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Scepticisme et critiques après la victoire de Poutine

Près du Kremlin, entre 8000 et 10'000 jeunes pro-Poutine se sont rassemblés lundi pour fêter la victoire du président. Keystone

Le parti Russie unie du président Vladimir Poutine a remporté les législatives russes. Sa victoire écrasante suscite la suspicion et les critiques de l'opposition russe.

Les observateurs internationaux ont également dénoncé le résultat du scrutin. Le Kremlin a «quasiment élu le Parlement lui-même», a déclaré Göran Lennmarker, chef de la mission d’observation de l’OSCE.

Après un dépouillement quasi définitif des bulletins glissés dans les urnes lors des législatives de dimanche, le parti Russie unie de Vladimir Poutine a obtenu 64,1% des suffrages, a annoncé lundi le président de la Commission électorale centrale.

Le parti du président Poutine est par conséquent assuré d’avoir la majorité des deux tiers à la future Douma avec 315 sièges sur 450. Selon une répartition provisoire donnée lundi par l’agence Itar-Tass, cela lui permettra de modifier la Constitution russe.

Le Parti communiste arrive deuxième avec 11,6% des voix, suivi des ultranationalistes proches du Kremlin (LDPR) de Vladimir Jirinovski avec 8,2% et de Russie juste (gauche pro-Kremlin) avec 7,8 %.

Les deux partis de l’opposition réformatrice et libérale, Iabloko de Grigori Iavlinski, et SPS (Union des forces de droite) de Nikita Belykh, n’obtiennent respectivement que 1,6% et 1% des voix. Ils n’auront pas de députés, faute d’avoir franchi le seuil minimum requis pour être élu, relevé à 7%.

L’OSCE critique

En l’absence de la principale mission d’observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’opposition et l’ONG russe Golos ont dénoncé de nombreux bourrages d’urnes, entraves à leur travail et abus dans l’utilisation des urnes mobiles. Moins de 80 observateurs occidentaux ont suivi ces élections, qui s’étalaient sur onze fuseaux horaires.

Après le scrutin, l’OSCE a critiqué la trop forte influence du Kremlin sur la campagne électorale. «Ces élections n’ont pas répondu à nombre d’engagements et de critères que nous avons à l’OSCE et au Conseil de l’Europe», a déclaré Göran Lennmarker, président de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, lors d’une conférence de presse à Moscou.

Sur le plan interne, les communistes russes ont annoncé qu’ils allaient contester les résultats de ces législatives devant la Cour suprême. Quant à la coalition L’Autre Russie de Garry Kasparov, elle a annoncé de nouvelles manifestations. L’ancien champion du monde d’échecs a quant à lui déclaré que ces élections avaient été les «plus sales» de l’histoire de la Russie.

Au niveau international, l’Union européenne (UE) a évoqué des violations des droits d’expression et de réunion. Aux Etats-Unis, la Maison Blanche, qui avait critiqué pendant la campagne le sort réservé par le pouvoir à l’opposition, a enjoint les autorités russes d’enquêter sur ces accusations.

«Une défaite pour la démocratie»

Député socialiste au Parlement helvétique, le Zurichois Andreas Gross était sur place. Il a observé le scrutin à Ekaterinenbourg, en Sibérie, pour le Conseil de l’Europe. A swissinfo, il a confié que si «tout était correct, techniquement parlant le jour de l’élection», ce jour ne représentait «que 20% du processus électoral.»

«Pour un résultat légitime, il faut pouvoir constater que les 80% de ce processus étaient équilibrés et pluralistes. Ce qui n’a pas été possible puisque les observateurs n’ont pas pu faire leur travail pendant la campagne. Le résultat n’est pas surprenant, et c’est une grande défaite pour la démocratie», a poursuivi Andreas Gross.

Une défaite d’autant plus grave que «3 des 4 partis candidats (…) sont des œuvres artificiellement créées par les spin doctors du Kremlin. Ces partis, à part les communistes, forment 85% du parlement. Pour un pays en transition du totalitarisme vers la démocratie, c’est une vraie catastrophe.»

