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«C’est incroyable comme des ennemis deviennent amis»

Ces enfants philippins participent à un atelier vivant de promotion de la paix. Keystone

Pour tenter de résoudre un conflit, il faut souvent se rendre dans les zones les plus dangereuses de la planète et discuter face-à-face avec les combattants, y compris des criminels de guerre. David Gorman, 44 ans, raconte à swissinfo.ch les défis quotidiens d’un médiateur de paix.

Libéria, Indonésie, Philippines, Bosnie, Ouganda, Israël, Palestine… Pour l’Américain David Gorman, collaborateur du Centre pour le dialogue humanitaire de Genève, les zones de guerre sont comme un aimant. Il répond à nos questions depuis Chypre, où il est établi.

swissinfo.ch: Quelles sont les qualités d’un médiateur ?

David Gorman: Je ne pense pas qu’il y ait des compétences indispensables. Mais si je devais en citer trois, je dirais la capacité d’écoute, la passion pour son métier et un bon sens de l’humour.

swissinfo.ch: Le sens de de l’humour ?

D.G.: Durant une négociation, il est utile de créer un climat détendu. Les parties se sentent plus à leur aise, aussi avec le médiateur, et le processus peut avancer sans accrocs excessifs. Evidemment, j’ai mes «trucs» et secrets du métier, que je ne vais pas révéler.

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swissinfo.ch: A quels types de difficultés est-on confronté sur le terrain?

D.G.: En travaillant pour une organisation non gouvernementale, je ne peux pas compter sur beaucoup  de ressources humaines. Tu te retrouves un peu seul au milieu de l’arène. On passe beaucoup de temps, parfois des années, sur une médiation. Tu dois être souvent sur place. Tu es donc éloigné de ta famille… Ce n’est pas toujours facile.

Durant la négociation, l’une des craintes est de perdre le contrôle de la situation. Tu as peur de ne pas parvenir à un accord ou que les pourparlers soient interrompus. Quand tu constates que les discussions vont dans la mauvaise direction, tu te demandes: «Comment vais-je me sortir de là?».

swissinfo.ch: C’est déjà arrivé ?

D.G.: Il y a quelques mois, durant les négociations de paix entre le Front de libération national Moro [MNLF, un mouvement luttant pour l’indépendance du sud des Philippines, à majorité musulmane] et le gouvernement philippin, on m’avait demandé de trouver rapidement un terrain d’entente sur un aspect précis.

Je me souviens m’être retrouvé assis à une table, seul, alors que les autres étaient sortis pour le repas. Je n’avais pas de réponse, je ne savais pas comment obtenir un compromis. Je ressentais un poids énorme sur les épaules: tous comptaient sur moi pour trouver une solution, mais je n’avais aucune idée.

L’Américain David Gorman, né en 1969, a obtenu un master en politique sociale dans les pays en voie de développement à la London School of Economics, ainsi qu’un master en relations internationales à l’Université de Floride.

Il a entamé sa carrière de médiateur de paix en 1993 au Moyen-Orient. Il a travaillé pour des organisations à but non lucratif dans plusieurs régions en conflit (Israël/Palestine, Libéria, Bosnie, Ouganda, Indonésie et Philippines).

Depuis 2000, il collabore avec le Centre pour le dialogue humanitaire à Genève. Il y occupe le poste de directeur régional pour la zone Eurasie. Cette ONG est un des acteurs principaux dans le domaine de la médiation des conflits.

Le travail sur le terrain de David Gorman et d’autres médiateurs de paix est au centre du documentaire «Miles & War» d’Anne Thoma (Production T&C Film à Zurich, en collaboration avec la Télévision suisse, 2012).

swissinfo.ch: Comment vous en êtes-vous sorti ?

D.G.: A la fin, on trouve toujours une idée pour relancer le processus. On ouvre une brèche et le reste vient tout seul. Nous avons trouvé un accord.

swissinfo.ch: Comment peut-on rester neutre lorsqu’en face de soi, on a des gens accusés de violations des droits de l’homme, viols et crimes de guerre?

