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Quand les chasseurs suisses s’invitent dans la course à l’Élysée

Des lieutenants de Louveterie organisent et encadrent une battue administrative dans les environs de Toulouse pour réguler la surpopulation de sangliers, le 16 décembre 2021. Francois Laurens / Hans Lucas / AFP

Les candidats et candidates à l’élection présidentielle française font des pieds et des mains pour s’attirer le vote des chasseurs. Seuls les écologistes prennent leurs distances et proposent l’interdiction de la chasse le week-end. En prenant pour modèle la Suisse.

Le 15 décembre 2017, Emmanuel Macron file au château de Chambord fêter ses quarante ans. Le Président fraichement élu pose devant le «tableau de chasse» de la journée: vingt sangliers et quelques oiseaux tués par le gratin de la chasse française réuni pour les fameuses chasses de Chambord. «Je serai le président qui développera la chasse, vous pourrez toujours compter sur moi», promet Emmanuel Macron aux chasseurs.

Promesse tenue: le tarif du permis de chasse est divisé par deux (200€ au lieu de 400€) et la plupart des chasses traditionnelles sont maintenues, en dépit des critiques des organismes de défense des animaux.

Macron le citadin, l’homme de lettres et des cénacles parisiens, qui n’a jamais tenu un fusil dans ses mains, défend donc les chasseurs, mieux qu’aucun président avant lui. Il faut dire qu’ils sont nombreux et puissants. Plus d’un million de Français pratiquent la chasse. Parmi eux, plusieurs ministres.

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, tire régulièrement, tandis que son collègue Marc Fesneau préfère la chasse à l’arc, nous apprend le journal Le Monde. Quant à Eric Dupond-Moretti, en charge de la justice, il chasse avec un faucon et son setter irlandais. Au Sénat, présidé par le chasseur Gérard Larcher, 69 élu-es font partie du groupe d’étude «Chasse et pêche». Autant de relais pour un monde de la chasse très influent à Paris, notamment par l’intermédiaire de la Fédération nationale des chasseurs.

Yannick Jadot déclenche la colère des chasseurs

Alors, quand le candidat écologiste Yannick Jadot a proposé d’interdire la chasse le week-end et pendant les vacances scolaires, personne n’a suivi chez les prétendants à l’Élysée. Pas même le communiste Fabien Roussel ou la socialiste Anne Hidalgo, qui préfèrent ne pas s’aventurer sur ce terrain si sensible, se rappelant que la chasse ouverte à toutes et à tous est un acquis de la Révolution française.

«Le droit de chasse est indissociable du droit de propriété, s’emporte Michel Amblard, président de la Fédération des chasseurs de la Dordogne. Yannick Jadot veut empêcher les chasseurs de pratiquer le week-end? Mais la semaine ils travaillent! Et les agriculteurs, envahis par les sangliers, vont être contents», ironise Michel Amblard qui rappelle que rien qu’en Dordogne, ce sont 37’000 bêtes qui ont été abattues par les chasseurs l’an dernier: sangliers bien sûr, mais aussi chevreuils, mouflons et daims notamment.

Des chasseurs manifestent le 18 septembre 2021 à Forcalquier, dans le Sud-Est de la France, pour défendre la chasse et leur mode de vie rural. Clement Mahoudeau / AFP

Pour réguler la chasse, les écologistes français prennent pour modèle la Suisse. Où tous les cantons interdisent la chasse au moins le dimanche. «Nous ne sommes pas sur une interdiction globale. Il faut aller vers un modèle suisse des gardes-chasses qui régulent les espèces», précise David Cormand, l’ancien patron du parti Europe Ecologie Les Verts (EELV), dans Le Monde.

Le modèle genevois

Comme souvent, les choses en Suisse sont un peu plus compliquées que ne l’imaginent les responsables politiques français. Il n’y a qu’à Genève que la chasse de loisir est interdite depuis 1974, les gardes de l’environnement régulant la faune. Dans les autres cantons, la «chasse de milice» est légale, les jours d’ouverture variant selon les saisons. Dans le canton du Jura par exemple, la chasse générale des mois d’octobre et novembre est réservée aux lundis, mercredis et samedis, note Jean-Luc Berberat, président de la Fédération des chasseurs jurassiens.

David Cormand admet volontiers son imprécision, mais il maintient que le rôle de régulation confié aux chasseurs français est contradictoire. «La régulation, c’est un alibi pour continuer à chasser, estime l’eurodéputé. D’ailleurs, de nombreux chasseurs nourrissent les bêtes pour ensuite les tuer.»

Le rôle des gardes-chasses (garde-faune en Suisse) n’est pas foncièrement différent dans les deux pays, précise Jean-Luc Berberat, qui ajoute que la formation des chasseurs est plus longue (deux ans) dans la Confédération. «Les adversaires de la chasse prennent souvent pour modèle le canton de Genève, mais ils oublient de dire qu’on tue aussi des bêtes au bout du Léman, note Jean-Luc Berberat. Simplement, ce sont des professionnels qui s’en chargent…» Et le Jura, dont la forêt est 30 ou 40 fois plus étendue qu’à Genève, peut difficilement se permettre d’instaurer un modèle aussi coûteux, estime le chasseur.

La Suisse a aussi son organisation faitière, JagdSchweitzLien externe (ChasseSuisse), qui exerce son activité de lobbying à Berne. Un groupement de parlementaires «chasse et biodiversité», constitué exclusivement de membres de partis de droite ou de centre-droit, s’engage à défendre «une chasse libérale» ainsi qu’«une législation libérale d’armes à feu».

Chasse populaire ou élitiste?

Pas de quoi rivaliser avec le cas français, son million de chasseurs (30’000 en Suisse), ses 91 espèces chassables, ses «40 modes de chasse qui représentent un patrimoine culturel sans équivalent dans le monde», se glorifie la Fédération nationale des chasseurs. Laquelle ajoute sur son site: «La chasse est écologique même si sa finalité est ailleurs (…) Elle accorde une valeur prioritaire à la conservation des écosystèmes et des milieux.» 

Baratin du lobby de l’«extrême-chasse», fustige David Cormand. «Une chasse traditionnelle comme la chasse au gabion, pratiquée chez moi en Normandie dans des postes à demi-enterrés, proches des estuaires et de leurs gibiers d’eau, a perdu beaucoup de son sens», pointe l’euro-député. Les gabions sont loués à prix d’or à des gens qui ne sont pas du coin, ajoute David Cormand, qui conteste le mythe d’un monde de la chasse rural et traditionnel. La chasse serait devenue en partie un loisir de citadins en mal de dépaysement. Et de riches.

En attendant, les candidats et candidates à l’élection présidentielle continuent à s’afficher auprès des chasseurs. Ainsi, sur le site chassons.comLien externe, on peut voir le candidat d’extrême-droite Eric Zemmour s’extasier sur les anciennes chasses royales de Marly-le-Roi et louer les chasseurs «défenseurs majeurs de la nature». Ou Valérie Pécresse, candidate de la droite libérale, assurer: «Les chasseurs sont des amoureux de la nature, ce que les Verts n’arrivent pas à comprendre.»

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