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La catastrophe au Japon ravive le débat sur le nucléaire

La centrale nucléraire de Gösgen. Keystone

Les socialistes et les Verts demandent une sortie rapide du nucléaire. Les partis du centre exigent plus d’approfondissements, tandis que la droite défend l’option atomique. Si la catastrophe du 11 mars anticipe la bataille sur la politique énergétique, un revirement du Parlement reste improbable.

Le débat sur l’avenir de l’énergie nucléaire en Suisse devait être l’un des plats de résistance de la prochaine législature. Initialement, le Parlement voulait se prononcer  sur trois projets de construction de nouvelles centrales, afin remplacer les cinq sites actuels dont la durée de vie arrivera à échéance ces prochaines années. Une votation populaire était prévue en 2013.

Mais c’était sans compter avec la tragédie qui a frappé le Japon et qui accélère la bataille autour de l’atome. Les socialistes et les Verts exigent une session extraordinaire du Parlement en juin et multiplient les dépôts de motions, interpellations et autres initiatives. Au lendemain de la catastrophe du 11 mars, ils estiment que les mesures annoncées ces jours par le gouvernement ne sont pas suffisantes.

Lundi, la ministre suisse de l’Energie et de l’Environnement Doris Leuthard, avait décidé de soumettre les installations à de nouvelles vérifications et de suspendre les procédures d’examen des demandes d’autorisation de construire de nouvelles centrales nucléaires en Suisse.

Des risques en Suisse aussi

«Doris Leuthard a déclaré que la sécurité de la population est une priorité absolue. Maintenant, elle doit traduire ses paroles par des actes. Le gouvernement doit suivre l’exemple donné par les autorités allemandes, qui ont décidé de fermer sans attendre les installations nucléaires les plus anciennes du pays», déclare Christian Van Singer, député du parti écologiste suisse (PES).

Le PES et le Parti socialiste demandent donc l’arrêt des centrales de Mühleberg et de Beznau I et II, au plus tard d’ici 2012. «Nous n’avons peut-être pas de tsunami en Suisse, mais les risques sismiques, les inondations et les ouragans sont des dangers bien réels. Même les pannes techniques ne peuvent être totalement exclues», ajoute encore Christian Van Singer.

Selon les Verts et les socialistes, cette stratégie serait possible sans conséquences néfastes sur l’approvisionnement énergétique du pays. «En Allemagne, on a éteint quatre centrales et personne ne s’en est aperçu. Il ne faut pas oublier qu’en Europe, on produit actuellement des surplus d’énergie électrique. L’électricité ne sert pas uniquement à générer de l’énergie, mais aussi de l’argent», relève pour sa part le député Vert, Geri Müller.

Projets en attente

«Les trois vieilles centrales fournissent seulement 8000 gigawatts/heure sur les 26’000 produits en tout par les cinq sites actuels. Il s’agit donc d’une partie peu importante de notre consommation électrique. Et rien qu’avec les projets d’énergie renouvelable présentés jusqu’ici, une production de 9000 gigawatts/heure serait réalisable», fait remarquer le député socialiste Eric Nussbaumer.

«Malheureusement, ces projets sont toujours sur la liste d’attente des objets à traiter, parce que la législature actuelle freine les investissements dans les énergies renouvelables. C’est pourquoi, nous demandons un changement rapide de la base légale. En effet, plusieurs études démontrent que l’énergie photovoltaïque pourrait garantir une part équivalente à 30 à 35% de l’électricité», ajoute Eric Nussbaumer.

De plus, un bon programme d’efficience énergétique permettrait de réaliser des économies d’électricité de près de 15%. Selon les Verts et les socialistes, ces  mesures suffiraient même à remplacer les deux centrales les plus récentes (Leibstadt et Gösgen) dans les dix années à venir. Partant, les deux partis demandent au gouvernement d’élaborer une loi pour permettre une sortie rapide de l’atome.