Dans ce contexte, le socialiste suisse estime que les tensions Europe-Russie vont augmenter. «Avec une telle majorité, on peut changer la Constitution comme on veut, on peut même revenir à un 3e mandat présidentiel, tout est possible et l’impossible est aussi possible et cela va être très, très dangereux.»

La presse très sceptique

Du côté des médias, la tendance est également au scepticisme et à la critique. En Russie, la presse a largement mis en doute le scrutin. «Gazeta» a ainsi évoqué un «jour du chuchotement».

A l’étranger, la presse européenne se montre également très dubitative. Dès dimanche soir, la presse allemande, dans ses éditions en ligne, faisait part de ses craintes quant à l’avenir de la Russie. «Poutine a créé pendant ses 8 années au pouvoir un système politique qui a autant à voir avec une démocratie que le ‘système pluripartite’ de la RDA» écrit notamment Die Welt Online.

En Suisse, le quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung (NZZ) parle de «chèque en blanc pour Poutine» et relève que la «nervosité» dont le Kremlin a fait preuve au cours de cette campagne électorale constitue peut-être un signe que «le scénario pour la présidentielle n’est pas encore clair à l’interne.»

Agendée le 2 mars prochain, celle-ci ne fera que confirmer l’empire de Vladimir Poutine et de son parti, car, comme le fait remarquer le journal zurichois Tages Anzeiger, «Poutine n’a pas de crainte à avoir, il n’y aura pas de Révolution orange comparable à celle qui était survenu en Ukraine», ceci même si un fauteuil acquis «par le biais de moyens non-démocratiques n’est pas aussi stable que peut le laisser croire cette victoire électorale.»

En Suisse romande enfin, Le Temps titre lui sur «Les élections russes les moins démocratiques de tous les temps», reprenant les propos du chef du parti communiste russe, Guennadi Ziouganov.

swissinfo et les agences

La Suisse a pris connaissance avec inquiétude des constatations formulées à propos des législatives russes par les délégations d’observation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Conseil de l’Europe.

Bien que ce scrutin ait été selon eux bien organisé, les observateurs internationaux ont estimé qu’il ne remplissait pas les exigences d’une consultation démocratique.

«Le mauvais usage des ressources administratives, consacrées à soutenir le parti du pouvoir Russie unie, la mise sous tutelle des formations d’opposition ainsi que le parti pris des médias en faveur du gouvernement» ont également été critiqués, a relevé mardi Lars Knuchel, porte-parole du ministère suisse des affaires étrangères (DFAE).

Les élections législatives en Russie ont abouti à des résultats dignes de la Russie soviétique. Dans certaines régions du pays, le parti Russie unie a réalisé un score de plus de 90% des voix.

Pour sa part, Vladimir Poutine a estimé lundi que la victoire de son parti lors des législatives de dimanche constituait un vote de confiance des Russes envers lui.

Démentant toute tricherie, Vladimir Poutine a affirmé que le scrutin montre que «les Russes ne permettront jamais que la nation prenne une voie destructrice comme cela s’est produit dans certaines autres nations de l’ex-espace soviétique. C’est un bon signe d’une stabilité politique accrue.»

La Russie est aujourd’hui le troisième producteur et le deuxième exportateur mondial de pétrole. Les trois quarts de ce trafic se négocient à Genève et dans la région lémanique, via des sociétés de «trading», qui achètent, organisent le transport et revendent le brut ou les produits raffinés.

Si l’arc lémanique est devenu ce centre mondial du commerce du pétrole (et d’autres matières premières), devançant nettement Londres, c’est grâce à la discrétion, aux compétences, à la qualité de vie et à la fiscalité attractive qu’offrent la région.

Malgré cela, la Russie ne fournit directement à la Suisse qu’une part infime de son pétrole, qui vient surtout d’Allemagne pour les produits raffinés, de Libye et du Nigéria pour le brut.

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