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Une juste place pour les ministres suisses

Pour Iwan Rickenbacher, les membres du Conseil fédéral doivent sortir de l'arène des débats politiques s'ils veulent garder leur crédibilité. Keystone

La décision du gouvernement de ne participer aux émissions de débat politique qu'en occupant une place à part est juste et nécessaire, selon le politologue Iwan Rickenbacher. Les ministres doivent selon lui sortir de l'arène pour garder leur crédibilité. Interview.

Mercredi, le Conseil fédéral a adopté un nouveau règlement pour la participation de ses membres aux émissions ou manifestations de débat politique. Désormais, les ministres devront pouvoir prendre place à l’écart des autres intervenants.

Le même jour, la télévision alémanique SF a annoncé qu’Eveline Widmer-Schlumpf, ministre de la justice, prendrait part à l’émission «Arena» de ce vendredi en compagnie de Christoph Blocher, l’ancien conseiller fédéral, qui a expressément demandé à participer. Mais, conformément à la décision du Conseil fédéral, elle aura une place à part.

swissinfo: En siégeant à l’écart des autres débatteurs, les conseillers fédéraux ne prendront-ils pas congé d’un certain modèle suisse qui veut que les magistrats soient proches de la population et se mêlent au débat?

Iwan Rickenbacher: Non je ne crois pas. Il faut replacer la décision dans le contexte de l’initiative muselière sur laquelle nous votons le 1er juin. Le Conseil fédéral veut éviter de devenir partie d’une campagne de votation. Or l’émission alémanique «Arena» est une partie de la campagne. Mais le fait que Christoph Blocher ait demandé à participer à l’émission sur les naturalisations, à laquelle était déjà conviée Eveline Widmer-Schlumpf, a manifestement accéléré la décision de mercredi. Le Conseil fédéral a voulu éviter une confrontation directe entre le Zurichois et la nouvelle conseillère fédérale.

swissinfo: Cette décision s’inscrit donc dans une logique?

I.R.: Elle était dans l’air. Le porte-parole du gouvernement Oswald Sigg avait déjà dit qu’il y avait eu des exagérations et qu’il fallait quelque peu revenir en arrière. Ces dernières années, les conseillers fédéraux sont devenus les acteurs principaux des votations et même des élections. Cela s’est fait au détriment de la réputation de l’institution, car, en se mêlant à la bagarre entre partis, le Conseil fédéral a perdu de sa crédibilité. C’est du reste ce que montrent les baromètres de crédibilité de Claude Longchamp: le Conseil fédéral est le plus grand perdant.

swissinfo: Vous étiez secrétaire général du PDC de 1980 à 1992. Comment réagissaient, alors, les conseillers fédéraux?

I.R.: Le conseiller fédéral Flavio Cotti par exemple n’a jamais voulu participer à «Arena», sauf lors de son bilan de président, à Nouvel-An. Il disait que cela ne convenait pas à un conseiller fédéral. D’autres ministres ont, ponctuellement, refusé de participer. En ce qui concerne les élections fédérales, «mes» deux conseillers fédéraux me disaient «nous ne donnons plus d’interviews jusqu’aux élections du Parlement», dès les premiers mois de l’année électorale.

swissinfo: En ce qui concerne l’initiative muselière soumise au vote le 1er juin, la décision de mercredi changera-t-elle quelque-chose?

I.R.: Pour cette échéance, elle n’aura aucune influence. En revanche, elle en aura pour l’avenir. Mais il faudra encore une deuxième étape: le gouvernement devra décider quel rôle il entend jouer dans les campagnes de votation. A mon avis, il doit intervenir de manière complémentaire à la confrontation politique directe sur les objets de vote, afin de respecter son rôle, qui est de représenter l’ensemble de la population.»

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich

Le Conseil fédéral exige que ses membres aient désormais une place à part lors de débats politiques. La nouvelle règle doit valoir à l’avenir pour tous les membres du gouvernement invités à des émissions ou à des manifestations telles qu’«Arena» à la télévision alémanique.

Ils n’y participeront qu’à cette condition, a indiqué mercredi le porte-parole du Conseil fédéral Oswald Sigg. La mise à disposition d’une place séparée doit souligner leur position en tant que conseillers fédéraux.

La télévision alémanique a dû reformer la disposition de son émission «Arena». De plus, l’UDC a expressément demandé à ce que l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher, évincé par le Parlement en décembre dernier, participe à l’émission sur les naturalisations en lieu et place du conseiller national Adrian Amstutz (UDC/BE).

Même indirecte, la confrontation publique entre Christoph Blocher et Eveline Widmer-Schlumpf sera une première.

Les conseillers fédéraux se sont, au fil des dernières années, de plus en plus investis dans les campagnes de votation et d’élections.

Ils interviennent dans des émissions, des articles et dans les assemblées générales de leur parti.

Leur place grandissante a surtout été remarquée en période pré-électorale car les conseillers fédéraux avaient jusqu’au début des années 90 pour habitude de se mettre en retrait durant les mois précédant le renouvellement du Parlement.

Soumise au vote le 1er juin, l’initiative populaire «Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale», dite initiative «muselière», demande que la Confédération restreigne ses activités d’information avant les votations.

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