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Guerre de tranchées à la Constituante genevoise

Pour expliquer cette crise, faut-il incriminer le «Sonderfall Genf», le cas particulier genevois, selon un préjugé souvent mis en avant dans le reste de la Suisse? Keystone

Genève, l’un des derniers cantons suisses à moderniser sa constitution, pourrait être le premier à rater cette réforme. Regards croisés d’un constituant socialiste et d’un ancien député radical, auteur d’un premier projet de constitution pour Genève.

Pour le président du parti socialiste genevois, la cause est entendue. «Il faut dissoudre l’assemblée constituante. Sa mission est ratée», a déclaré René Longet dans un entretien accordé samedi dernier à la Tribune de Genève.

Et le socialiste de dénoncer «des votes serrés. Des affrontements de blocs où tout se règle à 42 voix contre 38. Pour définir le vivre ensemble, il faut travailler ensemble. (…) On ne peut pas laisser une assemblée imprévisible, qui ne respecte pas le travail de ses propres commissions, continuer à dépenser 4 millions par an jusqu’en 2012.»

Une option qui surprend le constituant socialiste Albert Rodrik: «C’est une farce. Il n’y a aucune autorité qui peut dissoudre la constituante. Nous sommes dans un pays où le parlement ne peut renverser le gouvernement et le gouvernement dissoudre le parlement.»

Sursaut de dignité

Et cette grande figure du socialisme genevois d’ajouter: «Je ne suis pas de ceux qui pensent que tout est perdu, qu’il faut tout jeter. J’espère donc un sursaut de dignité dans cette affaire. Car ces dernières années, une bonne quinzaine de cantons ont fait un excellent travail pour réformer leur constitution. Ils ne se sont pas donnés en spectacle; ils ont produit de très bons textes, avec souvent des avancées sociales importantes et ça ne leur a pas porté malheur.»

Elue en octobre 2008, l’Assemblée constituante (80 membres) a institué 5 commissions thématiques lors de sa 1ère séance plénière le 2 février 2009. Dès le mois de mai 2010, une série de séances plénières ont examiné les propositions négociées dans ces commissions et voté sur chacune d’entre elles. Et ce dans le but de produire d’ici la fin de l’année un projet de constitution. Un texte qui doit retourner ensuite en commission.

C’est durant cette phase de sessions plénières que la crise a éclaté. «La droite prétend qu’elle n’a pas été entendue durant les travaux de certaines commissions et que la gauche a essayé de lui faire avaler une série de propositions qu’elle ne voulait pas. Dans un grand élan de rébellion, elle a donc voulu balayer en plénière ces propositions, tout particulièrement celles de la commission sur les droits fondamentaux», raconte Albert Rodrik

La gauche dénonce par exemple l’abandon du droit au logement, l’égalité hommes-femmes ou l’éligibilité des fonctionnaires. L’ultime coup de poignard, selon la gauche a été, la semaine dernière, l’abandon de l’opposition aux centrales nucléaires adoptée par le peuple genevois en 1986 et inscrite dans la constitution.

Tout mettre à plat

Pour l’historien Bernard Lescaze, la crise que traverse actuellement la constituante résulte d’un double problème. «On ne peut pas sanctuariser certaines dispositions au prétexte qu’elles ont été obtenues ces 20 dernières années. Dans une constituante, il faut accepter de tout mettre à plat. Mais ça ne veut pas dire qu’il faille revenir sur tous les acquis – du point de vue de la gauche – de ces 20 dernières années et prendre une revanche politique», souligne cet ancien député radical (droite), auteur il y a une dizaine d’année d’un projet de constitution pour Genève, une option abandonnée au profit de la formule actuelle.

Une vue qui n’est pas très éloignée de celle d’Albert Rodrik: «Plus que les textes, c’est le climat qui fait problème. Il se manifeste à travers des votes bloqués, dans le fait de désavouer complètement les travaux d’une commission ou en s’attaquant à des points névralgiques sur lesquels nos prédécesseurs avaient trouvé un accord.»

Et le socialiste de pointer ses adversaires politiques: «En ce début de 21e siècle, nous avons affaire à une droite nouvelle. Avant, gauche et droite arrivaient à s’entendre sur la mission de bâtir pour Genève, de laisser quelque chose aux générations futures. Aujourd’hui, nous avons affaire à une droite destructrice, de régression qui met une hargne certaine à son projet.»

Bernard Lescaze reconnait que les élus de droite sont souvent dominés par un esprit de revanche. Mais il pointe aussi les rigidités du camp d’en face: «Les partis de gauche ne veulent pas lâcher la moindre chose sur l’acquis.»

Pour expliquer cette guerre de tranchée entre gauche et droite, faut-il incriminer le «Sonderfall Genf», le cas particulier genevois, selon un préjugé souvent mis en avant dans le reste de la Suisse?

Une seule légitimité: le peuple

Selon Bernard Lescaze, les causes du conflit sont plus concrètes. «C’était en partie prévisible quand on a vu qui se pressait comme candidat à la constituante, soit un certain nombre de politiciens sur le retour, de gauche comme de droite qui avaient envie de régler des comptes, plutôt que de rénover la constitution et même des gens en fait très opposés à la constituante», estime l’ancien député radical.

Albert Rodrik, lui, y voit la manifestation d’une illusion: «Il y a trop de constituants qui pensent pouvoir faire adopter par le peuple la constitution de leur rêve. Une volonté qui, si elle demeure, aboutira à la mort de cette constitution.»

Une attitude totalement contraire au légendaire esprit de concordance du fédéralisme helvétique. Et Albert Rodrik de confirmer un constat qui revient de plus en plus souvent: «En Suisse, nous sommes en train de perdre l’habitude de faire converger les positions, d’avancer en s’écoutant. Or en Suisse, il n’y a pas de statut pour l’opposition. Il n’y a qu’une légitimité, c’est le peuple.»

La Constitution de la République et canton de Genève, avec ses 158 articles, date du 24 mai 1847. C’est la plus vielle constitution de Suisse.

Elle a été révisée partiellement à plus de 120 reprises et contient actuellement 182 articles.

Depuis, une seule Assemblée constituante a été élue, en 1862, pour réviser cette constitution. Mais le texte final a été refusé en votation populaire.

En 1999, un projet de loi pour l’élection d’une Assemblée constituante est déposé par des députés. Il sera renvoyé à deux reprises en commission et n’aboutira jamais.

Elus en octobre 2008, les 80 membres de l’Assemblée constituante se répartissent comme suit:

A droite:

Parti libéral: 13 sièges, parti radical: 6, Parti démocrate-chrétien: 6, UDC (ultraconservateur): 7, Mouvement citoyens genevois (populiste): 4, la liste extra parlementaire des milieux patronaux G(e)’avance: 6. Total: 42 sièges.

A gauche:

Parti socialiste: 11 sièges, Parti des Verts: 10, SolidaritéS (extrême gauche): 4. Hors parlement, l’association de défense des personnes âgées AVIVO: 9, l’«Associations de Genève»: 3. Total: 38 sièges

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