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Le Cambodge pleure son père fondateur

Au Palais royal, à l’occasion du dîner offert par le roi Sihanouk au président français le 11 février 1993. De gauche à droite, la reine Monique, François Mitterrand et le roi Sihanouk. Frédéric Burnand

Le royaume khmer attend la dépouille de Norodom Sihanouk, mort lundi à Pékin, pour lui rendre un premier hommage, avant des funérailles nationales prévue dans 3 mois. Retour sur le parcours exceptionnel du père de l’indépendance du Cambodge.

Un destin hors du commun que celui de Norodom Sihanouk, seul monarque au monde à avoir abdiqué en faveur de son père, ce afin de pouvoir se lancer sans entraves dans la politique.  A Paris, le théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine en avait superbement dressé le portrait à travers L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge.

Cette épopée shakespearienne de 8 heures, écrite par Hélène Cixous, révèle tous les antagonismes de ce prince à la voix haut perché, aussi chanteur et acteur d’un kitsch inégalé : impulsif, capricieux, romantique, dont l’orgueil aveugle entrainera la perte de son pays. Monarque volatile certes, mais aimant sincèrement son peuple et doté d’un sens politique aigu.

Prince des contradictions

Il a 18 ans lorsqu’il est installé sur le trône en 1941 par le gouvernement de Vichy qui voit en ce coureur de jupons une marionnette manipulable à souhait. Mais le jeune play-boy ne tarde pas à se révéler un redoutable politicien. Alors que la guerre coloniale française déchire les entrailles du Vietnam, Sihanouk obtient en 1953 l’indépendance du Cambodge, sous protectorat, sans qu’une goutte de sang ne soit versée. Deux ans plus tard, débarrassé de son statut de roi, il fonde le Sangkum Reaniyum, mouvement d’inspiration socialiste. 

Prince des contradictions, il régnera pendant 15 ans en endossant les habits ancestraux du roi-dieu, adulé par son peuple (des paysans pour plus de 80%), mais de plus en plus critiqué par les intellectuels aussi bien de gauche que de droite. Liquidations et emprisonnements seront le lot de ces opposants politiques envers lesquels il ne se montre guère compatissant.

Fidèle à la tradition de ses aïeux, il rend lui-même justice au cours d’audiences populaires, durant lesquelles les citoyens peuvent exposer leurs litiges d’ordre personnel ou avec l’administration. Chaque année, il préside dans un faste royal la cérémonie du sillon sacré où il conduit deux bœufs pour invoquer les divinités afin que les récoltes soient abondantes.

Avec le temps, le séducteur, amateur de caviar et de champagne,  marié à six reprises et père de 14 enfants, se stabilise auprès de Monique, un mannequin, d’origine italo- vietnamienne. Il  réalisera multiples films et chansons à l’eau de rose, se mettant en scène avec Monique dans des paysages idylliques du Cambodge.

La Suisse de l’Asie

Les années 1960 seront aussi celles des réalisations d’urbanisme grandioses, des constructions d’hôpitaux, d’écoles, et des campagnes massives d’alphabétisation. Une politique qui témoigne d’une sincère volonté de développer le pays. Mais plus que tout, le prince veut faire du Cambodge la « Suisse de l’Asie ».

Doté d’un sens de l’humour et de l’ironie certains, il répond en 1964 dans une interview accordée au journaliste suisse Jean Dumur: « Certains observateurs disent que notre neutralité penche un peu à gauche », soutenant  que le socialisme khmer (tel qu’il l’entend, ndlr) n’est  pas marxiste, mais national et inspiré par la doctrine du bouddha. Et d’ajouter qu’il n’y a « aucun motif de craindre la Chine … qui a promis fermement d’intervenir à nos côtés en cas d’invasion d’un pays voisin ou des USA. »

Ami des Chinois, il l’est aussi des Français. Il a surtout une admiration sans mesure pour le général de Gaulle qu’il accueille avec faste en 1966 à Phnom Penh. Le prince khmer sera l’un des pères fondateurs de la Francophonie avec Bourguiba, Senghor, Diori et du Mouvement des non-alignés avec Nasser, Nehru, Tito, Sukarno.

Alliance avec le diable

Mais le « prince Sihanouk » va entamer un dangereux jeu d’équilibriste défendant bec et ongle une neutralité sur un territoire convoité aussi bien par les Américains que par les puissances communistes. Marquant son hostilité envers la Thaïlande et le Vietnam du Sud, il n’hésite pas à fustiger la politique de Washington lors d’interminables discours à la radio.

