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Le fédéralisme dopé par les émissaires des cantons

La mission de Jörg De Bernardi: promouvoir les intérêts du Tessin à Berne. swissinfo.ch

De nouveaux pions évoluent sur l’échiquier des relations entre cantons et Confédération: les attachés aux affaires externes des cantons. Ces «ambassadeurs» sont le signe tangible d’un fédéralisme en mutation, plus compétitif.

«Aujourd’hui, tous les cantons disposent d’une personne de référence qui fait office de coordinateur des relations extérieures. Son poids dépend en grande partie des responsabilités qui lui sont octroyées, que ce soit à l’égard de la Confédération ou au sein de l’administration de son propre canton», explique Jörg De Bernardi. Ce dernier exerce depuis mars la fonction de délégué du canton du Tessin.

Un délégué très actif à Berne, comme le constatent les observateurs. On le croise souvent dans les couloirs du Palais fédéral, disent-ils. Il est aussi toujours présent aux rencontres entre autorités cantonales et fédérales. Des rendez-vous qui se sont d’ailleurs multipliés ces derniers mois, et ce n’est peut-être un hasard.

«Je vis dans le train»

Le Tessinois ne compte plus ses navettes entre Bellinzone et Berne. «Je vis dans le train», lâche-t-il en plaisantant. Ces longues heures passées sur les rails lui permettent de rédiger des rapports et de préparer des documents. Car lorsqu’il est au bureau, Jörg De Bernardi consacre l’essentiel de son temps à des séances. Son lieu de travail dans la capitale fédérale se trouve d’ailleurs à deux pas de la gare.

Le Tessin est le second canton à s’être doté d’un bureau à Berne. C’est Genève qui avait ouvert la marche en 2008. Et Bâle pourrait peut-être bientôt leur emboiter le pas. Est-ce là une conséquence d’un fédéralisme compétitif, qui augmente la pression sur les cantons périphériques?

«Il faut préciser qu’il ne s’agit pas d’une compétition effrénée, rappelle Jörg De Bernardi. Le fédéralisme suisse est encore fortement empreint de solidarité. La compétition intérieure accrue au sein de la Confédération encourage la créativité et stimule l’esprit d’initiative des cantons. Sous cet angle, elle valorise les contributions des cantons en terme de valeur ajoutée au bien-être de la Confédération.»

Proximité avec l’Italie, un atout

«Ces nouvelles règles du jeu permettent aussi aux cantons de périphérie de mieux se profiler. Avec sa position géographique, le Tessin, a un atout de taille, à savoir les relations transfrontalières avec l’Italie», relève Jörg De Bernardi. L’Italie est le second partenaire commercial de la Suisse après l’Allemagne.

«Développer les rapports avec les régions de manière efficace revient à acquérir de l’importance au sein de la Confédération. Ainsi, le Tessin pourrait être considéré comme un grand connaisseur de la Lombardie, dont l’importance économique et politique en Italie n’est plus à souligner. Pour collaborer de manière plus incisive avec les régions et les provinces italiennes et profiter de ce que ces zones ont à offrir, le Tessin doit trouver des solutions à Berne», explique l’expert.

De fait, c’est la Confédération qui a la compétence de sceller des accords et des traités avec des pays étrangers. Le Tessin ne peut donc pas négocier directement avec Rome. «Et sur une série de questions transfrontalières, qui sont de la compétence du canton, Berne a aussi son mot à dire. Pensons notamment au marché du travail, aux transports, aux investissements ou à la culture», précise Jörg De Bernardi.

Savoir anticiper

Pour le canton, le défi est de «parvenir à jouer en anticipant» sur tous les fronts, affirme encore le délégué. «Une bonne coordination des temps de réalisation est indispensable pour influencer des décisions au moment décisif ou pour faire en sorte que des thématiques soient abordées. Il ne sert à rien d’arriver à une réunion avec des dossiers solides si l’ordre du jour prévoit autre chose».

«Tous les grands projets de lois fédérales, avant d’être soumis au Parlement, suivent une procédure de consultation qui implique tous les cantons. Dans les cas où un canton a des intérêts spécifiques à défendre, il doit déjà prendre les devants plus tôt», ajoute-t-il.

Avec son expérience de fonctionnaire diplomatique auprès du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), Jörg De Bernardi connait parfaitement les rouages de la Confédération. Il sait que «de nombreux dossiers reçoivent déjà leur empreinte de fond alors qu’ils n’en sont encore qu’au stade technique».

Réussir à intervenir dans cette phase, c’est-à-dire «lorsqu’on est encore malléable, et avant le grand débat politique», présente en outre l’avantage «de ne pas demander de gros efforts de mobilisation ou de campagne. Il suffit simplement de favoriser un échange intempestif d’information sur les positions et sur les intérêts réciproques. On peut ainsi éviter des malentendus et des développements futurs, inopportuns pour le canton».

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Précieuses alliances

Mais jouer avec les délais ne suffit pas à garantir le bon dénouement des revendications avancées par un canton. Pour compter davantage à Berne, il faut «être bien préparé et documenté, agir intelligemment, évoluer avec une certaine ruse, manifester de l’enthousiasme et nouer des alliances», souligne le délégué.

Une stratégie que Jörg De Bernardi illustre par un exemple concret: la bataille des autorités tessinoises contre la fermeture pendant 900 jours du tunnel autoroutier du Gothard. C’est en effet ce que prévoit le ministère suisse des Transports entre 2020 et 2025, afin de procéder à des travaux d’assainissement.

A ce propos, Jörg De Bernardi estime que la vaste collaboration mise en œuvre pour chercher «des alternatives valables, est déjà en soi un succès au niveau des procédures, même s’il faudra encore patienter pour voir des résultats». Mais le délégué tessinois se dit plutôt confiant quant aux chances de son canton de gagner la partie avec le soutien d’autres cantons.

«Il ne faut pas oublier que le premier canton destinataire des importations italiennes est Bâle, suivi de Vaud. Le Tessin n’arrive qu’en troisième position. La fermeture frapperait également les cantons riverains de l’axe du Gothard. Il faut donc faire en sorte qu’ils soient conscients de l’impact qu’aurait la fermeture à long terme d’un tunnel d’importance nationale et internationale». Autrement dit, des coalitions qui cimentent aussi le fédéralisme.

Les dernières données disponibles sur les mouvements de frontaliers sortant du canton remontent à 2000, avec le recensement fédéral.

Ainsi, en 2000, 429 travailleurs passaient quotidiennement la frontière pour se rendre au travail à l’étranger, essentiellement en Italie. En sens inverse, plus de 51’000 Italiens se rendent chaque jour au Tessin (chiffres 2011).

L’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes est entré en vigueur en 2002.

Le délégué du canton pour les rapports avec la Confédération a trois tâches principales.

La première, et plus importante de toutes est la sauvegarde des intérêts du Tessin. Dans ce domaine, le délégué s’occupe autant des rapports du Tessin avec la Confédération, que des relations avec d’autres cantons.

Deuxièmement, le délégué a pour tâche de faire croître le nombre de Tessinois recrutés dans l’administration fédérale (politique du personnel).

Le délégué du canton doit aussi donner de la visibilité au Tessin (par exemple en organisant des événements ou en participant à des événements communs).

L’émissaire tessinois entretien aussi des contacts étroits avec la députation parlementaire à Berne, mais c’est le gouvernement cantonal qui lui indique quelles sont ses tâches et c’est à lui que le délégué doit rendre des comptes.

Le travail de Jörg De Bernardi est réparti à raison d’un tiers à Bellinzone et deux tiers à Berne.

(Traduction de l’italien: Nicole della Pietra)

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