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En Suisse, on change de Constitution comme de chemise

Les Genevois sont conviés aux urnes pour élire une Assemblée constituante qui devra reformer la Loi fondamentale. Keystone

Depuis une trentaine d'années, les 26 cantons suisses révisent les uns après les autres leur Loi fondamentale. Parmi les derniers, Genève entame l'exercice en élisant dimanche les 80 membres de l'Assemblée constituante. Regard croisé de 2 candidats spécialistes du domaine.

Aux Etats-Unis, la Constitution fait figure de texte sacré. Les Français ou les Allemands, eux, la changent après un basculement de l’Histoire. Rien de tel en Suisse où la révision des Constitutions dont chaque canton est doté se fait presque sans histoire depuis plusieurs décennies.

Explications en quatre points de la révision constitutionnelle à la sauce genevoise avec deux candidats politiquement opposés, mais experts des constitutions sur le plan professionnel: le libéral (droite) Michel Hottelier, professeur de droit constitutionnel et le socialiste Thierry Tanquerel, professeur de droit public et co-fondateur de l’association Une nouvelle constitution, à l’origine du projet.

swissinfo: Une Constitution, c’est quoi?

Michel Hottelier: «C’est la 1ère des lois de l’Etat. Ce texte juridique fixe le statut et les compétences des institutions, établi les droits politiques et précise les procédures d’adoption des lois et des règlements. Autrement dit, la Constitution définit le statut de l’Etat et fixe des limites à son fonctionnement pour préserver les droits des individus, comme la liberté d’expression, la présomption d’innocence, l’égalité de traitement ou la liberté économique.»

Thierry Tanquerel: «Outre sa définition juridique, la Constitution a une dimension plus politique. La constituante offre l’occasion de réfléchir aux grands principes et aux objectifs communs que veut se donner une communauté partageant un territoire, que ce soit le degré de démocratie, les options en matière environnementale, de justice ou de cohésion sociale.»

swissinfo: C’est facile à réviser?

Thierry Tanquerel: «Que se soit au niveau fédéral ou cantonal, la Suisse n’a pas de Constitution dure, contrairement à nombre d’autres pays. Ces textes sont donc assez facilement modifiables et amendables. Depuis 25 ans environ, les cantons suisses se sont lancés dans un processus de régénération de leurs Constitutions, motivés parfois par des crises, comme dans le canton de Berne (crise des caisses noires). Mais le plus souvent il s’est agi d’un processus à froid, calme et réfléchi.»

Michel Hottelier: «Les Assemblées constituantes ont permis de rendre plus lisible les Constitutions pour le commun des mortels. Ces révisions ont également permis de prendre en compte les évolutions de la société, comme le développement durable, les compétences en matière de politique sociale ou les droits politiques des étrangers.»

swissinfo: Quel profit pour Genève?

Michel Hottelier: «L’assemblée constituante a l’occasion de redessiner la carte institutionnelle des 45 communes du canton et les rapports de Genève avec son voisin vaudois et les départements français limitrophes. Et ce dans la perspective du projet d’agglomération franco-valdo-genevoise.

Mais la Constitution ne pourra pas résoudre tous les problèmes de Genève. Certaines attentes, comme de nouvelles prestations sociales ou le besoin de logements, sont importantes. Mais la constituante n’a pas vocation à résoudre ces problèmes dans le détail. Les élus à la constituante devront en premier lieu se mettent d’accord sur la nature d’une Constitution et ses prérogatives.

J’espère que cette assemblée sera guidée par un état d’esprit aussi constructif que celles des cantons de Vaud et de Fribourg.»

Thierry Tanquerel: «J’espère que la constituante donnera au Conseil d’Etat les moyens de définir une politique profilée à même de lancer de fortes impulsions et la responsabilité qui découle d’un tel pouvoir: la sanction des urnes.»

swissinfo: Trop de candidats à Genève?

Thierry Tanquerel: «Le grand nombre de listes (18) et de candidats (527) est un bon signe à même de sortir de l’affrontement gauche-droite, coutumier à Genève. Et ce même si cette profusion de liste souligne aussi le goût des genevois pour les chapelles politiques.»

Michel Hottelier: «Quand l’idée de révision a été lancée, il s’agissait clairement de transcender les clivages politiques qu’on connaît trop bien à Genève. Raison pour laquelle le quorum a été fixé très bas (3% pour qu’une liste soit représentée à l’assemblée). Tout a été fait pour que la société civile soit largement représentée.

Cette ouverture est une chance, mais elle présente aussi le risque de déboucher sur une assemblée très disparate.»

swissinfo: Frédéric Burnand à Genève

En février 2008, le peuple genevois a voté à près de 80% pour une nouvelle Constitution cantonale. Le 19 octobre, les électeurs désignent leurs 80 représentants à l’Assemblée constituante. Les élus auront quatre ans pour rédiger la charte fondamentale.

Les candidats sont 527, répartis sur 18 listes électorales. L’Assemblée est élue au système proportionnel. Pour élargir sa représentativité, le quorum a été abaissé de 7% à %. Les listes atteignant cette proportion de votes valides disposeront d’au moins un siège.

Si l’extrême gauche et l’UDC (droite nationaliste) sont opposés à la “révision totale” de la constitution, la grande majorité des formations ont accepté ce principe.

D’ici au 19 octobre 2012, l’Assemblée devra soumettre aux citoyens son projet de constitution.

Huit cantons, parmi les 22 qui ont mené à bien ou initié une révision totale de leur Constitution au cours des quatre dernières décennies, ont recouru à l’institution de l’assemblée constituante, élue par le peuple.

Dans les 14 autres cantons, la révision a été effectuée par une commission, soit parlementaire, soit désignée par l’exécutif.

Seuls les cantons de Zoug, Appenzell Rhodes-Intérieures et du Valais sont restés à ce jour en dehors de ce mouvement de révision.

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