Tandis qu’il autorise – avait-il vraiment le choix ?- un passage dans son pays pour les troupes nord vietnamiennes, pro communistes. S’ensuit les bombardements des B52 sur le Cambodge, puis le coup d’état pro américain de 1970. Humilié, il s’allie avec le diable – les Khmers rouges, une expression de son cru. Cette complicité lui vaudra une étiquette de complice de ce régime qui a fait près de 2 millions de morts entre 1975 et 1979.

Le reporteur et écrivain suisse Bertil Galland, grand connaisseur de l’Asie, a rencontré à multiples reprises Sihanouk. « Il m’avait reçu en 1972 à Pékin, raconte-t-il. Il était entouré par les dignitaires khmers rouges. Au moment de mon départ, il m’a raccompagné à ma voiture et il m’a fait comprendre qu’il était coincé, car il ne lui était plus possible de rester neutre. Il acceptait donc d’être instrumentalisé par les Khmers rouges. Mais personne à ce moment-là ne pouvait imaginer qu’ils allaient pratiquer une telle politique. » Retenu en otage durant le régime de Pol Pot, Sihanouk allait perdre 25 membres de sa famille proche.

Après plusieurs années d’activisme international, il revient au pays en héros, fort d’avoir obtenu la signature des accords de paix de Paris en 1991. Et en 2004, Norodom Sihanouk abdique une dernière fois, en faveur de son fils Sihamoni, invoquant son âge et des raisons de santé.

Le cinéaste Sihanouk rêvait d’être couronné à Cannes. Mais c’est dans l’Histoire du XXe siècle que le monarque khmer prend désormais toute sa place.

31 octobre 1922: naissance à Phnom Penh.

25 avril 1941: le prince est couronné roi par la France, puissance coloniale.

9 novembre 1953: il obtient l’indépendance du Cambodge.

3 avril 1960: il est élu chef de l’Etat, mais laisse le trône royal vacant, préférant le titre de «prince».

18 mars 1970: renversé par un putsch pro-américain du général Lon Nol, il se réfugie en Chine.

9 septembre 1975: les Khmers rouges le font revenir comme chef d’Etat. Sept mois plus tard, il est forcé à la démission, placé en résidence surveillée.

6 janvier 1979: il quitte le Cambodge avant l’entrée des troupes vietnamiennes à Phnom Penh. Début d’une guerre civile.

14 novembre 1991: retour triomphal au Cambodge en tant que chef de l’Etat.

24 septembre 1993: il remonte sur le trône comme monarque constitutionnel qui «règne mais ne gouverne pas».

7 octobre 2004: il abdique, pour raisons de santé, en faveur de son fils, Norodom Sihamoni.

Source : AFP

Berne reconnaît le 3 septembre 1957 l’indépendance du royaume du Cambodge, sous protectorat français de 1863 à 1953, et sa neutralité le 12 avril 1969.

Suite au coup d’Etat en 1970 contre Norodom Sihanouk et à la prise du pouvoir par le régime totalitaire des Khmers rouges en 1975, le gouvernement suisse ne rompt pas les relations diplomatiques avec le Cambodge, conformément à sa pratique constante de reconnaître les Etats et non pas les gouvernements.

En 1979, le Vietnam chasse les Khmers rouges du pouvoir en envahissant le Cambodge. Berne décide de ne pas reconnaitre le régime mis en place par Hanoï.

Le ministère suisse des affaires étrangères limite son activité à quelques contacts informels avec des représentants de la coalition hostile au Vietnam, dont les Khmers rouges.

Des secours alimentaires urgents sont envoyés par la Suisse au Cambodge des Khmers rouges en 1978. 

L’Entraide protestante dès 1980, la Croix-Rouge suisse dès 1986, puis le ministère suisse des affaires étrangères travaillent dans ce pays exsangue.

En 1996, le président de la

Confédération Jean-Pascal Delamuraz et Norodom Sihanouk inaugurent à Phnom Penh le 2ème hôpital pour enfants créé par le pédiatre zurichois Beat Richner.

Un programme suisse de promotion économique pour le Cambodge est lancé en 2003 par Joseph Deiss, alors ministre des affaires étrangères.

Source : swissinso.ch et Dictionnaire historique de la Suisse

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