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L’électorat allemand est «agacé par les phrases creuses»

Dernière ligne droite avant les élections de dimanche. Keystone

La politologue suisse Dorothée de Nève s’exprime sur les attentes des citoyennes et des citoyens face aux législatives allemandes. La campagne électorale est perçue généralement comme sans contenu. Et le doigt d’honneur du challenger Peer Steinbrück a fait sensation.

On est entré dans la dernière ligne droite: le 22 septembre, plus de 60 millions d’Allemands sont appelés à élire un nouveau parlement et à décider qui devra à l’avenir diriger le pays.

Dorothée de Nève enseigne à l’institut des sciences politiques de l’Université ouverte de Hagen (Allemagne). Elle est l’auteur d’une étude sur environ 500 lettres de lecteurs parues dans la Mittedeutsche Zeitung à l’occasion des dernières élections de 2009. swissinfo.ch a cherché à savoir ce qu’il en est pour le scrutin de 2013. 

La politologue Dorothée de Nève est originaire de Stans (canton de Nidwald) et vit depuis vingt-et-un ans en Allemagne.

Elle fait des recherches sur la participation politique, sur la politique et la religion ainsi que sur la démocratie et la post-démocratie. Elle occupe actuellement une chaire de professeure remplaçante à l’institut des sciences politiques de l’Université ouverte de Hagen.

swissinfo.ch: La couverture du dernier numéro du supplément magazine de la Süddeutsche Zeitung montre Peer Steinbrück faisant un doigt d’honneur. Pensez-vous que cela a permis au candidat social-démocrate à la Chancellerie allemande de marquer un point?

Dorothée de Nève: Cette photo très controversée a été publiée dans le cadre de ce qu’on appelle une «interview sans mots». Cette formule a déjà été utilisée à d’autres occasions, comme par exemple une gestuelle d’Ursula du Leyen [ministre CDU du travail et des affaires sociales de la République fédérale, Ndlr.]. Le doigt d’honneur était une réponse provocatrice à la question: «Peer le gaffeur, Peer le problématique, Peerlusconi: ces gentils surnoms ne vous inquiètent pas?» C’était aussi une réplique au traitement de Steinbrück par les médias et pas du tout un message adressé à l’électorat.

La photo de Peer Steinbrücks (SPD) le doigt levé a fait grande sensation ces derniers jours en Allemagne et à l’étranger. Elle faisait la Une du magazine du vendredi de la Süddeutsche Zeitung à l’occasion d’une «interview sans mots».

Le «losange de Merkel» a été identifié comme une posture typique de la chancelière. On le voit actuellement sur une affiche géante près de la gare centrale de Berlin. Avec ce slogan de la CDU: «L’avenir de l’Allemagne en de bonnes mains»:

swissinfo.ch: On accordera à Steinbrück, qui est lui-même aussi dans la course au Bundestag, que son anticonformisme apporte un certain humour dans la campagne électorale. Cette campagne ne manque-t-elle pas d’humour?

D. de N.: L’attitude de Steinbrück est sans aucun doute anticonformiste. Qu’elle soit drôle, on peut en discuter. En tout cas, elle est provocatrice, c’est en tout cas ce que démontrent les réactions du public et les vives discussions provoquées par cette photo. D’ailleurs, les réactions sont parfois très amusantes. Et puis il y a l’affiche géante de la CDU avec la posture du losange d’Angela Merkel, qui ne manque pas d’humour. Dans les deux cas, on fait de la politique avec des images fortes. La politique, c’est plus que des mots, c’est aussi les photos, les symboles et les émotions.

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swissinfo.ch: Lors des dernières élections au Bundestag il y a quatre ans, le SPD avait perdu beaucoup de voix parce qu’une partie importante de son électorat potentiel avait boudé les urnes. Pensez-vous que Monsieur Steinbrück a réussi à mobiliser ses troupes?

D. de N.: Cette forme de communication politique a peu d’effets. Pour motiver l’électorat dans la dernière phase de la campagne, ce qui devrait être beaucoup plus décisif serait de montrer qu’il se passe réellement quelque chose. Par exemple, la question de savoir quels partis seront représentés au Bundestag et donc quels partis doivent faire partie du gouvernement.

Dorothée de Nève a analysé plus de 500 lettres de lecteurs et de lectrices publiées dans la Mitteldeutsche Zeitung d’août à octobre 2009 et traitant des élections au Bundestag.

Dans son analyse parue en août dernier, elle est parvenue à la conclusion que l’électorat considérait la campagne électorale comme des «rituels à répétition» dont il est «au fond dégoûté depuis longtemps». Au lieu de cela, il souhaiterait un débat d’un meilleur niveau et avec un contenu politique plus substantiel, ce aussi dans la couverture médiatique des élections.

swissinfo.ch: Une des conclusions de votre étude portant sur les lettres de lecteurs (ci-contre) est que les citoyens voient les campagnes électorales comme des batailles de phrases creuses où chacun cherche à gagner leurs faveurs, alors qu’ils aimeraient des engagements plus substantiels. Est-ce que cela s’applique aussi à la présente campagne?

D. de N.: Certainement. Mon étude montre que les gens sont agacés par ces tentatives de les endormir avec des phrases creuses et des belles promesses. Ils souhaitent voir leurs droits souverains pris au sérieux. Et cela, du reste, pas seulement pendant la campagne électorale.

swissinfo.ch: Pour vos travaux, vous n’avez étudié que des lettres publiées dans la «Mitteldeutsche Zeitung». Dans quelle mesure vos résultats peuvent-ils être étendus à toute l’Allemagne?

D. de N.: Il y a beaucoup d’éléments qui permettent de dire que les commentaires sont relativement semblables dans les différents médias. Les plus grandes différences dans l’opinion des lecteurs se trouvent par rapport à des thèmes socio-politiques déterminés, comme par exemple la réunification de l’Allemagne, la crise de l’euro ou la religion.

swissinfo.ch: La campagne d’Angela Merkel est souvent qualifiée de lisse et sans éclat. Sa phrase finale lors du débat télévisé contre Peer Steinbrück (et donc son message aux électeurs et aux électrices) a été: «Vous me connaissez.» Cette phrase peut-elle vraiment lui faire gagner quatre nouvelles années à la chancellerie?

D. de N.: Ce n’est certainement pas cette phrase qui fera que Madame Merkel restera chancelière fédérale. Et même si, comme tous les sondages le montrent, elle bénéficie de beaucoup de sympathie. Pour les élections au Bundestag, il ne s’agit pas d’un duel entre deux personnes, mais entre 34 partis avec leurs programmes politiques.

(Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger)

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