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Pour la presse, le pragmatisme suisse l’a emporté

L'accord passé mercredi entre Berne et Berlin a un caractère historique pour certains journaux. Reuters

L’annonce de l’ouverture de négociations fiscales entre la Suisse et l’Allemagne est saluée par les grands quotidiens du pays comme un succès pour la diplomatie suisse. Les éditorialistes restent cependant prudents sur les développements futurs.

«L’accord de principe entre l’Allemagne et la Suisse est un succès pour le Conseil fédéral, pour la place financière mais également pour la Suisse en tant que pays de séjour pour les citoyens et les entreprises», s’enthousiasme l’éditorialiste de la Neue Zürcher Zeitung au lendemain de l’accord conclu entre Berne et Berlin.

«L’atmosphère était bien loin des Indiens et de la cavalerie mercredi soir à Berne», souligne le correspondant de l’Agence télégraphique suisse (ATS), en référence aux propos tenus l’année dernière par l’ancien ministre des Finances allemand Peer Steinbrück, alors que la tension entre les deux pays était à son apogée.

Lors d’une conférence de presse conjointe, le ministre des Finances suisse Hans-Rudolf Merz et son homologue Wolfgang Schäuble se sont engagés à négocier un accord sur la fiscalité qui devrait permettre de trouver une solution à la querelle sur l’argent noir – estimé à près de 200 milliards de francs – caché en Suisse par de riches Allemands.

Bluffant

Et pour beaucoup d’éditorialistes, cet accord, bien que pas encore définitif, a déjà un caractère de victoire quasi inespérée pour la diplomatie suisse. «Ce que les négociateurs suisses ont réussi à obtenir est simplement bluffant – la solution apparaît pratiquement comme l’exact désir manifesté par les banques et le Conseil fédéral depuis deux ans», affirme le Tages-Anzeiger de Zurich.

Le Temps renchérit par une métaphore de circonstance. «La Suisse, fidèle à sa réputation de savoir creuser des tunnels, semble avoir ouvert une brèche. Et cela alors que l’obstacle a semblé un moment insurmontable, tant les attaques ont été massives et parfois dogmatiques.» Et le quotidien genevois de rappeler qu’à l’époque, «il était tout simplement question d’obliger la Suisse à renoncer à son secret bancaire, une spécificité très helvétique, et à la protection de la sphère privée».

L’année dernière, la situation était bien plus délicate, rappelle également le Tages-Anzeiger. La Confédération était alors embourbée dans un conflit quasi inextricable suite aux agissements frauduleux d’UBS aux Etats-Unis. Elle avait également été contrainte d’adopter les normes de l’OCDE en matière d’échange d’informations, ce qui avait porté un sérieux coup au sacro saint secret bancaire.

Poignée de main historique

Le journal de boulevard alémanique Blick n’hésite pas à parler de «poignée de main historique» entre le ministre suisse des Finances Hans-Rudolf Merz et son homologue allemand Wolfgang Schäuble.

Pour Blick, cette harmonie retrouvée adoucit considérablement la fin de mandat d’Hans-Rudolf Merz. Après avoir été vertement critiqué pour sa gestion de l’affaire libyenne et UBS, le ministre démissionnaire a réussi à arracher un accord in extremis avec l’Allemagne six jours avant son départ.

Selon les estimations du journal, ce sont 30 milliards d’euros qui pourraient rentrer dans les caisses de l’Etat allemand avec cet accord. «Le meilleur argument qui laisse augurer une fin heureuse et qui assurerait une place dans les livres d’histoire à Hans-Rudolf Merz.»

De l’argent pour des noms

Car même si les éditorialistes se réjouissent pour la plupart de l’excellent travail réalisé par les négociateurs suisses, l’abandon du principe d’échange automatique d’informations exige une importante contrepartie financière. «En somme, résume le Tages-Anzeiger, au lieu des noms, les banques livreront de l’argent aux fiscs allemand et britannique».

Un prix à payer important, estime le quotidien zurichois. La faute en incombe aux politiciens bourgeois, restés longtemps aveugles face aux excès des banques. «En s’engageant plus tôt dans la lutte contre l’évasion fiscale, n’auraient-ils pas obtenu bien plus, sur un plan politique et économique, pour la Suisse?», questionne-t-il.

Si la conclusion d’un accord avec l’Allemagne semble proche, les négociations risquent d’être encore ardues. «Il faut s’attendre à ce que l’Etat allemand défende ses intérêts lorsqu’il s’agira de négocier le taux de l’impôt libératoire et les moyens de régulariser les anciens avoirs non déclarés, tout en préservant l’anonymat des clients des banques», souligne le quotidien économique l’Agefi.

