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Vous avez dit ‘Suisse romande’?

Keystone

En 2009, le politologue François Cherix publiait «La question romande», un livre visant à «Inviter chacun à s'interroger sur sa relation avec la Suisse romande». L'écrivain Rolf Kesselring a donc joué le jeu... et s'est interrogé.

Je ne sais d’où me vient, à moi qui trimballe depuis ma naissance un patronyme plus que germanique, cet attachement, cette passion, pour cette terre confinée entre Jura et Alpes: la Romandie…

Sans doute un héritage génétique venu de ma mère, une Ramuz. Et puis, il y a la langue, ce français corrompu de régionalismes jusqu’à l’écœurement, sans parler des nombreux accents qui bousculent, tourmentent ou cisèlent cette langue dite «de Molière».

Voilà pourquoi l’ouvrage de François Cherix («La question romande» – Editions Favre) m’a obligé à me poser cette question: suis-je romand?

Vous avez dit Romand?

Bien que né en Valais, dans le coude du Rhône, j’ai vécu une grande partie de mon existence dans le Canton de Vaud. Est-ce le mimétisme inévitable du milieu, jamais je n’ai ressenti le besoin de me demander si j’étais romand ou même suisse. Il aura fallu l’ouvrage de François Cherix pour que je me pose la question.

Dès les premières lignes, je me suis senti pris par un flot de doutes de toutes sortes. Avais-je le droit de me considérer comme un véritable Romand? Qu’est-ce qui me permet de revendiquer ce statut? Les réponses me vinrent en forme d’excuse: «Oui, car je pense, je parle, je m’exprime, en français…»

Mais alors qu’est-ce que cette Romandie où l’on parle la langue française qui est ma seule justification à me prétendre d’ici? D’après François Cherix, et si l’on croit les conclusions de son enquête, le seul trait d’union entre les habitants des cantons francophones serait la langue qu’on y parle…

La Romandie n’existe pas!

Comme le certifie, par apparente provocation, l’auteur de ce «La Question romande», la Suisse romande n’existerait pas! À ce point de mon questionnement, il fallait que je m’en assure.

Manipulation musclée afin de compulser deux éditions du Larousse encyclopédique sans parler d’Universalis et, stupeur, quelques lignes pour apprendre que «romand ou romande» n’est qu’un adjectif possédant une autre forme «roman, e» et que celui-ci qualifie cette partie de la Suisse où l’on parle le français: la Suisse romande.

Quelques lignes succinctes pour apprendre tout de même que l’on existe un peu, nous autres. Entre soulagement et frustration, je tentai alors Internet. Surprises 2’299’000 pages proposées en tapant le mot «Romandie».

Dare-dare et plein d’espoir, je me mis à éplucher les sites proposés. Tourisme, pêche, petites annonces (avec photos !) excursions, nouvelles, tour de, ski de fond et j’en passe, tous ces mots accolés aux termes «romandie». J’y ai même découvert un site qui s’intitulait : «Gayromandie»…

Quel idiome?

Le seul problème, à mon sens, c’est que j’ai le sentiment qu’on commence singulièrement à oublier le français. Déjà que nombre de mots issus des différents patois peuplaient ce soi-disant trait d’union qui nous faisait nous rassembler et, de nos jours, c’est l’anglais qui nous impérialise.

Je ne parle pas ici de la langue de Shakespeare pas plus que celle de Stuart Mill ou de Charles Morgan, mais de ce global english tout juste bon à commander à boire et à manger dans un fast food et à tenter de comprendre un interlocuteur à Wall Street.

Mais alors, me direz-vous que faut-il faire pour la Romandie existe réellement? Que pouvons-nous faire pour que nous nous sentions véritablement romands? Par où commencer le combat? Quoi faire pour être, se sentir, romands?…

Pas plus que je sois, comme beaucoup, persuadé de ma vérité, je n’ai aucune réponse en forme de recette pour réaliser cette espérance, j’ai cependant la conviction que ce sera par un retour à notre langue commune, le français, que cela pourrait se faire!

Aimer sa région, son pays, c’est aimer ses traditions et sa culture, et le fondement de cette culture, de ces traditions passent obligatoirement par l’idiome local habituel, la langue que parlait nos prédécesseurs.

En vérité, la question romande n’existe pas!

À bien y réfléchir, j’ai fini de lire l’ouvrage de François Cherix en me disant que cette enquête sur une Suisse romande qui serait entre attentisme et projets n’était pas, finalement, un coup d’épée dans l’eau. Certes cette enquête a le mérite de m’avoir obligé à y penser, à me demander, mais en fait, je me demande si ce n’est pas un écrit simplement anxiogène, ou alors un combat perdu d’avance parce qu’inexistant.

Soit le mal est fait et désormais nous serons de notre ville ou de notre village et nous parlerons tous un dialecte très privé, construit avec des vocables d’ici ou là. Soit la Suisse romande, qui n’était peut-être qu’un rêve culturel espéré par nos ancêtres, se diluera dans la lente agonie de notre langue commune.

À part quelques combattants qui, comme moi, tentent de défendre ce patrimoine en forme de trait d’union qui pouvait faire exister la Romandie, je crois que les populations de cet espace situé aux marches de la francophonie abandonneront peu à peu ce lien qui les rassemblait encore un peu.

Pour qu’un débat existe, il faut des débatteurs qui aient des arguments à faire valoir, il faut de la passion et de l’amour, au moins de la tendresse pour l’endroit où l’on vit… Or, je n’en ai malheureusement guère repéré entre le Léman et le Lac de Bienne, entre le Jura et les Alpes.

Rolf Kesselring, swissinfo.ch

«La Question romande – Enquête sur une Suisse romande entre attentisme et projets» de François Cherix, dans la collection «Débat public», aux Editions Favre (218 pages).

Le livre est le résultat d’une longue enquête de Cherix, mandaté par la Télévision suisse romande (TSR), pour analyser la Suisse romande, ses réalités, ses identités, ses interrogations, ses projets.

Préface de Gilles Marchand, directeur de la TSR.

Né en 1954, François Cherix est un spécialiste de la communication politique suisse.

Animateur de Paradoxes Communication, bureau de communication politique, il travaille notamment sur la question européenne, la réforme du modèle suisse, l’organisation de la Suisse romande, les liens entre médias et politique.

Il crée en 1993 «Renaissance Suisse Europe», association qui a rejoint le Nouveau Mouvement Européen Suisse (NOMES), dont il est l’actuel vice-président.

Il a également créé avec d’autres partisans des réformes le Conseil de Suisse Occidentale (CSO) en 2003 et le Centre pour la réforme des institutions suisses (CRIS) en 2005.

Quelques ouvrages récents:

Un désir de nouvelles républiques, Editions de l’Aire, 2007.

L’île de la Concorde, Editions de l’Aire, 2007.

Christoph Blocher ou le mépris des lois, préface d’Yvette Jaggi, Editions Favre, 2007.

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