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Révolte argentine à Fribourg

La révolte en marche (image tirée du film «Memoria del saqueo»). swissinfo.ch

Le 18e Festival international de films de Fribourg, qui se tient jusqu’au 28 mars, offre une large palette de documentaires argentins.

Un rendez-vous sans concession avec un cinéma engagé qui dénonce les méfaits de la globalisation et du modèle économique néolibéral.

«Memoria del Saqueo», «Mémoire d’un saccage». Un documentaire d’investigation qui analyse minutieusement les causes de la crise argentine. Il est signé Fernando Solanas, 68 ans, homme politique, réalisateur internationalement reconnu et tête de file du cinéma engagé.

Ce documentaire, en forme de coup de poing, a été présenté en ouverture de la 18e édition du Festival international de films de Fribourg.

La caméra de Fernando Solanas ne se contente pas d’y raconter la misère humaine. Elle décrypte les mécanismes économiques et politiques des «années Menem» du nom du président qui a gouverné entre 1989 et 1999.

Un règne néolibéral qui a conduit à la privatisation des plus grandes entreprises du pays, à la révolte populaire de décembre 2001 et à la chute d’un autre président, Fernando de la Rua.

«L’Argentine a été pillée, déclare le réalisateur dans l’une des interviews accordées à la presse. Au nom de la mondialisation et du libre-échange, les recettes socio-économiques des organisations financières internationales ont abouti à un génocide social.»

Les fils de la révolution



Mais le peuple argentin résiste. Des décombres de la crise sont nés les fils de la révolution; de jeunes cinéastes qui, eux aussi, témoignent dans le cadre du Festival international de films de Fribourg.

«Agua de fuego» relate la réalité quotidienne des habitants de Cutral-Cò. Une petite ville du fond de la Patagonie qui vivait de l’exploitation pétrolière jusqu’à la privatisation et la fermeture des plus grands gisements du pays.

C’est dans ces terres les plus reculées de l’Argentine que sont nés les «piqueteros», ces chômeurs organisés en syndicats de fortune qui, quasi quotidiennement encore, bloquent les routes du pays pour faire entendre leur voix.

Le documentaire dit l’humiliation quotidienne d’une population dont la survie dépend désormais de la manne parcimonieusement distribuée par le biais des «plans de travail».

Des sortes de plans d’occupation mis sur pied sous la pression populaire et qui permettent à certains, et notamment à ceux qui montrent patte blanche, de gagner quelques pesos par mois.

Sans cesse, la caméra filme des files d’hommes et de femmes qui attendent soit la distribution d’un travail, soit les paiements qui n’arrivent pas.

«Il a fallu des mois de lutte et des morts pour obtenir ces aides de l’Etat, rappelle Sandra Godoy, co-réalisatrice de “Agua de fuego”. Aujourd’hui, le système est lui aussi gangrené par la corruption et utilisé comme un outil de pression. Mais la population n’a pas le choix.»

Une nouvelle conscience



«Después de la siesta» raconte pour sa part la révolution de Santiago del Estero dans le nord du pays. Là aussi, les structures industrielles ont été démantelées et la population est sortie de sa torpeur pour chasser les responsables du désastre. Même les retraités sont descendus dans la rue.

«Il n’y a plus de place pour la peur en Argentine, commente Claudio Remedi, co-réalisateur de “Después de la siesta”. Le pays s’est découvert une nouvelle force. Il n’a d’ailleurs plus rien à perdre.»

Les nouveaux documentaires argentins sont à l’image de ce peuple qui crie sa révolte et son désespoir. Les jeunes réalisateurs sont fascinés par la puissance de cette marée humaine qui, spontanément, déferle sur les places et les rues du pays pour défendre ses droits.

Réalisé dans l’urgence, caméra au poing, sans fioriture, mais avec émotion et poésie, ce cinéma brut se veut tout à la fois témoin et moteur de l’histoire.

«Nos films sont un hommage au peuple argentin et une arme de lutte», lance Sandra Godoy, co-réalisatrice de «Agua de fuego».

A l’instar du peuple dont il retrace l’épopée, ce cinéma, lui aussi, descend dans les rues. Il est projeté dans les assemblées populaires, dans les villages de «piqueteros», là où l’Argentine continue de se battre.

Pour la plupart, les films sont le fruit de co-réalisations. «Notre démarche reflète le processus social en cours, souligne Claudio Remedi. Nous unissons nos forces et notre réflexion pour rendre compte de la réalité et tenter d’élaborer des solutions.»

Solidarité avant tout



Comme le quotidien des Argentins, ces documentaires sont faits de bouts de ficelle, de travail acharné et de solidarité. «Nous n’aurions jamais pu réaliser ces images sans le soutien de la population qui nous a nourris et hébergés durant les tournages», remarque Ana Fraile, autre jeune réalisatrice du creuset argentin.

Solidarité, maître-mot dans un univers qui n’a plus grand chose à partager. «L’effondrement économique de l’Argentine ne nous a laissé que deux options: le cannibalisme ou la solidarité», dit en substance l’un des protagoniste de «Después de la siesta». «Nous avons choisi la solidarité».

L’enthousiasme n’exclut pas pour autant la lucidité. «La lutte a permis aux gens de récupérer leur dignité, mais elle ne leur a pas donné à manger» déclare un autre personnage du documentaire. Une phrase qui résonne comme un aveu d’impuissance.

«Les mobilisations continuent, constate pour sa part Claudio Remedi. «Mais les mouvements populaires ne sont pas parvenus à coordonner leurs actions. Alors que de son côté, le gouvernement, lui, reconstruit ses outils de contrôle et de pression», conclut-il.

swissinfo, Vanda Janka

18e Festival international de films de Fribourg jusqu’au 28 mars 2004
Longs métrages argentins:
Agua de fuego (Remedi Claudio / Godoy Sandra / Galantini Candela)
Control obrero – La fábrica es nuestra – Obreras sin patrón (Jaime Gabriela / Godoy Sandra)
Después de la siesta (Remedi Claudio / Rojas Eugenia)
Los Fusiladitos (Miljiker Cecilia)

– L’histoire argentine récente:
1989: Election à la présidence de Carlos Saúl Menem.
1991: Parité peso-dollar.
1995: Réélection de Carlos Saúl Menem.
1999: Election de Fernando de la Rúa (radical).
Novembre 2000: troisième grève générale en moins d’un an. Décembre 2000: annonce d’un plan de soutien du FMI de 40 milliards de dollars.

– 2001: Domingo Cavallo est nommé ministre de l’Economie après la démission successive de ses deux prédécesseurs. Le peso argentin est lié au dollar et à l’euro. Un projet de loi d’austérité dite «de déficit zéro», prévoit la réduction des traitements des fonctionnaires et de certaines retraites.

– Lors des élections législatives, l’opposition péroniste devient le premier parti à la Chambre des députés et conserve la majorité au Sénat.

– Manifestations à Buenos Aires et dans les grandes villes de province. Le président argentin Fernando de la Rúa démissionne le 21 décembre après des émeutes meurtrières.

– Adolfo Rodriguez Saa est nommé président intérimaire jusqu’au 3 mars 2002. Il annonce la suspension (moratoire unilatéral) de la dette publique de 132 milliards de dollars et un plan d’urgence pour relancer l’économie. Il émet une nouvelle monnaie, l’argentino, pour régler les dépenses intérieures, tout en maintenant les deux monnaies officielles, à savoir le dollar et le peso.

– 2002: Election d’un nouveau président péroniste, Eduardo Duhalde.

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