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Inquiétudes sur un projet d’impôt sur les successions

Wollerau, dans le canton de Schwyz, est un aimant pour grosses fortunes. Keystone

Le lancement d’une initiative pour la création d’un impôt fédéral sur les successions et les donations pousse de nombreux riches résidents de Suisse à demander conseil à leur fiduciaire. La clause rétroactive suscite de grandes inquiétudes.

L’initiative populaire a été lancée par une alliance comprenant le Parti socialiste, le Parti évangélique, les Verts, les syndicats et d’autres organisations de gauche. Le texte vise à imposer les successions de fortunes de plus de deux millions de francs à hauteur de 20%.

La plus grande partie des revenus de la taxe, estimés à 3 milliards de francs, seraient destinés aux caisses de l’assurance vieillesse et survivant (AVS). Selon les opposants, le nouvel impôt pousserait les personnes aisées à quitter la Suisse et priverait les cantons des ressources que sont leurs impôts ordinaires.

Actuellement, les successions et les donations ne font pas l’objet d’une taxation fédérale. En revanche, elles sont taxées dans les cantons, à l’exception de Schwyz, selon des modalités qui diffèrent d’un endroit à l’autre. De nombreux cantons taxent également les donations financières, dans des limites qui varient, lorsque le donateur est toujours vivant.

Lutter contre les inégalités

Mais la majorité des cantons exemptent les époux et les descendants directs lorsqu’ils touchent un héritage. Les bénéficiaires qui ne sont pas des descendants directs se voient en revanche taxés. Le montant peut aller jusqu’à 50% de la valeur de l’héritage.

L’initiative entend harmoniser les taxes pour «mettre de l’ordre dans un système chaotique», disent les socialistes. Outre l’impôt de 20% de la valeur de l’héritage si celui-ci est supérieur à 2 millions de francs, les donations de plus de 20’000 francs par an seront également soumises à la taxe.

La gauche estime qu’un impôt fédéral sur les successions permettrait davantage d’égalité en empêchant les riches de devenir plus riches au détriment de leurs concitoyens. «La répartition hautement inégale de la fortune en Suisse, où 1% de la population possède autant que les 99% restants, contredit la pensée libérale de l’égalité des chances», lit-on dans l’argumentaire du comité d’initiative.

«Le fait que ces grosses fortunes puissent être transmises sans taxation renforce la concentration des richesses. L’impôt sur les successions est un impôt équitable qui va à l’encontre de cette injustice», ajoutent les auteurs de l’initiative.

Inverser la tendance

Comme la plupart des pays connaissent un impôt central sur les successions, une acceptation de l’initiative en Suisse provoquerait un grand changement, selon Franz Lampert, responsable de la clientèle privée internationale chez KPMG Suisse.

«Cela inverserait la tendance en cours depuis quelques années de réduire les impôts pour rendre les cantons plus attractifs», ajoute l’expert. Les personnes fortunées pourraient tourner le dos à la Suisse, «en particulier celles qui prennent leur retraite et veulent transférer leurs affaires dans un meilleur environnement fiscal.»

Dans les années 1990 et 2000, de nombreux cantons ont aboli l’impôt sur les successions entre membres d’une même famille. Les cantons ont aussi réduit drastiquement les impôts sur la fortune et le revenu pour attirer les riches contribuables.

Mais la crise financière semble freiner le mouvement. En 2009, le canton de Zurich a décidé de supprimer l’impôt forfaitaire pour riches étrangers. Des votations semblables ont déjà eu lieu ailleurs, mais l’impôt forfaitaire l’emporte, le plus souvent.

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Initiative populaire

Ce contenu a été publié sur L’initiative populaire permet à des citoyens de proposer une modification de la Constitution. Pour être valable, elle doit être signée par 100’000 citoyens dans un délai de 18 mois. Le Parlement peut directement accepter l’initiative. Il peut aussi la refuser ou lui opposer un contre-projet. Dans tous les cas, un vote populaire a lieu. L’adoption…

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Vent de panique

Les auteurs de l’initiative sur l’impôt sur les successions sont en train de récolter les signatures. Une éventuelle votation – après le traitement aux Chambres fédérales – n’interviendra pas avant 2016.

Mais la question des impôts étant un terrain sans cesse mouvant, les avocats et conseillers juridiques sont pris d’assaut par les questions de leurs clients. La panique est née du fait que l’initiative contient une clause rétroactive au 1er janvier 2012. Selon la NZZ am Sonntag, la Côte dorée, comprenant les riches communes du lac de Zurich, est particulièrement touchée.

Les avocats doivent refuser des clients très agités. Les donations interfamiliales ont augmenté de quelques centaines par année en temps normal à des milliers de cas en 2011.

Les taxes de sortie du pays n’existant pas, les résidents riches peuvent simplement quitter la Suisse, selon Franz Lampert. Et ceux qui décident de rester pourraient déplacer leurs biens, par exemple immobiliers, dans des trusts et des fondations ou en les transmettant aux futurs bénéficiaires.

Selon l’initiative, les donations devraient être taxées rétrospectivement à partir du début de l’année prochaine. Franz Lampert enjoint les personnes inquiètes de faire preuve de retenue avant de réorganiser leurs biens, car les transferts peuvent aussi être soumis à diverses taxes, comme les gains en capitaux. Sans compter le risque de perdre le contrôle de son capital…

La Suisse ne connaît pas d’impôt fédéral sur les successions et les donations. Les cantons en revanche taxent ces transmissions, selon des systèmes différents.

La plupart des cantons ont décidé de ne pas imposer les héritiers tels qu’époux et descendants directs. Cette indulgence attire de nombreux contribuables aisés qui viennent s’installer en Suisse une fois leur fortune faite.

Lancée à la fin de l’été, l’initiative «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (réforme de la fiscalité successorale)» exige un impôt de 20% sur le plan fédéral pour les héritages dépassant deux millions de francs.

Les époux continueraient à être exemptés, mais pas les descendants. Les donations de plus de 20’000 francs par année seraient soumises à la même taxe. Même si elle n’entrait en vigueur qu’en 2016, l’initiative contient une clause rétrospective au 1er janvier 2012.

Les bénéfices de l’impôt, estimés à 3 milliards de francs, seraient à répartir pour deux tiers à la Confédération et pour un tiers aux cantons. La première devrait affecter cet argent à l’AVS pour permettre une flexibilisation de l’âge de la retraite, les seconds l’utiliser pour compenser les pertes d’impôts sur les héritages indirects.

Les donations aux organisations charitables seraient exemptées.

Si l’héritage ou la donation comprend une entreprise  ou une entreprise agricole, des allègements importants sont prévus dans l’estimation et le taux d’imposition, afin de ne pas mettre en danger leur existence et les places de travail, dit le comité d’initiative.

L’Allemagne connaît un impôt sur les successions de 30%, la France de 40%, la Grande-Bretagne de 40% et des USA de 49% (bientôt à 28%).

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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