Pas de décisions à la hâte

Alors que la gauche monte aux barricades, les partis du centre se retrouvent sur la défensive et demandent surtout que l’Exécutif fournisse des précisions. «Le 11 mars remet notre politique énergétique en cause. Dès lors, nous nous posons des questions sur la sécurité des installations nucléaires actuelles, sur les garanties données en cas de prolongement de l’activité de leurs concessions respectives, sur les coûts et les alternatives en cas d’abandon du nucléaire», admet Pirmin Bischof, député du parti démocrate chrétien (PDC / centre droit).

Des questions que le groupe démocrate-chrétien a rédigées dans un postulat adressé au gouvernement. Pour le parti du centre, qui se dit prêt à examiner toute option, il s’agit d’éviter d’adopter des décisions à la hâte avant d’avoir obtenu des réponses claires. Un avis que partage le parti libéral radical (PLR / droite).

«Nous devons maintenant réfléchir à la question de savoir si nous voulons poursuivre, à moyen et long terme, sur la voie du nucléaire. Mais il faut savoir combien de temps sera nécessaire pour remplacer ces 40% d’électricité. Nous ne voulons pas importer de l’énergie nucléaire des pays voisins. Et nous devons connaître les alternatives possibles. Jusqu’à présent, ceux qui exigeaient la sortie du nucléaire sont précisément les mêmes qui s’opposent systématiquement à des projets de nouvelles centrales hydroélectriques ou éoliennes, pour des raisons de protection de l’environnement», affirme de son côté le sénateur libéral-radical, Rolf Büttiker.

Pas de comparaison possible

Dans le camp de la droite conservatrice, l’Union démocratique du centre (UDC) maintient sa position en faveur du nucléaire. «Il est encore difficile d’évaluer les conséquences du 11 mars, que ce soit pour le Japon ou pour nous. Mais nous restons de l’avis que la Suisse n’est pas exposée à des tremblements de terre d’une tel amplitude et encore moins à un risque de tsunami. Et donc, nos situations ne sont pas comparables», assure le député Hans Killer.

«Nous sommes clairement favorables à toute nouvelle vérification, mais nous ne voyons aucune raison de décréter que nos centrales sont moins sûres aujourd’hui et nous ne voyons pas non plus d’alternatives pour ces prochaines années. L’énergie nucléaire sera encore nécessaire dans 20 ou 30 ans, afin de garantir l’approvisionnement énergétique électrique du pays», conclut-il.

1979: 51,2% des citoyens rejettent une initiative qui demande que toute construction de centrale nucléaire soit soumise au vote des habitants des villages et des cantons situés dans un rayon de 30 kilomètres.

1984: une initiative demande «un avenir sans centrales nucléaires» est rejetée par 55% des citoyens.

1990: 4 ans après la catastrophe de Tchernobyl, 54,5% des Suisses acceptent une initiative qui demande un moratoire de 10 pour la construction de nouvelles centrales. Ils refusent en revanche à 52,9% une initiative demandant un abandon progressif du nucléaire.

2003: les citoyens refusent par 66,8% une initiative demandant l’abandon progressif des centrales et par 58,4% une autre initiative qui propose un nouveau moratoire de dix ans.

2011: 51,2% des citoyens du canton de Berne se prononcent en faveur d’un projet de nouvelle centrale à Mühleberg. Mais ce vote n’a qu’une valeur consultative.

La Suisse dispose de 5 réacteurs nucléaires: Beznau I (1969), Beznau II (1971), Mühleberg (1971), Gösgen (1978) et Leubstadt (1984).

Les trois premiers doivent être désactivés d’ici 2020, alors que les deux derniers disposent d’autorisation d’exploitation jusqu’en 2040 et 2045.

Les centrales nucléaires suisses fournissent 40% de l’énergie électrique du pays. Le reste provient presque exclusivement des installations hydroélectriques.

Les énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.) ne fournissent que 5% de l’électricité et moins de 2% de l’énergie totale consommée en Suisse.

Les trois projets de nouvelles centrales – présentés par les Forces motrices bernoises, Axpo et Alpiq – prévoient la construction de réacteurs à eau légère dont le rendement est beaucoup plus élevé que celui des réacteurs actuels.

(Traduction de l’italien: Nicole della Pietra)

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