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«La transparence du financement de la vie politique est un enjeu crucial en Suisse»

Lors de chaque campagne électorale fédérale (ici en 2015), les affiches fleurissent au bord des routes. Mais il est souvent impossible pour le citoyen de savoir qui finance les dépenses des partis et des candidats. Keystone / Walter Bieri

Une nouvelle fois, le Groupe d’Etats du Conseil de l’Europe contre la corruption (GRECO) déplore le manque de transparence qui entoure la campagne en vue des élections fédérales du 20 octobre. Dans un entretien accordé à swissinfo.ch, son secrétaire exécutif Gianluca Esposito salue toutefois les efforts entrepris par la Confédération. 

Dans bien des domaines, la Suisse fait figure d’exception au beau milieu de l’Europe. La Confédération se plaît particulièrement à vanter les mérites de sa démocratie semi-directe: celle-ci permet au simple citoyen d’exprimer régulièrement son opinion dans les urnes et d’apaiser ainsi une colère qui se manifeste ailleurs dans la rue.

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Les comptes de campagne ne livreront pas leurs secrets

Ce contenu a été publié sur Officiellement, les budgets des partis politiques pour les élections fédérales du 18 octobre 2015 seront à peine plus élevés que ceux d’il y a quatre ans. C’est ce que révèle un sondage mené par swissinfo.ch auprès des sept principaux partis helvétiques (voir encadré). Ces chiffres, que l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), premier…

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Mais la démocratie suisse a aussi sa face sombre. Sa crédibilité est mise à mal par l’opacité totale qui règne autour du financement des campagnes électorales et de votations. Parmi les 47 Etats-membres du Conseil de l’EuropeLien externe, la Suisse est le seul pays à n’avoir pas élaboré de loi concernant le financement des partis politiques.

Gianluca Esposito, secrétaire exécutif du Groupe d’Etats du Conseil de l’Europe contre la corruption (GRECOLien externe), enjoint une nouvelle fois la Suisse à mettre en place une réglementation pour assurer la transparence du financement des partis politiques et des campagnes de votation. Il souligne toutefois les évolutions positives observées ces derniers mois et annonce que le GRECO a retiré la Suisse de sa procédure de non-conformité. 

swissinfo.ch: La campagne électorale en vue des élections législatives de cet automne en Suisse se déroule une nouvelle fois sans qu’aucun parti politique ne soit tenu de dévoiler son budget ni le nom de ses soutiens. Quelle est votre réaction?

Gianluca Esposito: La situation actuelle n’est pas encore en pleine conformité avec les standards du Conseil de l’Europe en la matière. Notre recommandation envers la Suisse est très simple: il faut qu’elle mette en place une réglementation visant à assurer une transparence et un contrôle raisonnables du financement des partis politiques et des campagnes électorales, qu’il y ait un financement public ou pas.

«Le GRECO applique des règles assez claires qui ont été par ailleurs approuvées par les Etats eux-mêmes, y compris la Suisse»

Je rappelle quand même que le GRECO applique des règles assez claires qui ont été par ailleurs approuvées par les Etats eux-mêmes, y compris la Suisse. Celles-ci sont inscrites dans la Recommandation Rec(2003)4Lien externe du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur les règles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales.

Pourquoi la Suisse tarde-t-elle selon vous à mettre en place une telle réglementation?

Il faut poser la question aux autorités suisses. Nous attendons en effet cette réforme depuis huit ans. Ce que nous avons recommandé à la Suisse n’est pas spécifique à la Suisse; nous avons formulé des recommandations similaires aux autres Etats membres du GRECO, lorsque ceci était nécessaire.

Des sanctions sont-elles envisageables?

Le GRECO n’adopte pas de sanctions et, personnellement, je ne crois pas que les sanctions servent à grand-chose. Pour que des réformes fonctionnent dans n’importe quel pays, il faut qu’elles naissent de l’intérieur. Je ne crois pas en des réformes imposées par l’extérieur. 

