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La guerre en Géorgie peut recommencer

Keystone

La diplomate suisse Heidi Tagliavini, spécialiste de la Russie et du Caucase, a dirigé dix-huit experts pendant neuf mois avant de remettre mercredi son rapport qui a fait l'objet de nombreuses réactions chez les ex-belligérants, contrastant avec le quasi-silence des Européens.

L’Europe a été très discrète après la publication du rapport de la «mission d’enquête internationale indépendante sur le conflit en Géorgie» dirigée par la diplomate suisse Heidi Tagliavini.

Fruit d’un travail ardu de neuf mois, le rapport conclut que c’est bien la Géorgie qui a déclenché la guerre dans la nuit du 7 au 8 août 2008. Mais que Tbilissi a réagi après une longue période d’escalade et de provocations, accentuées pendant l’été, de la part de la Russie.

Le rapport a été salué par les Vingt-Sept dans un communiqué succinct. «Il nourrira notre réflexion sur la prévention des conflits. L’objectif n’était pas de refaire le match», commente un diplomate européen.

Erreurs et mauvais calculs

Paris, qui s’était investi à fond pour négocier un cessez-le-feu, Londres, Berlin, la présidence suédoise: aucune des grandes capitales n’a réagi au rapport, «qui confirme ce que l’on savait déjà», affirme ce même diplomate désireux de garder l’anonymat.

En Europe, seul le ministre lituanien des affaires étrangères a commenté le rapport de vive voix… discordante: «Je ne pense pas qu’il soit opportun de raviver des plaies encore vives, ni qu’engager un débat pour savoir qui porte le blâme de cette guerre soit utile. Si la communauté internationale était intervenue plus tôt et avait offert à la Géorgie une perspective d’intégration (ndlr: dans l’UE et dans l’OTAN), la guerre aurait pu être évitée», a déclaré Vyguada Usackas au site «eurobserver.com», avant de s’envoler pour Tbilissi afin de «faire acte de solidarité avec le peuple géorgien.»

Les Etats-Unis ont prudemment commenté le rapport remis mercredi simultanément à Bruxelles aux belligérants, à l’UE, à l’ONU et à l’OSCE. «Nous reconnaissons que toutes les parties ont fait des erreurs et de mauvais calculs, mais nous nous concentrons sur l’avenir», a déclaré Philip Crowley, porte-parole de la diplomatie américaine.

Toutes les parties responsables

Torts partagés, donc? Oui, mais la Géorgie a sans doute un peu plus tort que la Russie. Heidi Tagliavini est formelle: C’est la Géorgie qui a déclenché la guerre contre la Russie lorsqu’elle a bombardé Thsinkvali, la capitale de l’Ossétie du Sud, dans la nuit du 7 au 8 août 2008.

Mais pas question d’isoler cet événement de son contexte, s’empresse d’ajouter la Suissesse, grande spécialiste de la Russie et du Caucase: «Toutes les parties, géorgienne, russe, abkhaze et ossète du sud, ont leur part de responsabilité. La Russie avait mise en place une véritable politique de l’escalade qui a mené à la guerre. Le contexte a mis la Géorgie dans une situation où elle ne pouvait pas agir autrement», affirme-t-elle.

A peine publié, ce rapport a fait l’objet d’une véritable guerre de communiqués des deux ex-belligérants, qui contraste fortement avec le profil bas des Européens, commanditaires de la commission d’enquête.

La Géorgie a bien évidemment insisté sur les provocations russes qui ont mené à la guerre: «Le rapport prouve que Moscou préparait de longe date cette guerre qui a culminé les 7 et 8 août», a déclaré Temour Takobachvilli, ministre de la Réintégration.

Moderniser les structures

La Russie, elle, a crié victoire: Ce rapport apporte une confirmation sans équivoque à la principale question: qui a démarré la guerre? «Il montre que ce sont les bombardements massifs géorgiens sur le site de Tskhinvali dans la nuit du 7 au 8 août 2008 qui ont marqué le début des opérations armées de grande envergure», a lancé l’ambassadeur russe auprès de l’Union Européenne.

«Nous attendons que les leaders politiques qui ont hésité sur cette question adoptent une position claire. Nous espérons aussi que les pays qui n’ont jamais cessé d’apporter leur aide militaire au régime de Tbilissi y réfléchiront à deux fois, car le rapport montre bien que les fournitures militaires à la Géorgie ont constitué un facteur déstabilisant», a ajouté Vladimir Tchijov.

Dans ses recommandations, la commission d’enquête appelle toutes les parties à la table des négociations, car «le risque d’une nouvelle confrontation demeure grave». Plus d’un an après le conflit, la commission constate qu’il existe «des tensions persistantes, proches, dans de nombreux cas, d’hostilités ouvertes». Elle demande donc à la communauté internationale de moderniser les structures de maintien de la paix sur place.

Deux cent observateurs civils européens non armés patrouillent à proximité de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, deux régions qui ont déclaré leur indépendance «en non respect du droit international».

Il faut, dit Heidi Tagliavini, «faire des efforts supplémentaires pour assurer une présence indépendante, neutre et efficace au fin de maintien de la paix dans la zone de conflits.» Un message envoyé, en premier lieu, à l’Union européenne.

Alain Franco, Bruxelles, swissinfo.ch

Le Conseil de l’Europe a refusé jeudi de sanctionner la Russie pour n’avoir pas respecté deux résolutions sur le conflit d’août 2008 en Géorgie. Ces deux résolutions exigeaient entre autres le respect de l’intégrité territoriale de la Géorgie, l’accès d’observateurs de l’Union européenne en Abkhazie et en Ossétie du Sud et la libre circulation pour les civils géorgiens.

L’Assemblée parlementaire de l’organisation (APCE) a décidé par 88 voix contre 35 de «confirmer les pouvoirs de la délégation russe» en son sein. Une série d’amendements qui demandait «de la priver de ses droits de vote» à Strasbourg a été clairement rejetée.

«Cette décision permettra aux autorités russes d’engager un dialogue concret et constructif», énonce le texte. «Il se peut que le respect des résolutions ne puisse se faire dans les délais très courts qui ont été fixés», ajoute le texte, dépourvu de toute vigueur.

Le député socialiste zurichois Andreas Gross, rapporteur, avait déclaré en préambule. «Notre assemblée n’a qu’un pouvoir en douceur, on est déçus que nos suggestions n’ont pas été suivies mais nous choisissons ‘la culture du respect mutuel’ et du dialogue» dans l’enceinte du Conseil de l’Europe».

Heidi Tagliavini est considérée comme une experte du Caucase et a plusieurs années d’expérience en tant que «diplomate de crise».

En 1995, elle était la seule femme parmi les six membres du groupe d’assistance à la Tchétchénie de l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OSCE).

En mars 1998, elle s’est vu confier la tâche de cheffe adjointe de la Mission de l’ONU en Géorgie (MINOG).

Entre 2002 et 2006, elle était représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU en Géorgie et elle a aussi représenté de 2000 à 2001 l’OSCE dans le Caucase.

Heidi Tagliavini a aussi été ambassadrice de Suisse à Moscou et en Bosnie-Herzégovine.

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