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Les Irakiens de Suisse plaident pour la réconciliation

4 décembre à Kirkouk, au Nord du pays. Six morts et des dizaines de blessés dans l’attaque d’un poste de police. En Irak, la violence est quotidienne. Reuters

La recrudescence de la violence en Irak inquiète la diaspora installée en Suisse. Plusieurs de ses représentants interrogés par swissinfo.ch pointent l’ingérence étrangère, mais aussi les divisions internes au sein de leur pays d’origine.

Depuis début 2013, 6000 personnes environ ont péri en Irak, dont 950 durant le seul mois de novembre. Ces chiffres témoignent de la vague de violence sans précédent qui secoue le pays depuis la reprise des affrontements confessionnels embrasant les villes à majorité sunnite.

Regrettant ces événements douloureux, l’artiste-peintre irakien Faik Al-Aboudi, établi à Lausanne depuis 10 ans, confie: «Nous assistons à la mort de nos familles et à la destruction de notre pays. La situation m’inquiète, mais il faut dire que nous, Irakiens, en sommes tous responsables».

Ce que confirme à sa manière Khalil Al-Bayati, émigré irakien résidant dans le canton de Soleure, qui voit aussi dans la crise de son pays une main étrangère. Selon lui, «ce sont les apparatchiks de l’ancien parti Baas, qui, ayant perdu leur pouvoir, collaborent avec les pays voisins pour empêcher toute stabilité en Irak».

Manque de solidarité nationale

L’inquiétude se perçoit également chez le plasticien Rachid Abbas, établi à Vevey, qui confie: «L’Irak est gouverné par des mafias. Chacune d’elle contrôle une région du pays. On peut dire que l’Etat n’existe plus, dans la mesure où il est incapable aujourd’hui de protéger ses citoyens ».

Même écho du côté de Khalil Al-Bayati: «Les différents partis et groupes en Irak poursuivent leurs intérêts, et non l’intérêt du pays». Cela reflète «le manque de solidarité nationale», comme le confirme Faik Al-Aboudi qui déplore l’absence de tout patriotisme. «Bon nombre de ceux qui gouvernent l’Irak aujourd’hui sont en train de vendre leur pays. Ils financent le terrorisme et le protègent», dit-il. Selon lui, ce qui se passe aujourd’hui en Irak s’explique par l’ingérence des pays voisins. Mais «ces derniers n’auraient jamais pu intervenir dans les affaires intérieures irakiennes s’ils ne bénéficiaient pas d’un appui local», regrette-t-il.

Quant à Salah Al-Bayati, fondateur du Centre social irakien en Suisse et président de l’association Ischtar, active dans le domaine de l’éducation et des conseils juridiques, il souligne: «La victime, c’est le peuple irakien».

Malgré toutes ces difficultés, la diaspora de Suisse (environ 5100 résidents permanents, ainsi que 2100 réfugiés, selon les derniers chiffres officiels) estime qu’il est indispensable d’avoir un homme fort, à la tête d’un Etat fort, capable d’assurer la sécurité des citoyens. «Sa confession et la région à laquelle il appartient importent peu. Ce qui compte, c’est qu’il œuvre dans l’intérêt de l’Irak», lance Khalil Al-Bayati.

Pas d’unité sans autorité

Certains trouvent, néanmoins, cette idée peu réaliste. Comme le reconnaît Faik Al-Aboudi: «Les Irakiens ont déjà cherché, dans cet esprit, des solutions qui ont échoué. L’appareil mis en place après la chute de Saddam Hussein s’est révélé mauvais. La seule réponse, donc, demeure le soulèvement du peuple qui sortirait le pays de la crise. Le pouvoir serait alors délégué à une autorité qui assurerait le retour à la normale».

Si donc l’Etat recouvre son pouvoir, le pays retrouvera son unité. Les divisions et les conflits confessionnels seront endigués. Comme le précise Rachid Abbas, «ces conflits ne sont pas le propre du peuple. Ils sont alimentés par des hommes politiques». Pessimiste, Salah Al-Bayati, quant à lui, ne voit pas l’avenir en rose. A son avis, le seul moyen, à terme, de sauver l’Irak serait d’y «développer l’éducation. Aujourd’hui, entre 50 et 60% de la population souffre d’analphabétisme».

La communauté irakienne de Suisse aurait pu jouer un rôle dans le choix d’une solution pour le pays. Mais le problème, est qu’il n’existe pas, à l’étranger, de noyau susceptible de fédérer la coopération. A ce sujet, Faik Al-Aboudi avoue: «Quand il vous arrive de proposer une solution, on vous soupçonne d’être, soit du côté du régime irakien, soit du côté de l’opposition».

Ce repli sectaire était perceptible en Suisse, dès le début de l’occupation américaine de l’Irak, en mars 2003. Mais à en croire Salah Al-Bayati, «le sectarisme a perdu, avec le temps, de sa virulence. En revanche, certaines organisations qui l’alimentaient, se sont muées en représentantes des partis au pouvoir en Irak».

Créé en 2004, il s’agit d’une organisation à but non lucratif, neutre au plan politique et confessionnel. Le Centre social encourage le dialogue et l’échange d’expériences entre les Irakiens de Suisse.

Parmi ses objectifs: conforter l’amitié entre ses adhérents et la société suisse; développer les relations entre les Irakiens et les institutions publiques chargées de l’intégration; appuyer la solidarité entre les femmes irakiennes et les femmes suisses mariées à des Irakiens.

Il dispose d’un groupe de femmes chargé de conseiller les Irakiennes récemment arrivées en Suisse et de les aider dans leurs relations avec les services de l’immigration du pays d’accueil.

Il organise des séminaires et des conférences, des cours de langue, des activités culturelles et sociales.

Pour un jumelage avec Nassiriya

Malgré toutes les difficultés, certaines associations fondées en Suisse, parviennent à déployer des activités utiles. Pour preuve, Ischtar, active depuis 2007 à Baden (canton d’Argovie). Cette association dispense des conseils juridiques aux Irakiens de langue arabe et kurde. Elle aide aussi les Irakiens de Zurich à s’intégrer, leur organise des cours d’allemand et jette des ponts entre la Suisse et les pays arabes. Comme l’explique son président, Ischtar «bénéficie du soutien financier et culturel d’associations suisses, du canton d’Argovie, de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), et du Bureau de l’intégration des étrangers du canton de Zurich».

En outre, Ischtar collabore avec le National Coalition Building Institute (NCBI), dans le canton d’Argovie, ainsi qu’avec la Commission fédérale contre le racisme. Par ailleurs, elle œuvre au jumelage des villes de Baden et de Nassiriya, au développement de l’enseignement en Irak et à l’hébergement des orphelins.

Adapté de l’arabe par Ghania Adamo

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