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Aucune confiance dans la réforme fiscale des «élites»

Défaite pour le ministre des Finances Ueli Maurer: le peuple n’a pas voulu de la troisième réforme de l’imposition des entreprises. Keystone

Après le net refus de la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), la presse suisse diagnostique un grand malaise, une perte de confiance dans les élites et le monde économique, voire une sorte d’«effet Trump». Et sur le plan politique, tout (ou presque) est à refaire.

«Six votants sur dix qui refusent un projet fiscal adoubé par le Conseil fédéral, c’est une déconfiture de première classe rarement vue en politique suisse», affirme ‘24 heures’.

«Une gifle pour la majorité qui a soutenu le projet, une victoire haut la main et certainement inattendue par son ampleur pour la gauche, qui avait lancé le référendum», renchérit le ‘Corriere del Ticino’, pour qui «les urnes ont délivré un message clair et net de méfiance envers la politique, mais avant tout envers le monde économique».

Le ‘Tages-Anzeiger’ de Zurich et le ‘Bund’ de Berne expliquent le résultat de ce dimanche en partie par une sorte d’«effet Trump» à l’helvétique: un vote diffus contre la globalisation et ses conséquences. «Il y a là une réaction contre la politique de l’UDC [droite nationaliste], qui ne cesse depuis des décennies de brocarder les institutions. On ne peut pas constamment dénigrer les élites, et d’un coup dire aux citoyens: ‘sur cette réforme compliquée, vous devez simplement faire confiance aux élites’».

«A l’évidence, la croyance dans le fait qu’une politique de localisation favorable aux entreprises profite à tous et que quand les entreprises vont bien, le citoyen moyen va bien aussi a du plomb dans l’aile», note de son côté la ‘Neue Zürcher Zeitung’.

«Enorme gifle»

Quotidien genevois clairement ancré à gauche, ‘Le Courrier’ évoque non sans jubilation «une énorme gifle que se sont pris dans la figure les promoteurs de la RIE III. Malgré une campagne extrêmement agressive de la droite, basée sur un message catastrophiste propagé à coups de millions de francs, la population a rejeté massivement cette réforme truffée d’astuces et de ristournes spécialement destinées aux plus grandes entreprises, et seulement à elles».

‘Bilan’ fait remonter ce refus à la décision du parlement, où l’UDC et les libéraux-radicaux avaient à l’époque «joué avec le feu, en chargeant trop lourdement le bateau des niches fiscales et en refusant de trouver une solution pour réduire les pertes de recettes des collectivités publiques». Et le magazine économique de rappeler qu’il avait alors écrit: «Si cette réforme échoue devant le peuple, on pourra alors dire que la Suisse compte la droite la plus bête du monde».

«Certes, personne ne contestait l’abolition de privilèges pour les entreprises à statut fiscal spécial, devenus inacceptables au regard des règles internationales. Mais le fait d’avoir voulu compenser ceci avec de nouveaux privilèges forgés avec beaucoup d’imagination a éveillé une large méfiance», constate la ‘Berner Zeitung’.

Et les citoyens ne sont pas laissé impressionner par des menaces. En cas de non, les grandes entreprises allaient quitter la Suisse, a-t-on entendu surtout en fin de campagne. «Comme si la Suisse n’avait rien d’autre à offrir que des privilèges fiscaux!, s’indigne la quotidien bernois. Mais nous avons des infrastructures parfaites, un marché du travail efficace, l’innovation, la stabilité politique, tous ces facteurs qui font que la Suisse a dernièrement été classée huit années de suite comme pays le plus compétitif du monde par le Forum économique mondial».

Au travail!

«Ce vote net et sans appel force la droite comme la gauche à travailler pour préparer la suite, avertit ‘Le Temps’. A droite, tout d’abord, il faudra revoir les arguments pour vendre de tels projets à la population. Les éléments de langage choisis se sont révélés maladroits. Les incantations ne suffisent pas quand les votants veulent savoir qui seront les gagnants et les perdants d’une telle réforme».

«Reste qu’après l’immense cafouillage sur la libre circulation des personnes, la Suisse entre dans une nouvelle zone de totale incertitude au sujet d’un autre dossier stratégique pour son économie. Les entreprises qui ne savent pas qui elles peuvent engager ne savent désormais plus combien d’impôts elles paieront: pour un pays longtemps si fier d’être un havre de stabilité, il y a comme qui dirait un problème au paradis», ajoute le quotidien romand.

D’autant que, comme le note l’ ‘Aargauer Zeitung’, «à Bruxelles, on est déçu du résultat de cette votation. Cela s’est dit hier déjà en coulisses, même si la réaction officielle de la Commission européenne ne sera connue qu’aujourd’hui. Avec ce verdict, il est à nouveau vraisemblable que la Suisse se retrouve sur la liste noire européenne de paradis fiscaux, qui doit sortir à la fin de l’année. Mais l’UE espère que la Suisse pourra encore présenter un nouveau projet dans les temps».

Widmer-Schlumpf vs. Maurer

Les commentateurs s’en prennent aussi volontiers au ministre des Finances UDC Ueli Maurer, qui n’a pas su vendre cette réforme. «Après le non à l’avion de combat Gripen, il enregistre sa deuxième hyper défaite. C’est aussi celle de l’UDC, autoproclamée dépositaire unique de la volonté du peuple. Elle enregistre un double revers sur des sujets qui font partie de son ADN: l’entreprenariat et la nationalité», note ‘La Tribune de Genève’.

Et si Maurer a perdu, c’est aussi l’occasion de rappeler l’intervention semble-t-il décisive en fin de campagne d’Eveline Widmer-Schlumpf, autrefois transfuge de l’UDC, ancienne ministre des Finances et mère de la première mouture de la RIE III, qui ne comprenait ni intérêts notionnels ni patent boxes, ni autres artifices techniques si décriés.

«Quelle revanche!, écrit ‘La Liberté’ de Fribourg. Poussée vers la sortie par la montée de l’UDC, l’ancienne conseillère fédérale a gagné hier par K.-O. le match qui l’opposait à Ueli Maurer. Ce non cinglant doit en effet beaucoup à sa descente dans l’arène. Elle a soudain instillé le doute dans l’esprit des votants. La crainte de pertes fiscales pour les communes et de coupes dans les prestations publiques ont fait le reste».

Admiratif envers l’élue de son canton, le quotidien grison ‘Südostschweiz’ rappelle qu’Eveline Widmer-Schlumpf «n’était pas et n’est toujours pas une populiste malhonnête, mais bien une politicienne piquante, qui agit au grand jour. Comme conseillère fédérale, puis comme ancienne conseillère fédérale, elle ne brille pas par son charisme, mais pas ses actions, sincères et vertueuses».

«Ce n’étaient que quelques phrases dans le Blick, mais elles ont suffi à transmettre à la Suisse son intelligence, sa patience et sa crédibilité. C’est le chef d’œuvre d’Eveline Widmer-Schlumpf».

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