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Libye: le renfort européen souffre de lacunes

L’Europe investit des milliards dans la recherche de pétrole en Libye. Keystone

L’Union européenne est intervenue politiquement dans le conflit entre la Suisse et la Libye. Mais les enjeux économiques ne sont pas à sous-estimer, notamment dans la recherche de nouveaux gisements de pétrole.

Le conflit entre la Suisse et la Libye est devenu européen. Le gouvernement Kadhafi a en effet menacé de ne plus attribuer de visas aux ressortissants européens en rétorsion à la décision suisse de restreindre l’entrée en Suisse de hauts ressortissants libyens.

«Il est très difficile de négocier avec la Libye, qui pratique la politique du «tout ou rien», explique à swissinfo.ch, John Hamilton, qui écrit pour le site «African Energy». «En montrant qu’ils sont toujours prêts à poser de nouvelles conditions, les Libyens sont devenus très dangereux dans le jeu diplomatique», ajoute le spécialiste.

Détenus en Libye depuis juillet 2008, Rachid Hamdani et Max Göldi ont été séparés il y a quelques jours. Le premier a pu rentrer en Suisse mardi tandis que le second est entré en prison pour y purger une peine de quatre mois.

Conflit déplacé à Bruxelles

Malgré la solidarité dont ont fait preuve une poignée de diplomates européens venus, lundi, à l’ambassade suisse à Tripoli, la Suisse a dû accepter de laisser Max Göldi se faire emmener.

La Libye a en outre heurté les pays européens en décidant d’interdire l’entrée du pays aux citoyens de l’espace Schengen. Elle a non seulement agacé ses partenaires commerciaux européens, mais a déplacé le conflit à Bruxelles.

«Quand vous négociez avec des Libyens, vous devez savoir qu’ils ne respectent pas les limites habituelles dans ce genre d’exercice et qu’ils sont prêts à aller loin pour défendre les choses qui importent à leurs yeux», souligne John Hamilton.

Janis Emmanouilidis, expert du Centre de politique européenne de Bruxelles, pense également que l’interdiction imposée aux citoyens de Schengen suit un plan délibéré. «Tripoli était tout à fait consciente que cela susciterait une réaction», affirme-t-il.

«Mais cela montre aussi que lorsqu’un pays non-européen comme la Libye essaye d’exploiter une faiblesse de l’UE pour en tirer un avantage, cela génère un problème encore plus grand», ajoute Janis Emmanouilidis

L’heure des comptes?

Les efforts intenses manifestés par des Etats phares de l’UE pour aider à résoudre la crise sont en tout cas une nouveauté dans cette affaire. Mais Janis Emmanouilidis réfute l’idée que la Confédération serait désormais redevable envers Bruxelles, notamment en termes de conséquences sur le secret bancaire.

«C’est davantage une perception qu’un état de fait, dit l’expert. La situation est plus complexe que cela et ne se règle pas à coups de donnant-donnant.»

«Si la Libye est un élément dans la controverse fiscale entre la Suisse et l’Union européenne, cela n’en est certainement pas l’enjeu principal.» Du reste, ajoute-t-il, comme l’avait montré le début de la guerre en Irak, la principale faiblesse de l’Union européenne en matière de politique étrangère est la difficulté à atteindre un consensus entre les 27 Etats membres.

Questions énergétiques

L’empressement de l’UE à résoudre la crise doit aussi être analysé au regard de la question – épineuse mais lucrative – de l’énergie. Les enjeux sont nombreux en Libye, gros producteur de pétrole. Le pays attire les investisseurs dans ce domaine depuis qu’il est sorti de son isolement international. Les Européens se bousculent au portillon.

Un accord avec BP avait ainsi failli échouer l’an dernier, jusqu’à ce que le gouvernement britannique ne décide d’extrader l’homme condamné pour l’attentat de Lockerbie, en 1988. «De façon pour nous à peine imaginable, Kadhafi était vraiment prêt à laisser tomber l’accord pour faire revenir Al-Megrahi», rappelle John Hamilton. Alors que personne n’a la preuve, à ce jour, que des réserves d’or noir sont encore disponibles et exploitables…

«L’approvisionnement en hydrocarbures est l’obsession de tout le monde. Si un gisement est découvert, la Libye en sera encore renforcée», prédit le spécialiste.

Clare O’Dea, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

L’Union européenne compte 500 millions d’habitants et représente plus de 25% du PIB mondial. Avec ses 27 membres, elle est un acteur fort du jeu diplomatique mondial.

L’UE fournit la moitié de l’aide au développement et 20% des importations et exportations.

L’UE a une politique étrangère commune et essaye de parler d’une seule voix, ce qui n’est pas toujours aisé, sur les enjeux internationaux.

15 juillet 2008: Soupçonnés d’avoir maltraité leurs deux domestiques, Hannibal Kadhafi et sa femme Aline sont arrêtés à Genève. Ils sont inculpés le 17, après deux nuits en détention préventive. Le couple est remis en liberté contre une caution de 500’000 francs.

19 juillet 2008: Deux ressortissants suisses, Max Göldi et Rachid Hamdani, sont arrêtés en Libye. Tripoli leur reproche notamment des infractions aux lois sur l’immigration et le séjour.

26 juillet 2008: La Libye exige des excuses de la Suisse. Berne rejette ces exigences.

20 août 2009: En visite à Tripoli, le président de la Confédération Hans-Rudolf Merz présente ses excuses au premier ministre libyen Al Baghdadi A. El-Mahmudi pour l’arrestation d’Hannibal Kadhafi et conclut un accord.

4 novembre 2009: Le Conseil fédéral suspend l’accord passé avec la Libye. Il entend également poursuivre jusqu’à nouvel ordre sa politique de visa restrictive vis-à-vis des ressortissants libyens.

9 novembre 2009: Berne estime que les deux Suisses ont été «kidnappés».

Décembre 2009-début février 2010: Plusieurs procès contre les deux Suisses.

15 février: Tripoli, mettant ses menaces à exécution, affirme que la Libye ne délivre plus de visas d’entrée aux Européens, à l’exception des Britanniques. L’Italie accuse la Suisse d’avoir pris les autres membres de l’espace Schengen en otages.

18 février: Médiation espagnole.

22 février: Max Göldi se rend aux autorités libyennes pour être incarcéré. Rachid Hamdani quitte le pays. Il arrive en Suisse le 23.

(Source: ATS)

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