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Le vote le plus surveillé de l’histoire suisse est annulé

Les autorités communales de Moutier
Marcel Winistoerfer, le maire de Moutier (au centre), lors de la conférence de presse du 5 novembre au sujet de l'annulation du vote du 18 juin 2017. © KEYSTONE / LAURENT GILLIERON

Malgré un dispositif de surveillance exceptionnel, le scrutin sur l’appartenance cantonale de la ville de Moutier est entaché d’irrégularités. Le vote est annulé.


Le conflit qui envenime les relations entre le canton du Jura et le canton de Berne depuis la fin des années 70 repart de plus belle. Le vote sur l’appartenance cantonale de la ville de Moutier est annulé. Ce scrutin aurait dû clore le plus important conflit politico-territorial de l’après-guerre en Suisse: la Question jurassienne.

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Ce contenu a été publié sur Dimanche à Moutier, les citoyens ont décidé à une courte majorité d’épouser leur nouvelle patrie, le canton du Jura.

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Le 18 juin 2017, sous la haute surveillance des autorités bernoises et de la Confédération, les citoyens de Moutier ont accepté à 51,7% (137 voix d’écart) de quitter le canton de Berne pour rejoindre le Jura. Les militants pro-bernois ont alors déposé plusieurs recours pour contester le déroulement du scrutin. Un an et 5 mois plus tard, le verdict tombe enfin: la Préfecture du Jura bernois donne suite aux recours et annule le vote. Le dispositif de surveillance extraordinaire mis en place n’a pas permis d’éviter les dérapages. 

La préfète critique d’abord les interventions des autorités communales de Moutier, à majorité pro-jurassiennes, qui auraient mené avant la votation une «propagande non admissible, car susceptible de fausser l’opinion des électeurs». Elle dénonce également des «problèmes de tourisme électoral, de domiciliations fictives et de manquements graves dans l’organisation du scrutin (registre électoral, vote par correspondance durant le vote aux urnes)».

Appels au calme

Une décision explosive qui ravive d’un coup les tensions entre pro-jurassiens et pro-bernois, déjà exaltées par l’incertitude qui planaient sur la validité du scrutin. Le Conseil fédéral, les autorités municipales de Moutier et le gouvernement bernois ont d’ailleurs lancé un appel au calme.

La Confédération a pris acte de cette annulation, elle rappelle dans un communiquéLien externe que «les observateurs fédéraux n’étaient pas chargés de surveiller le déroulement de la campagne précédant la votation. Ils n’étaient pas non plus en mesure de se prononcer sur les soupçons de domiciliations fictives.» Le gouvernement bernois regrette que des manquements entachent ce scrutin «qui aurait dû être exemplaire», alors que le gouvernement jurassien pointe du doigt «une décision manquant de preuves et de nature politique». De leur côté, les autorités de Moutier qualifient cette décision de «subjective» et considèrent que «la volonté populaire est bafouée».

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Dans le camp des pro-bernois, c’est le soulagement, même si ces irrégularités étonnent dans le cadre d’un scrutin extrêmement surveillé. Mais pour Patrick Röthlisberger, porte-parole de Moutier-Prévôté, «la Question jurassienne ne sera jamais finie». 

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Recours en préparation

Les pro-jurassiens évoquent quant à eux un «déni de justice» et prévoient de faire recours contre cette annulation du vote auprès du Tribunal administratif bernois. Le porte-parole de Moutier ville jurassienne, Valentin Zuber, estime que «la Question jurassienne est relancée» et prévoit de grandes manifestations de protestation. Selon lui, cette décision d’annuler le scrutin a été «dictée par le gouvernement bernois, qui a décidé de se venger de la votation du 18 juin 2017».

Une nouvelle période d’incertitude s’ouvre donc pour les habitants de Moutier. Le canton de Berne a annoncé qu’il renonçait à ouvrir des négociations en vue du transfert de la ville. Des recours vont être déposés contre la décision de la Préfecture du Jura bernois, il faudra vraisemblablement attendre les décisions du Tribunal administratif bernois, voire même du Tribunal fédéral, avant de savoir si Moutier votera à nouveau sur son appartenance cantonale.

La Question jurassienne

Le Jura, territoire de l’ancien évêché de Bâle, a été uni au canton de Berne en 1815. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, des mouvements séparatistes réclament l’autonomie de cette région et la création d’un nouveau canton. Le ton monte d’un cran à partir des années 60, des affrontements éclatent entre séparatistes (groupe Bélier) et antiséparatistes (groupe Sanglier) et des attentats sont perpétrés dans toute la région (incendies, cocktails molotov, bombes, coups de feu). 

En 1974, les districts de Porrentruy, de Delémont et des Franches-Montagnes votent en faveur d’une autonomisation. La création du canton du Jura est entérinée par le peuple au niveau fédéral en 1978, mais les tensions perdurent entre les anti-séparatistes et les séparatistes, qui souhaitent intégrer le Jura bernois dans le canton du Jura. Le 1er janvier 1993, un militant jurassien décède dans l’explosion de sa bombe artisanale à Berne. En 1994, les cantons du Jura et de Berne passent un accord visant à régler politiquement la Question jurassienne. En 2013, les citoyens du Jura bernois refusent à 72% de changer de canton, mais Moutier dit oui à 55%. La ville a alors la possibilité de voter une nouvelle fois sur son appartenance, le 18 juin 2017.

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