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Les Etats-Unis ne feront pas de cadeaux

Il y a peu de chances pour que la justice américaines lâche la pression sur les banques suisses. Keystone

Le rejet par le parlement de l’accord proposé par les Etats-Unis pour régler le différend fiscal entre les deux pays ne restera pas sans conséquences, selon des observateurs interrogés par swissinfo.ch. Des deux côtés de l’Atlantique, on doute qu’il soit possible d’éviter de sérieux dommages pour la finance suisse.

Mercredi, la Chambre basse du parlement a finalement rejeté le plan permettant aux banques suisses de transmettre des données confidentielles concernant leurs employés aux autorités américaines. La plus grande crainte est de voir maintenant le Département de Justice américain renouveler le type de poursuites qui avait conduit à la disparition de la banque Wegelin, il y a quelques mois.

«Il est très probable que le Département de Justice ait considéré l’acte d’accusation contre Wegelin comme un coup de semonce à l’encontre de banques suisses beaucoup plus influentes. Or si cet avertissement n’a pas porté, il pourrait très bien augmenter encore la pression envers des établissements économiquement plus importants», déclare Beckett Cantley, expert de droit fiscal à la John Marschall Law School d’Atlanta.

«S’il ne le faisait pas, le Département de Justice pourrait donner l’impression au monde bancaire offshore que ses paroles ne sont que du vent, poursuit-il. Or il ne cherche pas simplement à attraper les fraudeurs du fisc actuels, mais aussi à dissuader définitivement les nouveaux fraudeurs et leurs banquiers, et cela à l’échelle mondiale.»

Le chef des négociateurs suisses, Michael Ambühl, qui quittera son poste en août, avait livré une vision assez sombre d’une vie sans accord avec les Etats-Unis. «Que cela nous plaise ou non, les Etats-Unis sont en mesure de déstabiliser toute la place financière suisse en prenant des mesures contre ses banques», avait-il averti.

Certains estiment que le Département de justice a déjà environ une quinzaine de banques suisses ou de banques basées en Suisse dans son collimateur. Parmi elles: Credit Suisse, Pictet et différentes banques cantonales.

Et ce n’est probablement pas tout. «Je m’attends à voir une autre banque suisse inculpée prochainement, déclare à swissinfo.ch Teig Lawrence, avocat fiscaliste à Miami. C’est juste une question de savoir qui va devoir avaler la pilule et avec quel calibre les Américains vont tirer».

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Les députés coulent la «Lex USA»

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Tâche difficile

En rejetant la Lex USA, le parlement a maintenant mis la balle dans le camp du gouvernement, obligeant ce dernier à trouver une solution alternative qui respecte à la fois les lois américaines et suisses. Mais cela ne sera pas une tâche facile si l’on considère les résultats d’années d’intenses négociations entre les deux pays. Les dernières discussions ont en effet finalement débouché sur un «échec», estime l’ancien diplomate suisse Christian Blickenstorfer, qui a été ambassadeur aux Etats-Unis et en Allemagne avant de prendre sa retraite.

«Notre diplomatie a échoué parce que pendant de nombreuses années la Suisse a ignoré la pression persistante des Etats-Unis visant à obtenir des informations sur ses citoyens qui avaient fraudé le fisc, dit-il. Ce blocage ne s’est pas matérialisé d’un jour à l’autre : il y avait des signes avant-coureurs». Compte tenu de l’actuelle impasse entre gouvernement et parlement en Suisse, l’ancien ambassadeur ne voit guère de «lumière au bout du tunnel» dans le cadre du litige avec les Etats-Unis.

Il semble improbable que les Etats-Unis acceptent de négocier à nouveau pendant des années pour trouver une autre solution. Ce d’autant plus que le gouvernement suisse sera probablement appelé à affronter les recours des employés de banque et du Préposé fédéral à la protection de données s’il donne unilatéralement l’autorisation aux banques d’ignorer le secret bancaire et de transmettre des informations aux Etats-Unis.

Rappelons qu’en 2010, le Tribunal administratif fédéral avait jugé illégale la transmission de données relatives aux clients d’UBS au fisc américain. L’autorisation avait finalement été accordée suite au feu vert du parlement qui avait accepté, en juin 2010, un accord avec Washington pour régler l’affaire UBS.

Pas de place pour les sentiments

Mais cette fois, le parlement n’a pas voulu céder à ce qui était perçu comme un «Diktat» américain. Une position qui suscite une certaine sympathie de la part de Beckett Cantley.

«Tirer profit de la force des Etats-Unis pour compromettre la souveraineté et des lois d’un autre pays – et surtout un pays allié – constitue un dangereux précédent, juge-t-il. Il me semble que les Etats-Unis auraient pu localiser les comptes offshores non déclarés avec des moyens moins offensifs. Les Etats-Unis ont toute une série d’instruments qui leur permettent de suivre les mouvements en dollars à travers le monde, surtout quand il s’agit d’argent qui entre ou sort du système bancaire américain.»

Mais pour Christian Blickenstorfer, il n’y a pas de place pour les sentiments dans le monde de la diplomatie. Les pays plus forts ont toujours fait valoir leurs poids face à des partenaires plus faibles. «Sur la base de mes expériences de négociation avec les Etats-Unis, je peux dire qu’ils sont durs mais corrects.»

L’autre grand problème de la Suisse, c’est qu’elle n’a pas grand-chose à proposer. «Le pays plus petit met généralement l’accent sur ce qui est aussi dans l’intérêt du partenaire plus fort, comme la création d’emplois et les investissements dans le pays, explique l’ancien ambassadeur. Mais dans ce cas particulier, il n’y a pas beaucoup de choses que nous pouvons faire valoir pour équilibrer les négociations.»

Avoirs cachés

Teig Lawrence quant à lui est convaincu que malgré les 40’000 détenteurs de comptes qui se sont annoncés lors des amnisties fiscales, des fonds américains non déclarés pourraient encore se cacher sur des comptes offshore – y compris en Suisse.

Pour l’avocat en effet, la majorité des personnes qui ont demandé à être blanchies via l’amnistie fiscale étaient plutôt des détenteurs de «petites» sommes que des gens ayant amassé des millions de dollars de butin.

«Ces gens qui ont de plus grosses fortunes ont généralement le sentiment qu’ils résisteront plus facilement à la tempête, estime Teig Lawrence. Ils sont donc plus enclins à adopter l’attitude d’attendre pour voir».

Les comptes détenus en Suisse par des contribuables américains ne devraient plus échapper au fisc des Etats-Unis. Par 34 voix contre 3, le Conseil des Etats a donné jeudi son aval à l’accord dit FATCA. 

Par cette loi, les Etats-Unis exigent de recevoir dès l’année prochaine des instituts financiers du monde entier les informations relatives aux noms, aux avoirs et aux revenus des «personnes assujetties de manière illimitée à l’impôt américain». L’obligation ne concerne pas seulement les citoyens américains résidant aux Etats-Unis, mais également les expatriés. 

A gauche, on aurait préféré miser sur un échange automatique des données bancaires. Le camp rose-vert a donc proposé de renvoyer l’accord au gouvernement pour qu’il le renégocie dans ce sens. Ce renvoi a été repoussé par 23 voix contre 11. 

Le dossier doit encore passer devant la Chambre du peuple, en septembre.

(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

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