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«Quelque chose de suicidaire dans ce que fait Abbas»

Mahmoud Abbas doit achever en janvier sa première présidence de l'Autorité palestinienne. Keystone

Le président de l'Autorité palestinienne ne briguera pas un nouveau mandat, a-t-il indiqué la semaine dernière. On le dit même prêt à démissionner. Bluff? Un coup de poker face au marasme, juge Pascal de Crousaz, spécialiste suisse du conflit israélo-palestinien.

Le ministre français des Affaires étrangères a indiqué qu’il irait sur place tenter de dissuader Mahmoud Abbas de renoncer à la présidentielle, prévue pour le 24 janvier prochain. Comment en est-on arrivé là?

swissinfo: Pourquoi Mahmoud Abbas a annoncé la semaine dernière qu’il renonce à briguer un nouveau mandat de président de l’Autorité palestinienne?

Pascal de Crousaz: Il n’a plus rien à promettre, et surtout, il n’a pas d’espoir à offrir à son peuple. Il a l’impression d’être dans une impasse.

Les Palestiniens voyaient les territoires sur lesquels ils pourraient établir leur Etat se rétrécir comme une peau de chagrin au fur et à mesure que la colonisation israélienne progresse. Ils avaient compris depuis longtemps qu’il n’y avait pas grand-chose à attendre, au-delà des belles déclarations, de l’administration Bush. Et quand Obama a été élu, avec un programme pour le Moyen Orient qui semblait prometteur, les Palestiniens se sont remis à espérer. Mahmoud Abbas le premier.

Mais ce plan de paix américain, ils ont attendu de le voir formulé au cours du printemps, puis au mois de juin, lorsque le président Obama s’est adressé aux musulmans depuis le Caire, puis pendant l’été, et pendant l’Assemblée générale des nations unies, mais rien n’est venu. Comme si le président Obama, se rendant compte de ses difficultés sur le plan intérieur, en particulier avec son programme de santé, voulait éviter de se mettre à dos les supporters d’Israël aux Etats-Unis.

Il y a eu surtout ce volte-face de la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton – quand bien même elle a essayé ensuite d’en atténuer la portée – mais qui grosso modo, a laissé tombé l’exigence américaine d’un gel de la colonisation pour que les négociations de paix reprennent. Les Palestiniens se sont sentis complètement lâchés. Et Mahmoud Abbas s’est retrouvé dans une situation intenable, face à son peuple, à négocier avec un gouvernement israélien qui, de toute évidence, malgré un discours qui semble laisser un espoir à la paix, n’est pas prêt à faire les concessions nécessaires.

Mahmoud Abbas a, en outre, été fragilisé, ayant été poussé à tergiverser sur le rapport des Nations Unies [Goldstone] concernant la guerre à Gaza. Au-delà, tout le processus de paix semble bloqué. Il a saisi l’arme du très faible, celle de cesser d’être l’interlocuteur modéré que les chancelleries occidentales aiment voir en place. Mais qui est incapable de répondre aux attentes minimales de son peuple. Il y a quelque chose de suicidaire dans ce que fait Mahmoud Abbas. C’est une espèce d’appel au secours en se laissant couler.

swissinfo: Autrement dit, l’annonce de Mahmoud Abbas n’est pas un coup de bluff…

P.d.C.: Il y a peut-être un élément de bluff. Il a été coutumier du fait, et dans le monde arabe, on a très souvent vu des leaders tenter ce coup de poker du bluff à la démission. Nasser, par exemple, à la fin de la Guerre des six jours. Mais il est aussi possible qu’il ressente une lassitude face à un processus de paix qui ne mène visiblement à rien.

Le temps joue à court terme en faveur d’Israël, à travers la poursuite de la colonisation et de la construction du mur, sans que les Palestiniens aient aucun moyen d’infléchir les choses. A plus long terme par contre, la démographie joue pour les Palestiniens.

