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L’amende ferait moins peur que la prison

Les jours-amende peuvent remplacer les peines fermes inférieures à 360 jours. RDB

Dix-huit mois après son entrée en vigueur, le système des jours-amende essuie un sérieux tir de barrage. Magistrats et politiques sont nombreux à regretter l'ancien régime des courtes peines de prison.

Entrée en vigueur le 1er janvier 2007, la révision du Code pénal (CP) aura occupé le Parlement pendant vingt ans. Et aujourd’hui, il faudrait déjà rouvrir le chantier, à cause des fameux jours-amende…

C’est en tout cas ce que voudrait la droite. Le 5 juin, les députés Isabelle Moret et Christian Luscher déposent, au nom du groupe radical-libéral, une initiative parlementaire qui demande de supprimer la peine pécuniaire ou de la rendre subsidiaire à la peine privative de liberté.

«Le système des jours-amende semble faire l’unanimité contre lui», écrivent les deux élus, pour qui ce système «ne fonctionne absolument pas ou n’a en tout cas pas l’effet escompté».

Un mois plus tard, c’est l’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste) qui monte au créneau. Le parti convoque la presse pour «exiger» la révision d’un système qui constitue à ses yeux «le paroxysme du laisser-aller». Et en profite pour redemander au passage l’expulsion des étrangers criminels.

45 jours à 1 franc

En amont de ces coups de gueule politiques, il y a bien une inquiétude réelle de certains praticiens de la justice. Avocats tous les deux, Isabelle Moret et Christian Luscher sont en principe bien placés pour prendre le pouls de la profession. Et les procureurs (de droite) des cantons de Neuchâtel, de Vaud et de Genève soutiennent leur démarche au Parlement.

Le groupe radical-libéral a également reçu le soutien des chefs de la sécurité de 13 cantons (sur 26), tous issus de ses rangs. Et en creusant un peu, la presse dominicale a même trouvé des ministres cantonaux socialistes pour critiquer le système des jours-amende.

Ce qu’on leur reproche? De ne pas être suffisamment dissuasifs. Désormais en effet, le petit délinquant sait que s’il se fait pincer, il n’ira plus en prison, sauf s’il ne paye pas ses jours-amende. Mais dans le cas d’une condamnation à 45 jours à un franc, le risque est assez mince. Sans compter que les peines sont souvent assorties du sursis…

Le nouveau CP ouvrirait donc la porte à une explosion de la criminalité et ferait de la Suisse un paradis pour malfrats de tout poil. Lesquels n’hésiteraient plus à passer la frontière pour venir y commettre leurs forfaits en toute impunité.

Manque de recul

«Avant de réviser encore le CP, il faudrait d’abord prouver qu’il y a effectivement augmentation de la criminalité et que celle-ci est liée aux peines pécuniaires», rétorque André Kuhn, professeur de droit pénal et de criminologie aux universités de Lausanne et de Neuchâtel.

«A Genève, par exemple, on nous dit qu’il y a plein de Français qui viennent commettre des délits. D’accord, mais il faudrait d’abord voir s’il y en a plus que les années précédentes. Le procureur général le dit, mais j’aimerais bien savoir sur quoi il se base…», poursuit André Kuhn.

Une question qui trouve son écho politique dans les rangs de la gauche. Le 12 juin, une semaine après l’initiative parlementaire radicale-libérale, le député socialiste Carlo Sommaruga, avocat lui aussi, dépose un postulat demandant un rapport sur l’impact du système des jours-amende, pour lequel il devrait être tenu compte «d’une période d’application de 3 à 5 ans».

Une idée venue du froid

Pas mal de pays ont déjà dans ce domaine une expérience bien plus longue. Le système des jours-amende est né en Finlande dans les années 1920. Le reste de la Scandinavie l’a adopté dans la foulée, l’Allemagne il y a 20 ans et plus récemment la France. Mais il existe également depuis longtemps à Cuba et même dans certains Etats américains.

«L’idée vient d’Europe du Nord, où la criminalité est plutôt basse, rappelle André Kuhn. Et on a réussi à la canaliser avec un système de sanctions qui est nettement moins sévère que celui des pays du Sud». Alors pourquoi ce qui a marché là-bas ne marcherait-il pas ici?

Des jours, et pas des francs

Peut-être parce que tout le monde sait le prix d’une journée de punition… C’est le contre-exemple de la Grande-Bretagne, qui dans les années 70, a supprimé les jours-amende moins d’une année après les avoir introduits, l’opinion admettant fort mal de voir des délinquants condamnés à des peines pécuniaires symboliques.

«On devrait se contenter de dire ‘untel écope de 60 jours-amende’, sans préciser le montant, plaide André Kuhn. Ainsi, on indiquerait seulement le degré de sa culpabilité. Le prix n’a rien à voir, il dépend des revenus du condamné et on sait bien qu’un franc n’a pas la même valeur pour tout le monde».

Au passage, le professeur relève que les milieux qui combattent les jours-amende sont ceux pour qui le prix en sera – cas échéant – le plus élevé.

Alors finalement, les jours-amende, ça marche? «Si la criminalité et le taux de récidive n’augmentent pas et qu’il y a moins de monde dans les prisons, on peut dire que ça marche. Et c’est le cas partout où cela a été introduit», conclut André Kuhn.

swissinfo, Marc-André Miserez

L’idée de base du système des jours-amende et de ne plus enfermer les gens pour des «broutilles». Selon l’article 34 du Code pénal suisse révisé, toute infraction qui aurait pu valoir à son auteur une peine de moins de 360 jours de prison peut être convertie en jours-amende.

Pour fixer la valeur de ceux-ci, le juge doit considérer «la situation personnelle et économique de l’auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d’assistance, en particulier familiales, et du minimum vital»

Le texte ne fixe pas de plancher pour le prix d’un jour-amende, qui peut donc théoriquement être d’un franc. Par contre, il est écrit que ce prix ne peut pas dépasser 3000 francs.

Dans la pratique, en mai 2007, un tribunal vaudois reconnaît le magnat de l’immobilier Bernard Nicod coupable de consommation de cocaïne et lui inflige 210 jours-amende à 2500 francs. Avec sursis.

Un mois plus tard, Christian Constantin, promoteur également, mais aussi président du FC Sion est condamné à Lucerne à 35 jours pour avoir agressé un arbitre. Egalement avec sursis. Et ici, le prix de la journée est à 700 francs… seulement.

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