«Les deux signatures, en l’espace de quelques jours, pour l’ouverture de négociations fiscales avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne, peuvent être considérées comme un tournant. Cela ne signifie pas que le chemin est totalement libre et qu’il n’y aura plus aucune difficulté», temporise à son tour le Corriere del Ticino.

Et quid de Bruxelles?

La manière dont Bruxelles accueillera ces négociations bilatérales interpelle également la presse. Le Temps estime qu’il est trop tôt «pour savoir si ce code de bonne conduite bancaire et les accords bilatéraux en négociation, qui pourraient être étendus à la France et à l’Italie, suffiront à contrer les exigences européennes.» Un revers final et une cinglante défaite du pragmatisme suisse n’est pas à exclure, ajoute le quotidien francophone.

«Si elle reste ferme, ce qui est probable, la Suisse a de bonnes chances d’imposer cette solution à l’ensemble de l’Union européenne», estime le Tages-Anzeiger. D’autres pays pourraient en effet être attirés par cette offre alléchante: «plutôt remplir rapidement les caisses que se battre durant des années pour l’accès aux données bancaires de leurs évadés fiscaux».

La Südostschweiz est de l’avis que si la Suisse arrive à convaincre la France et l’Italie de monter sur le même bateau, «la pression mise par l’Union européenne pour introduire l’échange automatique d’informations va diminuer. L’appétit du fisc, de Rome à Paris, en passant par Berlin, serait temporairement apaisé. Et la prochaine fois, la Suisse sera certainement mieux armée».

Intérêt divers

A noter que si les grands quotidiens du pays ont largement commenté la nouvelle, la plupart des journaux régionaux, notamment en Suisse francophone, l’ont complètement occultée. Tout au plus trouve-t-on une brève dans La Liberté de Fribourg.

Tout comme la Tribune de Genève et 24heures de Lausanne, Le Matin a préféré se glisser dans les coulisses du Conseil fédéral à l’heure des déménagements d’automne et de la passation de témoin de Moritz Leuenberger après 15 ans passés au gouvernement.

En Allemagne, l’accord conclu dans le conflit fiscal avec la Suisse n’a pas fait de grosses vagues. D’autres thèmes dominent la presse du jour comme les bons chiffres du chômage, le bilan d’un an de coalition noire-jaune au pouvoir ou encore le conflit autour du paquet de stabilité de l’Union européenne.

Les politiciens ont gardé une certaine retenue face à l’événement, trop peu d’éléments étant pour l’heure connus. Seul le Vert Gerhard Schick a exprimé son incompréhension, reprochant au ministère des Finances d’avoir «mal mené les négociations».

Le gouvernement a échoué puisque l’anonymat du secret bancaire suisse a «finalement été mis de côté», a-t-il déclaré à la Frankfurter Rundschau. Les accords ont pour but d’offrir «une amnistie généreuse aux fraudeurs du fisc, dont l’identité restera cachée aux autorités allemandes», a-t-il affirmé.

La Frankfurter Allgemeine Zeitung a pour sa part commenté: «L’accord fiscal signé à Berne ne met pas fin au litige durable avec Berlin. Les discussions entre les ministres des Finances doivent aller bien au-delà de leurs budgets respectifs. Il s’agit de se pencher sur des principes contradictoires. La Suisse balance entre l’affirmation de soi et l’ouverture au monde».

Le secret bancaire a été ancré dans la loi suisse en 1934.

Durant ces derniers 18 mois, la Suisse a été maintes fois accusée de favoriser l’évasion fiscale.

L’OCDE a mis la Suisse sur la «liste grise» des paradis fiscaux en avril 2009.

Elle en a été rayée en septembre, après avoir renégocié plus de 12 conventions de double imposition mais en refusant tout transfert automatique d’informations bancaires sans la preuve d’un crime avéré.

Plusieurs pays, dont l’Italie, la France, la Grande-Bretagne et les USA ont proposé des amnisties fiscales afin de rapatrier des fonds soustraits au fisc.

Le cas le plus grave a touché UBS, condamné en février 2009 à une amende de 780 millions de dollars pour avoir aidé des clients américains à se soustraire au fisc. La banque a également été forcée de transmettre les données de 285 détenteurs de comptes.

En septembre, le gouvernement suisse a accepté de transmettre au fisc américain les données de 4450 clients d’UBS – en violation du secret bancaire – pour éviter un procès ruineux à UBS.

Plusieurs CD contenant des données bancaires volées ont été achetés par les autorités allemandes.

La Suisse et l’Allemagne devraient conclure un accord créant un impôt à la source sur les avoirs des clients allemands des banques suisses.

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