D.G.: Je ne reste pas neutre. Je parle avec tout le monde, y compris les criminels de guerre. C’est mon métier. Je ne parle pas publiquement de ces crimes, mais j’en discute directement avec les parties. Je condamne ces actions et leur dis qu’elles devront en rendre compte. Aujourd’hui, les belligérants sont tenus à montrer qu’ils font quelque chose. Pour nous, il est ainsi plus «facile» d’affronter la question.

swissinfo.ch: Avez-vous déjà eu peur pour votre vie?

D.G.: Jamais durant les négociations en présence des deux parties. Je me souviens toutefois que nous avons finis sous le feu durant une rencontre bilatérale avec le MNLF dans la province de Sulu, sur l’île de Mindanao, où nous discutions les termes d’un cessez-le-feu.

Les attaques venaient du ciel et de terre. Je ne sais pas si ma vie a été en danger: ma seule préoccupation était de me mettre à l’abri. Quand le MNLF a répondu aux tirs, on a craint de se retrouver au milieu d’une bataille. Par chance, le commandant a ensuite ordonné à ses troupes de cesser le feu.

swissinfo.ch: Votre mission finit-elle au moment de la signature d’un accord de paix?

D.G.: Le processus se termine rarement avec  la signature d’un accord. Et même avec un accord, le travail n’est pas forcément terminé: il n’est pas dit qu’il sera suivi d’une paix durable. Il peut arriver que certaines causes du conflit ne soient pas pleinement affrontées dans l’accord. En outre, dans les nombreux conflits qui mêlent divers groupes armés, pas tous ne participent au processus de paix.

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Les conflits oubliés

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swissinfo.ch: Vous êtes médiateur depuis 20 ans. Comment votre mode de travailler a-t-il évolué?

D.G: J’ai maintenant commencé à travailler davantage en dehors de la «salle principale», c’est-à-dire l’endroit où les négociateurs sont assis face-à-face. Je crois qu’on obtient davantage en discutant en privé et discrètement avec les parties, à l’abri du public.

swissinfo.ch: La médiation est-elle plus difficile aujourd’hui?

D.G.: Je ne sais pas si c’est plus facile ou plus difficile. Ce qui est certain, c’est que c’est différent. On se confronte à un nombre plus important d’acteurs, armés et non armés. Tout le processus de médiation est devenu davantage public en raison des demandes de transparence et du recours aux médias sociaux. Les parties ne parlent plus seulement entre elles, mais aussi vers l’extérieur.

swissinfo.ch: Quelle est la puissance de «l’arme» du dialogue dans un conflit?

D.G.: Très forte. C’est incroyable comme les ennemis peuvent devenir des amis. C’est beaucoup plus facile que ce que l’on pourrait s’imaginer. A de nombreuses occasions, j’ai constaté à quel point deux négociateurs se sont rapprochés, étant confrontés aux mêmes pressions, aux mêmes obligations. Ils passent beaucoup de temps ensemble. D’ailleurs, j’ai moi-même noué des amitiés.

L’accord de Mindanao [portant sur la création d’une nouvelle entité autonome] est l’un des meilleurs exemples de la force du dialogue. Mais je pense que notre contribution la plus significative a concerné le conflit d’Aceh, en Indonésie. Pour la première fois, nous avons fait se rencontrer les parties au conflit et avons jeté les bases pour un futur accord.

swissinfo.ch: Vous ne vous êtes jamais dit: «Ici, la médiation est inutile»?

D.G.: Dans le cas de la LRA (Armée de résistance du Seigneur) en Ouganda. Ses activités criminelles ont exclu la possibilité d’un accord. Le cas de la LRA est significatif des défis d’aujourd’hui. Souvent, on a affaire à des interlocuteurs qui ont des côtés criminels et dont l’idéologie est pour le moins discutable. Par le passé, ils présentaient des arguments valables et étaient  motivés par des idéologies précises ou des raisons politiques. Par  la suite pourtant, ils refusent de poser leurs armes, même si certaines questions ont été affrontées. Il y a une dérive vers des activités exclusivement criminelles. Parfois, on peut négocier avec un criminel, mais pas dans le cas de la LRA.

swissinfo.ch: Le dialogue ne peut donc pas résoudre tous les conflits…

D.G.: Sûrement pas. Je crois qu’aujourd’hui, la majeure partie des conflits puisse être réglée au travers de la bonne gouvernance, la justice, les réformes démocratiques et le droit des minorités.

(Traduction de l’italien: Federico Bragagnini)

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