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Trop de champagne pour les danseuses de cabaret

Les danseuses de cabaret ne connaissent souvent pas leurs droits. Keystone

Depuis le 1er janvier, un nouveau contrat règle les conditions de travail des danseuses de cabaret.

Le réseau d’aide et d’information ProCoRe dénonce cependant les abus dont ces femmes sont victimes et réclame, «enfin», de vrais contrôles.

Marianne Schertenleib l’admet: négocier un contrat de travail pour les danseuses de cabaret, c’est un peu vouloir mettre de l’ordre dans un domaine ou, par essence, «tout est irrégulier».

C’est pourtant ce que la coordinatrice du FIZ (Centre d’information pour les femmes d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est) a fait, avec les imprésarios et les représentants des cabarets et dancings, sous l’égide du Secrétariat d’Etat à l’économie.

«Il faut pouvoir garder le contact avec ces femmes, elles seraient sinon encore plus laissées à elles-mêmes», justifie la Zurichoise.

Résultat: depuis le 1er janvier, les danseuses doivent travailler 23 «jours» au lieu de 26, alors que la loi sur le travail en prescrit 21. «C’était un compromis, a expliqué Marianne Schertenleib mardi devant la presse à Zurich, pour que le salaire ne soit pas diminué.»

Visite médicale



Les danseuses ont aussi droit à une visite médicale préventive payée par l’employeur, des compensations pour travail de nuit et, selon les cantons, un revenu minimum garanti. Leur accord écrit est en outre requis pour l’utilisation de leur image et de leur nom à des fins publicitaires.

Voilà pour la théorie. En réalité, le hiatus semble presque surréaliste entre une fiche de paye comportant primes d’assurance maladie et AVS d’une part, et commissions cachées promises par bouteille de champagne interposée d’autre part.

Ignorance du contenu des contrats



«De nombreuses danseuses ne savent même pas que la loi leur accorde certaines protections», ont dénoncé mardi les représentantes du réseau ProCoRe (Prostitution Collectif Réflexion) qui réunit vingt associations de soutien.

Marie-Jo Glardon, coordinatrice de l’association Aspasie à Genève, évoque ainsi le «double discours» des tenanciers de cabaret, qui nient par exemple que les danseuses doivent boire du champagne – contrainte explicitement interdite – entre deux numéros de danse.

«Il est très rare que nous tombions sur des preuves écrites, à moins que certains patrons ne soient assez naïfs pour réclamer leur dû devant les prud’hommes. Ce qui est déjà arrivé!»

Records de consommation de champagne



Mais la bouteille de champagne, vendue 500 francs, est utilisée comme monnaie pour l’achat de faveurs sexuelles. «D’après les danseuses, c’est en Suisse qu’elles doivent boire le plus», explique Marie-Jo Glardon.

Récemment, ajoute la coordinatrice d’Aspasie, une jeune femme de 21 ans est tombée dans un coma éthylique après avoir bu plusieurs litres de champagne. «Cela s’est passé dans le Jura mais cela aurait pu se passer n’importe où», dit-elle.

La consommation forcée de champagne n’est que l’un des nombreux abus décrits par les représentantes des associations d’aide.

Surprenantes punitions



«Outre le contrat de travail, qui leur fait croire qu’elles vont gagner plusieurs milliers de francs par mois, les danseuses se voient obligées de signer des contrats additionnels», a indiqué Marianne Schertenleib.

Les clauses contenues dans ces contrats sont parfois très surprenantes: interdiction de dormir ailleurs que dans la chambre louée, ou d’emporter son téléphone portable sur son lieu de travail.

Les amendes atteignent souvent plusieurs centaines de francs. «Ces femmes doivent être à disposition de leur patron 24 heures sur 24, dénonce Marie-Jo Glardon.»

Mais les danseuses ne se plaignent pas toutes: par ignorance ou peur des représailles, elles ne se lancent pas dans des démarches dont le succès est de toute façon aléatoire, faute de preuves.

En outre, le mythe de la danseuse gagnant très vite beaucoup d’argent est tenace. «Certaines disent qu’elles ne doivent pas se prostituer et qu’elles obtiennent tout ce qu’elles veulent. Peut-être, mais ce n’est pas la majorité», dit Marie-Jo Glardon.

De vrais contrôles réclamés



ProCoRe demande de meilleurs contrôles des conditions de travail et une stricte application des clauses salariales.

«Le canton de Vaud a introduit le 1er janvier un salaire minimal garanti de 2200 francs. Il sera intéressant de voir si les patrons l’appliquent», lance Marianne Noetzli, de l’association Tandem à Lausanne.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

Plus de 1200 danseuses de cabaret en provenance de pays hors UE et hors
AELE (Association européenne de libre-échange) sont enregistrées en
Suisse avec un permis L, mais elles sont au moins 4000 au total.
D’autres danseuses de cabaret sont au bénéfice de permis B.
Créé en 1975, le permis L leur autorise un séjour de huit mois. Les danseuses doivent changer d’emploi chaque mois.

– 68 plaintes visaient des «amendes» infligées aux danseuses pour des motifs injustifiés (par exemple, à cause d’un en-cas pris au vestiaire, à cause de clés perdues, ou encore de nuit passée ailleurs que dans la chambre louée à l’employeur).

– ProCoRe a aussi enregistré (entre autres) 46 plaintes pour violence physique ou psychique, 48 plaintes pour prostitution forcée et 20 plaintes pour consommation forcée d’alcool.

– Seuls les cantons de Thurgovie, St-Gall et Zoug ne connaissent pas le permis L. Argovie l’avait supprimé et l’a réintroduit après avoir constaté une augmentation des emplois clandestins.

– Avec la révision de la loi sur le travail, les partenaires (cabarets, imprésarios et représentants des danseuses) ont aussi dû réviser le contrat de travail pour les danseuses de cabaret, sous l’égide du Secrétariat à l’économie.

– Cette révision est entrée en vigueur (sauf dans quelques cantons) le 1er janvier dernier. Elle prévoit notamment 23 «jours» de travail au lieu de 26 (et au lieu de 21 dans la loi sur le travail) sans perte de salaire et une compensation pour travail de nuit.

– ProCoRe dénonce cependant les abus: loyers trop élevés, non-remboursement des prestations d’assurance maladie, instauration de systèmes punitifs, consommation de champagne, etc.

– ProCoRe demande de meilleurs contrôles des conditions de travail et le respect strict des contrats.

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