi remis une copie.

Près de 70% des voix comptabilisées désignaient le candidat sortant. C’est pourquoi je pense que le résultat final aurait de toute manière été le même. Il est possible que le vainqueur ait bénéficié de voix supplémentaires pour gonfler son score, et ajoutées en cours de procédure, mais son concurrent n’avait de toute évidence aucune chance de l’emporter.

swissinfo.ch: Selon la responsable du bureau de la mission de l’OSCE dans la capitale kirghize, à Bichkek, plus de la moitié des observateurs de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ont livré une appréciation négative de ce rendez-vous avec les urnes. Pouvez-vous confirmer ce constat?

K.R.: Je pense que ce jugement est excessif. Bien sûr que chacun des observateurs à pu trouver, ça et là, quelques anomalies. Mais dans l’ensemble, le pays a plutôt bien organisé ces élections. En fait, les problèmes ne sont apparus qu’après le décompte des bulletins, dans les arrondissements régionaux où le matériel était rassemblé. Nous avons d’ailleurs visité l’une de ces antennes vers 23 heures.

Nous sommes restés sur place jusqu’à une heure du matin, et les protocoles ont été contrôlés une nouvelle fois. Or, jusque là, aucune donnée n’avait été saisie dans l’ordinateur. C’est à partir de ce moment-là que des irrégularités ont pu se produire.

swissinfo.ch: Pourriez-vous le démontrer?

K.R.: Ce serait possible, en comparant le score définitif aux chiffres en notre possession. Mais il n’est pas certain que cela puisse se faire, car les données des bureaux de vote ne nous seraient probablement pas transmises. C’est toutefois sur ce point que l’on pourrait clairement démontrer la fraude.

swissinfo.ch: Avant d’exprimer des critiques, ne serait-il pas préférable d’attendre le rapport de l’OSCE dans quelques semaines?

K.R.: Oui. C’est ce qui nous a surpris. Car jusque vers deux heures du matin, aucun résultat n’était encore saisi. Et malgré tout, l’OSCE fournissait des renseignements relatifs au résultat électoral en évoquant des problèmes de fraude. En ce qui me concerne, j’aurais été un peu plus prudente.

swissinfo.ch: Pensez-vous que l’on puisse néanmoins parler de déroulement correct de ces élections?

K.R.: Des efforts pour mener ces élections correctement ont été faits. Et les choses ont certainement fonctionné dans les bureaux de vote. Mais ce qui s’est passé par la suite devrait encore être éclairci.

Je crois que les gens ont fait l’objet d’intimidations à d’autres moments. On les a prévenus que si Bakiev ne remportait pas le suffrage, ils en subiraient certaines conséquences. Il semblerait aussi que des personnes aient été conduites à convaincre d’autres citoyens à voter en faveur du candidat sortant. Ces tentatives de manipulation se sont déroulées sans recourir forcément à l’argent ou à de faux bulletins de vote.

Mais correctes ou non, il faut aussi mettre en regard le déroulement de ces élections avec celles de son propre pays. En Suisse, nous avons le vote par correspondance. Et à ma connaissance, les paraphes ne sont pas contrôlés. Si on voulait être aussi méticuleux qu’au Kirghizistan, on pourrait dès lors aussi s’interroger sur cette pratique.

Etienne Strebel, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Nicole della Pietra)

L’ancienne république soviétique du Kirghizistan, en Asie centrale, a obtenu l’indépendance en 1991. Vers le 8e siècle, l’islam devient la religion principale de la région. Et aujourd’hui, la plupart des Kirghizes sont musulmans.

Le Kirghizistan partage ses frontières avec le Kazakhstan au nord, l’Ouzbékistan à l’ouest et le Tadjikistan au sud-ouest, ainsi qu’avec la Chine.

La capitale est Bichkek. Selon des statistiques des Nations Unies de 2003, 70% des quelque 5 millions de Kirghizes gagnent en moyenne 2 dollars par jour.

Seule une partie minoritaire de la population du pays profite des retombées des exportations d’or et d’uranium, de même que des ressources provenant de la production d’énergie hydraulique.

Environ un tiers du produit intérieur brut est alimenté par les versements de travailleurs émigrés en Russie. Mais depuis l’éclatement de la crise économique, ces revenus ont gravement chuté.

Premier président élu, Askar Akaïew a occupé la présidence de l’Etat de la république kirghize depuis 1991, alors que le pays changeait suite à la proclamation d’indépendance, pour devenir la République du Kirghizistan.

Après le régime soviétique et durant ses premières années d’indépendance, le pays se décrivait volontiers comme «un îlot de démocratie». Mais avec le temps, le président Akaïew s’est montré de plus en plus autoritaire.

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