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Pour un nouveau modèle gouvernemental

Ex-press

L'élection d'un nouveau membre du gouvernement ne peut se limiter à un «casting» des candidats. C'est ce que soutiennent plusieurs observateurs politiques dans un livre récent. A leurs yeux, les partis doivent faire preuve de courage et définir de nouvelles règles politiques pour le gouvernement.

«Nous avons l’impression que l’élection d’un nouveau ministre est en passe de tomber au niveau d’un ‘casting show’ pour lequel les candidats cherchent à séduire le plus grand nombre en évitant d’adopter des positions trop pointues sur certains thèmes politiques, par crainte de perdre des voix au moment de l’élection», déclare le député socialiste Andreas Gross.

«La Suisse traverse une phase difficile, ajoute cet expert des questions institutionnelles. Les candidats devraient donc faire connaître la manière par laquelle ils comptent affronter les problèmes majeurs auxquels nous devons faire face aujourd’hui. De leur côté, les partis devraient ouvrir le débat sur la politique qu’ils entendent mener avec leurs représentants au gouvernement.»

Et pour lancer ce débat, à quelques jours à peine du rendez-vous du 16 septembre, Andreas Gross a publié un ouvrage intitulé Elections au Conseil fédéral: Pas un show électoral! dans lequel une vingtaine de représentants et observateurs politiques font part de leurs réflexions sur l’élection au gouvernement et surtout sur la nécessité d’adapter le système helvétique aux changements survenus ces dernières années.

La fin du modèle de concordance

«De nombreuses personnes semblent vouloir ignorer le fait que les bouleversements électoraux et politiques de cette dernière décennie ont mis fin au vieux modèle de concordance sur lequel s’appuyait le système politique suisse, souligne Andreas Gross. Nous ne pouvons pas faire comme si rien n’avait changé, pour éviter d’aborder les questions de fonds qui devraient être examinées au plus vite.»

Le modèle de «concordance» a déterminé, du moins jusqu’à il y a quelques années, la composition du gouvernement suisse. Suivant ce principe, tous les grands partis nationaux étaient représentés au Conseil fédéral et s’engageaient à suivre une politique basée sur la recherche du consensus.

Ses origines remontent aux années 1930, alors que le spectre du fascisme et les tensions internationales poussaient les différentes composantes démocratiques du pays à s’unir. Par la suite, favorisée par l’extrême immobilisme des rapports de forces électoraux entre les principaux partis, la démocratie de concordance a marqué la Suisse pendant près d’un demi-siècle.

Banalisation de la politique

La progression spectaculaire de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) au cours de cette dernière décennie a cependant renversé la tendance et creusé les clivages politiques entre les partis présents au gouvernement. Après être restée inchangée depuis 1959, la répartition des sièges au Conseil fédéral a même changé trois fois au cours des cinq dernières années.

«Après la fin de l’ère de la concordance, les partis n’ont pas même tenté de définir un programme politique commun, sur la base duquel les membres du Conseil fédéral pourraient être élus. Aujourd’hui, chaque camp tente au contraire de démontrer son droit de siéger au gouvernement, en se basant sur le calcul mathématique, autrement dit, sur les voix ou les sièges dont il dispose», affirme Andreas Gross.

«De ce fait, on en vient à banaliser la politique nationale et l’élection au gouvernement. Sans oublier qu’en l’espèce, le calcul n’avantage aucun parti. D’un point de vue mathématique et selon divers calculs, quatre formations politiques au moins pourraient prétendre s’arroger le fauteuil vacant: le Parti libéral-radical, le Parti démocrate-chrétien, l’Union démocratique du centre et les Verts.»

Un pays sans pouvoir

Pour le député zurichois, l’heure est venue de jeter les bases d’un nouveau modèle de concordance ou de gouvernement qui rassemblerait les partis qui ont une vision politique commune et qui n’équivaudrait pas simplement à une distribution arithmétique ou proportionnelle des sièges au Conseil fédéral.

Une vision que partagent plusieurs auteurs du livre cosigné par Andreas Gross, parmi lesquels figure aussi le politologue Florian Schmid: «Concordance, comme l’indique son origine latine concordantia, signifie accord entente. Une démocratie basée sur la concordance doit être conçue comme une forme de gouvernement qui vise à sceller un accord, une entente, chose qui se vérifie très rarement dans la politique suisse d’aujourd’hui, que ce soit au niveau gouvernemental comme dans de nombreux autres domaines.»

Un modèle de gouvernement basé sur un programme commun risque cependant d’écarter l’un ou l’autre grand parti du Conseil fédéral. Il pourrait toutefois renforcer le poids et l’autorité de ce même gouvernement dans de nombreux autres domaines, alors qu’il est de plus de plus en plus souvent accusé de réunir sept administrateurs qui se limitent à gérer le pays.

«La Suisse doit arrêter de rêver d’être une démocratie exemplaire, pour la seule raison que personne n’y détient le pouvoir, affirme le député démocrate chrétien Jacques Neirynck. En réalité, il s’agit déjà d’une acratie, un pays sans pouvoir et donc sans vigueur et sans force de proposition. C’est un excellent système pour gérer la routine, mais une malédiction pour affronter l’Histoire, qui n’est pas un long fleuve tranquille.»

Armando Mombelli, swissinfo.ch
(Traduction de l’italien : Nicole della Pietra)

1953 – 2003: La longue ère de la «formule magique»: 2 sièges au Parti socialiste (PS), 2 au Parti libéral radical (PLR), 2 au Parti démocrate-chrétien (PDC) et 1 à l’Union démocratique du centre (UDC).

2004 – 2007: l’UDC, emmenée par Christophe Blocher, arrache un siège au PDC: 2 sièges PS, 2 PLR, 2 UDC et 1 PDC.

2008: Eveline Widmer Schlumpf et Samuel Schmid abandonnent l’UDC et entrent au nouveau Parti bourgeois démocratique: 2 sièges PS, 2 PLR, 1 PBD et 1 PDC.

2009: L’UDC revient au gouvernement avec Ueli Maurer qui succède à Samuel Schmid: 2 sièges PS, 2 PLR, 1 PDC, 1 UDC et 1 PBD.

Union démocratique du centre (droite conservatrice): 65 sièges (28,9% des votes en 2007)

Parti démocrate-chrétien (centre-droit): 52 sièges (14,5%), compris 5 sièges issus de deux partis minoritaires appartenant à son groupe parlementaire

Parti socialiste: 51 sièges (19,5%)

Parti libéral-démocratique (centre-droit): 47 sièges (17,7%)

Verts: (24 sièges (9,8%)

Parti bourgeois démocratique (droite): 6 sièges

L’ouvrage publié par Andreas Gross et Fredi Krebs est disponible en allemand et en français

Election au Conseil fédéral: Pas un show électoral! (Editions le Doubs – Service Public), rassemble des textes et des interviews d’une vingtaine de politologues, historiens et parlementaires, dont Dick Marty (PLR), Jacques Neirynck (PDC), Andy Tschümperlin (PS) et Luc Recordon (Verts).

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