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Le putsch au Niger en rappelle beaucoup d’autres

Salou Djibo, nouvel homme fort du Niger après le coup d'Etat du 18 février. AFP

Un nouveau coup d’Etat a eu pour théâtre le Niger, après Madagascar, la Guinée, etc. Une constante de la réalité africaine, seulement «mise en veilleuse» durant les années nonante, analyse le politologue Makita Kasonga, retraité de l’Université de Lausanne.

1974, 1996, 1999 puis 2010… Le Niger vient de connaître un nouveau coup d’Etat. Une junte militaire a renversé le président, lui-même un ex-militaire sorti du canevas démocratique pour prolonger sa maîtrise du pouvoir suite à deux quinquennats.

Après dissolution du Parlement et de la Cour constitutionnelle en effet, Mamadou Tandja a fait adopter en août une nouvelle constitution lui offrant la maîtrise du pays jusqu’en 2012.

Les putschistes de la mi-février en ont décidé autrement, avec, apparemment, un soutien majoritaire de la population. Une fois le président déchu mis en détention, ils ont ouvert une «période de transition» avant, déclarent-ils, un retour vers la démocratie.

«Un mode de gouvernance a été remis en question, analyse le politologue Makita Kasonga. La mesure peut s’avérer salutaire s’il s’agit bien de rétablir le processus démocratique».

«Mais, constate-il, les militaires sont souvent tentés par l’exercice durable du pouvoir. Il n’est donc pas évident que des élections aient lieu dans les prochains jours, ni exclu que le chef de la junte soit candidat à la présidence et s’empare carrément du pouvoir.»

Makita Kasonga voit dans ce coup d’Etat «un épisode marquant un creux de la vague» mais pas du tout la fin de l’aventure démocratique dans ce grand pays sahélien.

«Cet épisode peut être salutaire s’ils [les militaires] suivent l’exemple du président malien, venu au pouvoir par un coup d’Etat, et qui s’est ensuite retiré, avant de se représenter aux élections quelques années plus tard seulement.»

Pour ce «rebondissement démocratique heureux», il faudrait que le gouvernement de transition conduise le pays vers des élections auxquelles les militaires ne participent pas. «Mais je doute fort que l’on suive ce chemin…», admet le politologue.

Un cas symptomatique

La cas nigérien n’est pas isolé. «Il est symptomatique d’un mode d’alternance politique dans une bonne partie de l’Afrique, d’est en ouest – Côte d’Ivoire, Mauritanie, Mali, Burundi, Centre-Afrique, etc.»

Entre 1960 et 1990, l’Afrique a connu plus de 260 coups d’Etat ou tentatives de putschs. Entre 1990 et 2007, une trentaine, selon Makita Kasonga.

Cette omniprésence des coups d’Etat sur le continent ne tombe pas du ciel. Elle «souligne le faible degré d’institutionnalisation, aussi bien étatique que démocratique. Comme par défaut, l’armée se profile comme la seule force en mesure de prendre le relai. C’est aussi ce qui explique en partie le soutien populaire à ce genre d’intervention, avec le risque d’un marché de dupes».

Sortir du cercle vicieux passe, selon Makita Kasonga, par «un nouveau contrat social entre les forces politiques en présence pour établir de nouvelles règles de ‘vivre ensemble’».

Le politologue précise ne pas attendre grand-chose d’une organisation comme l’Union africaine, «jamais que la somme des pouvoirs en place, lesquels ne sont pas vertueux du point de vue de la demande démocratique.»

Une constante en Afrique

Les spécialistes disent souvent observer une résurgence des coups d’Etat sur le continent noir ces dernières années. Makita Kasonga est moins catégorique. «Les coups d’Etat sont plutôt une constante, mise en veilleuse par le processus de démocratisation de la fin des années 80 jusqu’aux années 90.»

Processus de démocratisation? Après la chute du Mur de Berlin, en parallèle aux bouleversements en Europe de l’Est, un vent de démocratie a aussi soufflé sur l’Afrique.

La demande démocratique datait de bien avant mais avait été sévèrement réprimée, rappelle le politologue. «Dans les années 80, les pouvoirs en place ne sont plus en état de s’opposer. L’effet Ceausescu a frappé les imaginaires des dirigeants autocrates, qui se sont découverts mortels. On l’a vu très clairement au Zaïre avec Mobutu, mais aussi avec la fin du système de parti unique dans de nombreux pays».

Reflux démocratique, coups d’Etat, retour en force de pouvoirs autoritaires: Makita Kasonga refuse malgré tout l’idée d’un échec du processus de démocratisation en Afrique. Il y voit des «épisodes» de ce «long fleuve pas du tout tranquille».

Plutôt qu’un chemin évident vers la démocratisation, le politologue évoque «une demande d’ouverture et de transparence démocratique de la part de la société civile, qui n’a pas encore tous les moyens d’expression pour marquer sa demande».

«Pas sortie de l’auberge»

Cela dit, Makita Kasonga n’est pas démesurément optimiste et selon lui, l’Afrique n’est «pas sortie de l’auberge. Même si certains pays semblent épargnés, comme le Botswana ou le Sénégal, à tout moment peut survenir un coup d’Etat, n’importe où, comme réponse à une situation de dérive autoritaire ou simplement à un besoin de rétablissement d’un semblant d’ordre dans le cadre de luttes politiques classiques.»

Longtemps l’Asie et surtout l’Amérique latine ont été secoués par de nombreux putschs. Ce n’est plus guère le cas. Ces régions «s’en sortent plutôt mieux que l’Afrique sur le plan socio-économique», note le politologue.

Autrement dit, «la démocratie ne se mange pas. A quoi bon être démocrate si on ne résout pas notre équation de vie quotidienne… Il faut donc que très vite, les élites politiques puissent donner des réponses économiques concrètes, en lien avec une gouvernance vertueuse.»

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Population. Vingt-deuxième pays de la planète par sa surface, le Niger abrite une population d’un peu plus de 13 millions de personnes.

Développement. Il se situe au dernier rang des 182 pays classés sur la base de l’indice du développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (rapport 2009).

Chiffres. En 2005, l’espérance de vie y était de 44,3 ans, la mortalité infantile de 26,2% et l’analphabétisme de 85,6% (chiffres de la DDC).

La coopération suisse est présente au Niger depuis 1977. Ce dernier est un des seize pays prioritaires sous l’approche bilatérale.

La DDC concentre ses activités au sud-ouest, au centre et au nord-ouest du pays.

Son but est de contribuer à améliorer le niveau et la qualité de vie de la population, en agissant sur les facteurs de pauvreté et en faveur de l’émergence d’un Etat de droit.

En 2009 (chiffres non-définitifs), la Confédération s’y est engagée pour 11,6 millions de francs – 11 millions pour la coopération au développement, 0,6 million au titre de l’aide humanitaire.

A la suite de la crise constitutionnelle d’août déjà, la Suisse a réexaminé son engagement. Elle a alors abandonné sa coopération avec les institutions du gouvernement central.

Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) condamne toute prise de pouvoir inconstitutionnelle. La Suisse regrette aussi qu’aucune solution politique n’ait pu être trouvée sur la crise constitutionnelle avant même le putsch.

La DFAE appelle toutes les forces en présence au Niger à mener un dialogue constructif afin de surmonter cette crise et compte sur le rétablissement rapide de l’Etat de droit et de la démocratie.

La Suisse se félicite aussi des efforts de médiation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union africaine (UA) pour trouver une issue à la crise politique.

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