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Médaille pour des aviateurs US emprisonnés en Suisse

Touché lors d'une mission sur l'Allemagne, un B-17 américain a atterri à Genève le 24 avril 1944. Un blessé a été hospitalisé et le reste de l'équipage a été interné Archives fédérales, Berne

Près de 70 ans après leur internement dans un camp disciplinaire de Suisse centrale, le Congrès américain décerne une médaille de prisonnier de guerre à 157 aviateurs internés et punis pour avoir tenté de s’évader.

«Recevoir une médaille de prisonnier de guerre après 68 ans, j’en suis heureux, mais je suis aussi déçu que cette reconnaissance ait pris autant de temps, témoigne le lieutenant-colonel James Misuraca. Pour ce retraité de l’US Air Force âgé de 91 ans et qui vit en Floride, la récompense du Congrès américain n’a pas le goût de la revanche: «Je n’en ai jamais voulu au peuple suisse. J’en veux en revanche aux autorités militaires pour m’avoir incarcéré dans l’enfer du Wauwilermoos, où j’ai été maltraité sous le commandement d’un tyran, le capitaine Béguin. J’ai été forcé de vivre dans une cabane en bois, mal chauffée et y dormir sur une couchette garnie de mauvaise paille et infestée de poux».

Les délégués du CICR qui ont inspecté le camp du Wauwilermoos ne se sont pas montrés très perspicaces: «S’il règne une discipline de fer, on y trouve aussi un esprit de justice et de compréhension qui facilite la rééducation et l’amélioration des éléments difficiles qu’on y envoie, rapporte le délégué Frédéric Hefty. Le camp serait un lieu de villégiature où les détenus ne demandent qu’à revenir, témoignent des internés utilisés par le capitaine Béguin en échange de traitements de faveur.

En 1944, l’attaché militaire à Berne fait comprendre au conseiller fédéral Pilet-Golaz que les traitements infligés aux aviateurs américains pourraient entraîner des «erreurs de navigation» au cours de leurs raids sur l’Allemagne. Le 19 juillet, un de leurs bombardiers percute la tourelle du Château Wyden, à Ossingen (Zurich). C’était la propriété du président du CICR jusqu’en 1946, Max Huber, qui présidera aussi par la suite Alusuisse et Oerlikon Contraves, le fabricant du célèbre canon de DCA.

En 1946, le président du CICR recevra de Washington un dédommagement de 769’000 francs pour reconstruire son château de 48 pièces. Mais un acte de représailles est à écarter: le B-24 avait été abandonné en vol par son équipage de retour d’une mission sur l’Allemagne et qui a sauté en parachute à 30 km de là. Reste que le président du CICR a touché, à titre individuel, la plus grosse indemnité versée en Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale.

Un capitaine pronazi

Commandant du camp pénitentiaire de Wauwilermoos, au nord de la ville de Lucerne, le capitaine André Béguin ne cachait pas ses sympathies nazies. Après la guerre, il sera condamné à trois ans et demi de réclusion, dégradé et expulsé de l’armée. Il confisquait l’argent des prisonniers pour mener une double vie et couvrir ses dettes. Lors de son arrestation, on a retrouvé 200 courriers d’internés (non postés) se plaignant de leurs conditions de détention.

Pour James Misuraca, Wauwilermoos ne présentait guère de différence avec un camp de prisonniers de guerre allemands: «La nourriture consistait en une maigre soupe aux choux avec des pommes de terre et du pain noir. Nous avions faim constamment. Nos gardiens étaient vulgaires et grossiers. Le camp était entouré d’une double rangée de barbelés avec miradors et patrouilles équipées de chiens. Pas d’eau courante ou de savon, des latrines plus que primitives… J’ai finalement réussi à m’évader de cet enfer et trouver refuge en France le 1er novembre 1944.»

A la retraite depuis 1964 après vingt-deux ans de service dans l’US Air Force, James Misuraca a ensuite travaillé comme broker, mais il n’est jamais revenu en Suisse, et notamment à Davos où il a été interné avant sa première tentative d’évasion: «J’aurais pourtant bien voulu revoir le lieu le plus plaisant de mon internement. Je n’ai jamais reçu d’excuses de la part des autorités suisses». 