Autour de Mahmoud Abbas, certains disent que face à des Israéliens totalement réfractaires aux concessions nécessaires pour la solution des deux Etats envisagée par la communauté internationale, il reste à laisser tomber. A rester à l’intérieur du «Grand» Israël, à exiger l’égalité et le droit de vote. Avec l’arrière-pensée que le poids des Palestiniens va aller en s’accroissant. Et que si un droit de vote pour les Palestiniens des territoires occupés est instauré, assez rapidement, l’Etat juif cessera d’être juif. En cas de refus de l’occupant, les Palestiniens pourraient alors «démasquer» Israël et l’accuser de pratiquer l’Apartheid.

swissinfo: Quelle implication aurait le départ d’Abbas sur ce qui reste du processus de paix?

P.d.C.: Soit il réussit son pari et la communauté internationale décide d’aller de l’avant. C’est-à-dire qu’elle fait appliquer les idées dans l’air depuis longtemps, deux Etats, dans les frontières de 1967 grosso modo. Les solutions existent depuis l’initiative de Genève, depuis le plan Clinton. Elles pourraient être remises au goût du jour par l’administration Obama, être présentées comme la seule solution viable aux yeux de la communauté internationale.

Le soutien serait immédiat de la part de l’Union européenne, de la Russie, du Conseil de sécurité en général et très probablement de la Ligue arabe aussi. La pression deviendrait assez forte sur Israël qui, s’il refusait, apparaîtrait nettement comme l’obstacle à la paix. Mais pour cela, l’administration Obama doit accepter de prendre un risque politique. Mahmoud Abbas l’y incite. S’il ne parvient pas à ses fins, et si vraiment il part, on aura un peu plus de chaos et d’impasse dans les territoires palestiniens.

swissinfo: Cela signifierait-il l’acte de décès de l’Autorité palestinienne, ou alors d’autres leaders sont-ils susceptibles d’émerger?

P.d.C.: Il y a des leaders, comme Mohamed Darlan ou Jibril Rajoub, qui ont d’assez bons rapports avec les pays occidentaux et parfois même avec Israël. Ces gens seraient sans doute intéressés à pouvoir exercer le pouvoir et à prendre la place de Mahmoud Abbas. On parle également de Marwan Barghouti, emprisonné en Israël. Il y a bien sûr, aussi, le Hamas.

Dans cette affaire, le Hamas peut affirmer que sa thèse était juste. Il a toujours dit que négocier avec Israël ne menait nulle part. Quand Mahmoud Abbas annonce son départ, quand il dit, comme il l’a fait l’autre jour à Hébron, qu’il ne sait pas ce que veut Israël, indirectement, il dit que le négociation avec Israël ne mène nulle part. Ce qui fait triompher les thèses du Hamas.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Connu aussi sous le nom d’Abou Mazen, il est né en 1935 en Galilée, à l’époque sous mandat britannique.

Il a étudié le droit et l’histoire en Egypte et à Moscou.

Il est un des membres fondateurs du Fatah (1959), avec Yasser Arafat, dont il fut un proche.

Abbas est un des architectes des accords de paix d’Oslo en 1993.

Après la mort de Yasser Arafat fin 2004, il prend la tête de l’OLP puis remporte l’élection à la présidence de l’Autorité palestinienne début 2005.

Régime: démocratie parlementaire, siège à Ramallah

Territoire: 5’860 km2 (Cisjordanie) et 360 km2 (Bande de Gaza).

Environ 2.71 millions d’habitants en Cisjordanie et 1.42 million dans la Bande de Gaza.

Population: Arabes palestiniens 83%, Juifs 17% (Cisjordanie), Arabes palestiniens 99.4% (Bande de Gaza).

Religion: musulmans 75% (en majorité des sunnites), juifs 17%, chrétiens 8% (Cisjordanie), musulmans 98.7% (en majorité des sunnites), chrétiens 0.7% (Gaza).

source: DFAE

Sur les terres conquises par Israël en 1967, l’Etat hébreux reconnaît quelque 120 colonies. S’y ajoutent des points de colonisations qu’il juge illégaux.

Quelque 300’000 colons seraient établis en Cisjordanie selon les Israéliens. Et près de 200’000 dans la région de Jérusalem-Est.

Selon l’organisation israélienne La Paix maintenant, la construction de nouveaux logements a augmenté de 57% l’an dernier. Et le taux de croissance démographique dans les colonies atteint 5% en moyenne.

En septembre, le gouvernement Netanyahu a donné son feu vert à la construction de 455 nouveaux logements en Cisjordanie, en plus de 2500 dont l’installation a déjà été ratifiée.

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