Des perspectives suisses en 10 langues

Etrangers criminels: la décision de renvoi ajournée

Un délinquant polonais juste avant son embarquement. Keystone

Freinage tactique ou pause indispensable? Pour cause de doutes quant à la validité de l’initiative populaire pour le renvoi des étrangers criminels, la Chambre des cantons a décidé, au dernier jour de cette session d'hiver, de prendre le temps de la réflexion.

Durant l’automne 2007, les affiches aux moutons blancs boutant un mouton noir hors de Suisse ont provoqué un tollé de protestations dans le monde entier. En Suisse, par contre, elles ont contribué au succès de la campagne de signatures de l’initiative de l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice).

Avec ce texte sur le renvoi des étrangers criminels, l’UDC exige que tout étranger condamné par un jugement entré en force puisse être expulsé sans autre forme de procès et quel que soit son statut en Suisse. Concrètement, le texte vise les cambrioleurs, les trafiquants de drogue, les délinquants sexuels, les meurtriers, ainsi que les personnes ayant abusé des assurances sociales.

Cette initiative populaire a été déposée en février 2008, l’UDC ayant récolté en un temps record 211’000 signatures valables.

Consultation populaire

Les observateurs politiques estiment que l’initiative a de fortes chances de passer la rampe auprès des électeurs. Cette conviction est encore renforcée depuis la victoire aussi nette qu’inattendue de l’initiative sur l’interdiction des minarets le 29 novembre dernier.

Au-delà de cette popularité auprès de larges cercles de la population, ces deux initiatives ont un autre point commun: elles ne portent pas atteinte aux droits populaires fondamentaux mais, très vraisemblablement, à la Convention européenne des droits de l’homme et aux engagements pris auprès de l’ONU.

Le tout est maintenant de déterminer si, au niveau politique et de l’Etat de droit, l’initiative sur les étrangers criminels est valide ou non. De même pour ce qui relève de son application dans les faits. Jusqu’ici, les socialistes estimaient que ce texte devait être déclaré nul et, donc, ne devait pas être soumis aux citoyens.

Réflexion de l’après 29 novembre

A l’inverse, le gouvernement, tout comme la majorité de la commission des institutions politiques du Conseil des Etats (CIP), considéraient jusque-là que l’initiative de l’UDC était valide et que le peuple devait donc pouvoir se prononcer. Ils recommandaient toutefois le rejet de cet objet et proposaient à la place un durcissement de la loi en matière de criminalité des étrangers.

Mais, avec le «oui» à l’initiative anti-minarets, un changement de cap s’est opéré au sein des libéraux-radicaux (PLR, droite) et des démocrates-chrétiens (PDC, centre droit).

«Le soir du 29 novembre, les tentatives d’explication souvent infructueuses auxquelles on a assisté ont montré que, avant toute nouvelle votation, nous devons pouvoir donner au peuple une idée claire et précise de la situation juridique», a déclaré jeudi au Conseil des Etats Urs Schwaller, président du groupe démocrate-chrétien.

UDC: «freinage tactique»

Concrètement, Urs Schwaller a plaidé en faveur d’une contre-proposition directe au niveau constitutionnel à l’initiative sur les étrangers criminels: «Cela aurait l’avantage de poser deux questions aux électeurs».

De même, des représentants des partis libéral-radical et socialiste se sont prononcés en faveur d’un contre-projet. Divers sénateurs UDC ont dénoncé une manœuvre qui viserait, selon eux, à repousser la votation au-delà des élections fédérales de 2011.

Finalement, la Chambre haute a décidé, à 30 voix contre 6, de faire une pause de réflexion et renvoyé le dossier à la Commission. A cette dernière de décider, d’ici le printemps 2010, de la validité de l’initiative et de la possibilité d’y opposer un contre-projet.

Andreas Keiser, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger)

En 1996, le Parlement a invalidé l’initiative fédérale «pour une politique d’asile raisonnable» en raison de son incompatibilité avec les droits populaires.

Selon l’article 139 de la Constitution fédérale, l’Assemblée fédérale peut déclarer une initiative populaire totalement ou partiellement nulle lorsque celle-ci ne respecte pas le principe de l’unité de la forme ou de la matière, ou encore les règles inaliénables du droit international (dont le principe du non-refoulement de réfugiés).

L’initiative des Démocrates suisses (extrême droite) proposait le renvoi des demandeurs d’asile entrés illégalement en Suisse, sans possibilité de recours et donc en violation du principe de l’ONU. Le Parlement l’a déclarée nulle parce qu’elle violait le droit international coutumier.

Les textes qui contredisent d’autres droits des peuples défendus par la Convention européenne des droits de l’homme ne doivent pas impérativement être déclarés nuls. Ce dont avait profité par exemple l’initiative sur l’internement à vie des délinquants sexuels.

De même, le Parlement avait estimé que l’initiative anti-minarets ne violait pas les droits inaliénables des peuples et l’a donc déclarée valide.

Depuis l’introduction du droit d’initiative en 1891, quatre initiatives seulement ont été déclarées nulles par le Parlement.

Il s’agit des initiatives «pour une politique d’asile raisonnable» (1996), «pour la réduction temporaire des dépenses militaires (trêve de l’armement)» (1955), l’«initiative de crise» des communistes du Parti du travail (1977) et celle des socialistes «pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix» (1995).

Les trois dernières ont été invalidées pour non-respect du principe de l’unité de la forme ou de la matière.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision