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Les députés divisés sur la réforme de l’armée suisse

Depuis la chute du Mur de Berlin, les effectifs de l'armée suisse n'ont cessé de fondre. Keystone

La réforme de l’armée suisse a du plomb dans l’aile. La Chambre basse du Parlement n’a pas réussi à s’entendre sur un projet du gouvernement qui vise une armée plus petite mais avec un budget renforcé.

Lors du vote final au Parlement, la gauche et la droite conservatrice ont coulé une réforme de l’armée qui ne correspondait pas à leurs conceptions. Mais les raisons du refus sont diamétralement opposées. Les socialistes et les Verts voulaient une armée plus petite et moins chère. L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) défendaient en revanche l’idée de contingents et de budgets plus élevés.

100’000 hommes au lieu  de 200’000 actuellement et un budget annuel de 5 milliards de francs contre 4,7 aujourd’hui: ce sont les principaux points de la réforme de l’armée qui avait été acceptée par le Conseil des Etats (Chambre haute) il y a quelques mois.

Au Conseil national (Chambre basse), les socialistes et les Verts se sont engagés sans succès pour une armée plus petite. Ils militaient pour un dégraissage qui aurait conduit à une armée de 80’000 hommes et dotée d’un budget annuel de 4,4 milliards.

L’UDC souhaitait de son côté 140’000 hommes et un budget d’environ 5,4 milliards. Lors du vote sur ce point, la majorité des députés ont accepté, comme leurs collègues sénateurs, la version à 100’000 hommes et 5 milliards.

La presse en parle

Beaucoup de titres de la presse du jour utilisent des métaphores pour parler du refus de la réforme.

«Réforme de l’armée: touché, coulé», titrent dans leur éditorial commun L’Express, L’Impartial, la Liberté et le Journal du Jura. «Une alliance contre nature fusille la réforme militaire», écrivent 24 heures et la Tribune de Genève. Le quotidien populaire Le Matin titre même: «Armée: le National flingue la réforme».

Sur le fond, l’alliance contre nature entre la gauche et la droite conservatrice n’échappe pas aux commentateurs. La Berner Zeitung parle même à ce propos d’un «pacte diabolique».

Mais bon nombre de chroniqueurs estiment que le gouvernement, et plus spécialement le ministre de la Défense Ueli Maurer ont aussi une grande part de responsabilité.

«Après l’échec du Gripen, le refus de la réforme de l’armée confirme la crise politique profonde sur la conception et le financement de l’armée», commente Le Temps pour qui le vote de jeudi «signe aussi un nouvel échec pour le ministre de la Défense».

Le Tages-Anzeiger s’en prend aussi à Ueli Maurer «qui risque de se retrouver les mains vides, comme pour le Gripen». La Basler Zeitung estime que le projet du gouvernement «ne tient pas assez compte de la dégradation de la situation sur le front de la sécurité». 

Alliance contre-nature

Mais lors du vote final de jeudi, portant sur l’ensemble du projet, une alliance entre la gauche et la droite conservatrice a fait capoter la réforme sur un score de 86 voix contre 79 et 21 abstentions.

Le dossier doit donc maintenant repasser au Conseil des Etats avant de revenir au Conseil national. Si ce dernier campe sur ses positions, la réforme passera définitivement à la trappe.

L’objectif de la réforme présentée par le gouvernement est de diminuer les effectifs tout en augmentant le budget. Il en résulterait une armée moderne, mieux formée et pouvant être engagée plus rapidement.

Sept heures de débat

Après les réformes qui ont suivi la chute du Mur de Berlin et qui accordaient de moins en moins d’importance au concept de mobilisation rapide, le gouvernement voulait à nouveau élever le niveau de disponibilité. Concrètement, à l’avenir, 35’000 hommes devraient pouvoir être prêts en l’espace de dix jours, un point qui à lui seul rend l’armée plus onéreuse.

Comme lors de chacune des discussions sur l’armée qui ont eu lieu ces deux dernières décennies, le débatLien externe de sept heures qui a agité le Conseil national a vu trois camps s’opposer.

Pour la gauche, la réforme actuelle n’est pas assez fondamentale. Les partis situés au centre/centre-droit de l’échiquier politique se montrent prêts au compromis et fidèles à la ligne du gouvernement. Enfin, la droite conservatrice ne veut pas entendre parler de diminutions d’effectifs.

Oui aux drones israéliens

Les députés ont accepté l’achat de six drones de reconnaissance israéliens dans le cadre du Programme d’armement 2015.

Cet achat de 250 millions de francs, qui englobe aussi l’équipement au sol, un simulateur et de la logistique, a été approuvé par 124 voix contre 56.

La gauche a tenté de s’y opposer, mais en vain. Elle dénonçait notamment le fait que ces drones sont utilisés par l’armée israélienne dans une situation de guerre.

D’une valeur totale de 542 millions, le Programme d’armement 2015 comprend notamment aussi l’achat de simulateurs de tir pour le fusil d’assaut (21 millions) et de véhicules légers tout-terrain (271 millions).

Le dossier doit encore passer devant la Chambre haute. 

Quelle armée pour quelles menaces?

«La vision de ceux qui rêvent d’une paix éternelle s’est évaporée dans les airs», a déclaré le député Adrian Amstutz au nom de l’UDC, en rappelant le conflit en Ukraine, les attaques terroristes de Paris en janvier, les immenses flux de réfugiés, le Printemps arabe avorté ou encore les actions de l’Etat islamiste.

La situation internationale s’est, selon lui, fortement détériorée, et cela pratiquement du jour au lendemain, raison pour laquelle la Suisse a besoin d’une armée pouvant être mobilisée très rapidement. «Il faut se réveiller. Le Parlement ne doit pas poursuivre sur la fausse voie du démantèlement et ne pas attendre de voir des décapitations en Suisse», a lancé Adrian Amstutz.

«Aidez-nous à avoir une armée qui puisse à nouveau fonctionner», a renchéri son camarade de parti Roland Borer.

Pour les Verts en revanche, la réforme ne va pas assez loin. L’armée reste «trop grosse et trop chère» et il n’y a pas «de débats sérieux sur les dangers», a souligné la députée Aline Trede, qui a rappelé au passage qu’il y a quatre ans encore, le gouvernement voulait faire passer l’armée à 80’000 hommes et un budget de 4 milliard.

La réforme ne répond par ailleurs pas aux nouvelles menaces de notre époque: cyberguerre, catastrophes naturelles résultant du changement climatique, flux de réfugiés. «Cela reste une armée pour une guerre qui n’aura jamais lieu», a ironisé le député Vert Christian Van Singer.

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(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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