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Violé et martyrisé

En 1995, un autre interné de Wauwilermoos a été reçu à Berne par le président de la Confédération Kaspar Villiger, qui lui a alors présenté les excuses de la Berne fédérale. Interné dans un hôtel vide d’Adelboden, dans l’Oberland bernois, Dan Culler avait tenté l’évasion par le Tessin. Tombé malade après avoir mangé des baies non comestibles, il avait regagné son lieu d’internement de sa propre initiative.

Envoyé à Wauwilermoos, il s’était retrouvé dans un baraquement en compagnie d’autres internés de pays de l’Est. Ils vont le violer à plusieurs reprises: «Quatre d’entre eux me maintenaient pendant qu’un autre agissait. Et ainsi à tour de rôle. Je saignais de partout. Je venais d’un petit village de l’Indiana et n’avais jamais eu de relations sexuelles».

Le lendemain, il se précipite auprès du capitaine neuchâtelois, mais son histoire ne suscite que l’hilarité. Il se retrouve dans le même baraquement, violé, martyrisé, humilié par ses bourreaux: «J’ai pensé plusieurs fois mourir» se souvient Culler, qui ne recevra pas la visite du CICR.

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Des excuses émouvantes

Atteint de tuberculose, Dan Culler est hospitalisé, puis tente à nouveau de s’évader, avec la complicité de l’attaché militaire américain. Il se souvient s’être rendu à Genève rejoindre trois membres d’équipage dans un restaurant de Cornavin. Un taxi les emmène jusqu’à la frontière hérissée de babelés: «Nous avons couru sous les balles des soldats suisses qui ont tiré sans sommation avant de tomber sur des passeurs français».

Pour Noël 2001, la fille du capitaine neuchâtelois a adressé une émouvante missive à Dan Culler: «Après toutes ses années de souffrance, il est temps de vous demander sincèrement pardon de la part de toute ma famille et aussi de la part de mon père. God bless you.»

Petit-fils d’interné

Petit-fils d’un autre aviateur américain interné en Suisse, le major Dwight Mears, qui enseigne dans une académie militaire de Caroline du Nord, vient de consacrer sa thèse de doctorat de philosophie aux internés américains en Suisse sous le titre: Internés ou prisonniers? Succès et échecs du droit international dans le traitements des internés américains en Suisse entre 1943 et 1945 (Université de Caroline du Nord, Chapel Hill, 2012)

Selon ses recherches aux Archives fédérales à Berne et auprès du CICR à Genève, la remise de la médaille de guerre concerne 154 aviateurs, dont 11 sont encore en vie, sur les 763 qui ont pu quitter la Suisse avant la fin des hostilités. Elle devrait être remise également à titre posthume à ceux qui ne sont plus de ce monde, en un lieu et une date encore à déterminer.

Pour échapper à la vigilance de leurs gardiens, certains se sont même déguisés en femme comme le lieutenant Stuart Goldsmith, qui s’est évadé de Davos pour rejoindre le maquis français. (Internés en Suisse 1939-1945, Olivier Grivat, Editions Ketty & Alexandre, 1995)

La Suisse jusqu’au-boutiste

«Le général Guisan a forcé le CICR à soumettre ses rapports d’inspection des camps d’internement à la censure (de l’armée) comme condition préalable d’accès», assure  Dwight Mears, tombé par hasard sur un document du CICR.

Sa thèse compare le comportement de la Suisse aux Etats neutres tels que la Suède, la Turquie ou le Portugal, eux aussi soumis à l’obligation, selon la Convention de La Haye de 1907, interner les combattants jusqu’à l’issue du conflit. «Mais la Suisse est le seul pays à l’avoir appliqué à la lettre jusqu’en mai 1945, relève l’historien américain. Les autres n’ont pas attendu pour procéder à des échanges avec les Allemands ou pour fermer les yeux sur les évasions.»

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