Gianluca Esposito est le secrétaire exécutif du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO), une instance du Conseil de l’Europe. DR

Dans des cas extrêmes, comme ce fut le cas récemment avec le BélarusLien externe, le GRECO peut adopter une déclaration publique de non-conformité avec nos standards qui a quand même des conséquences politiques, économiques et réputationnelles non négligeables.

Nous sommes très loin de cette situation dans le cas de la Suisse. Au contraire, nous voyons des signaux qui vont dans la bonne direction, comme par exemple le projet d’amendement de la Loi fédérale sur les droits politiques Lien externeélaboré par la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats et le projet d’article constitutionnel qui fait l’objet de l’initiative populaire fédéraleLien externe.

En plus de l’initiative populaire et de son contre-projet que vous évoquez (voir encadré au bas de l’article), cinq cantons ont déjà adopté des règles pour plus de transparence dans le financement des partis politiques. Le vent est-il selon vous en train de tourner?

Je suis optimiste. Toutes ces initiatives vont dans le bon sens. Dans plusieurs cantons, la population a clairement indiqué son soutien pour plus de transparence dans le financement des partis politiques. Cette exigence pour davantage de transparence est d’ailleurs générale et pas spécifique à la Suisse.

De plus en plus, la population dans tous nos Etats membres veut savoir comment les partis politiques sont financés, comment l’argent est dépensé, etc. Ceci me semble normal. J’espère donc que la Suisse également pourra bientôt se conformer aux standards européens dans ce domaine.

Cela signifie-t-il que vous allez relâcher un peu la pression sur la Suisse?

Le GRECO a adopté un rapport de conformité sur la Suisse concernant cette question en juin dernier. Ce rapport n’est pas encore public car la Suisse n’a pas encore autorisé sa publication, donc je ne suis pas en mesure d’entrer dans les détails. Toutefois, je peux vous dire que la Suisse n’est plus dans notre procédure de non-conformité. Nous continuons évidemment à suivre de près les développements et nous attendons une nouvelle mise à jour des autorités suisses en juin 2020.

Tout de même, le manque de transparence actuel ne porte-t-il pas atteinte à la réputation de la démocratie suisse, qui s’érige volontiers en modèle pour le reste du monde?

La Suisse a effectivement une longue tradition de démocratie parlementaire et de démocratie directe. La transparence du financement de la vie politique n’en est toutefois pas moins un enjeu crucial dans un pays comme la Suisse où, en l’absence d’un financement public direct, les partis politiques, les campagnes électorales et les campagnes de votation populaire dépendent fortement, voire totalement, de ressources financières privées.

A l’heure actuelle, le droit fédéral suisse ne contient aucune disposition régissant le financement des partis politiques. Cinq cantons ont en revanche déjà instauré des règles en la matière: Fribourg, Neuchâtel, Schwyz, le Tessin et Genève.

Face au refus systématique de la majorité de droite au parlement de légiférer, la gauche, appuyée par les petits partis du centre, a déposé en octobre 2017 une initiative populaireLien externe visant à instaurer davantage de transparence dans le financement de la vie politique.

L’objectif du texte est notamment de contraindre les partis politiques à rendre public le montant ainsi que l’origine des dons de plus de 10’000 francs ou leurs dépenses de campagne pour des élections et votations lorsqu’elles dépassent 100’000 francs.

Début mai, la Commission des institutions politiquesLien externe du Conseil des Etats a élaboré un contre-projet à l’initiative, qui fixe la barre des montants soumis à la transparence à 25’000 francs par année pour les dons et à 250’000 francs pour les campagnes. Les deux principaux partis de droite, l’UDC et le PLR, ont fait savoir qu’ils s’opposaient tant à l’initiative qu’à son contre-projet.

Vous pouvez contacter l’auteur de cet article sur Twitter: @samueljabergLien externe

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