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L’OMC met en garde contre le temps qui passe

Des agriculteurs ont manifesté mardi devant l'OMC à Genève. Keystone

Réunis à Genève cette semaine, les ministres du commerce de l'OMC sont apparus incapables de réduire le fossé qui sépare les nations développées et émergentes. Et ceci alors que le cycle de négociations de libéralisation des échanges de Doha arrive bientôt à terme.

Bien que n’étant pas formellement à l’ordre du jour, le cycle de Doha a été au premier plan des discussions de la réunion ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s’est tenue à Genève cette semaine. Les leaders du monde, incluant ceux du groupe-clé des 20 nations émergentes et développées, ont promis d’achever les tortueux pourparlers sur la libéralisation du commerce mondial en 2010, mais aucun accord n’a pour l’heure été trouvé.

Lors de l’ouverture de la réunion, le directeur général de l’OMC Pascal Lamy a averti les ministres et les hauts fonctionnaires des 153 Etats membres que l’échéance finale approchait à grands pas, même si, selon lui, 80% de l’accord a déjà été conclu et que les 20% restants sont subordonnés à la volonté politique des membres.

«Le moment de vérité, c’est-à-dire le moment où vous aurez à décider si la conclusion du cycle de Doha en 2010 peut être atteinte, approche à grande vitesse. Les leaders politiques sont pratiquement unanimes à affirmer qu’ils veulent atteindre cet objectif, mais le réaffirmer n’est pas suffisant», a déclaré Pascal Lamy.

Les Etats-Unis se disent prêts

Les pays émergents et développés apparaissent réticents à changer leur position sur le niveau des coupes à réaliser dans le domaine des subventions à l’agriculture et celui des taxes sur les produits manufacturés.

Le représentant du commerce américain Ron Kirk a affirmé que son pays était prêt à passer à l’étape finale des négociations. Un accord permettrait d’ouvrir de nouvelles perspectives de marché «significatives» pour les produits manufacturés et agricoles, l’objectif prioritaire des pays pauvres.

Ron Kirk a pressé les 153 membre de l’OMC, en particulier les économies émergentes comme le Brésil, l’Inde et la Chine, à endosser un costume de leader et de «sortir de leurs zones de confort». Mais beaucoup de pays estiment que ce sont les Etats-Unis qui traînent les pieds dans ces négociations.

Les agriculteurs suisses

Mardi, Doris Leuthard, ministre suisse de l’Economie (également en charge de l’agriculture) a dit aux journalistes que la Suisse ne peut plus faire de concessions supplémentaires sur le dossier agricole.

«J’ai fait de mon mieux. Je ne peux pas aller plus loin. En Suisse, nous aurons déjà à payer un prix élevé», a-t-elle indiqué. Selon le projet actuel, les agriculteurs suisses pourraient perdre 30% à 50% de leur revenu, a encore précisé la ministre.

Pour Doris Leuthard, l’avancement du cycle de Doha reste «lent et insuffisant». La partie suisse a du reste proposé de dresser un état des lieux le printemps prochain, histoire de voir si un accord est «faisable» en 2010.

Ambassadeur de Suisse à l’OMC, Luzius Wasescha sent une volonté politique de s’engager de toutes parts. «Mais les points de départ sont différents», déplore-t-il.

«J’ai l’impression que les Américains jugent avoir fait leur part après avoir annoncé des réductions drastiques de leurs pics tarifaires dans le domaine de l’accès aux marchés non-agricoles. Et qu’ils attendent que les autres fassent leur part.»

Sur fond de scepticisme

Du côté des observateurs, le scepticisme prévaut quant à une possible percée l’année qui vient.

«Le fait de ne pas avoir réussi à organiser une vraie grande réunion ministérielle à Genève est parlant», a indiqué à swissinfo.ch Joost Pauwelyn, de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève.

Expert en matière commerciale au Centre for economic policy research basé à Londres, Simon Evenett est plus catégorique. «Il n’y aucun espoir que cela arrive l’an prochain», a-t-il indiqué au quotidien The Guardian.

Aux dires d’Evenett, les négociations sont devenues «incroyablement complexes», tant le nombre de pays impliqués est important désormais.

Des doutes ont aussi été soulevés cette semaine sur la pertinence du cycle de Doha pour traiter des défis apparus depuis son lancement.

Estimant ses bénéfices potentiels à seulement 70 milliards de francs, l’International Food Policy Research Institute basé à Washington estime que le cycle de Doha n’aurait qu’un faible impact face aux problèmes économiques mondiaux actuels.

«Le commerce et l’économie mondiaux ont profondément changé depuis 2001», écrit-il dans une étude, notant que les tensions sur le marché des produits de base et les pressions environnementales ne faisaient pas partie de l’agenda initial de Doha.

Dix ans après Seattle

La conférence de cette semaine à Genève tombe dix ans après la «bataille de Seattle», où 100’000 manifestants avaient pris le contrôle de la rue, contribuant par-là à l’échec de la conférence de l’OMC de l’époque.

Samedi à Genève, la manifestation de 5000 anti-OMC a également tourné à la violence. Quelques centaines de participants ont brisé les vitrines de banques, magasins et hôtels et mis le feu à des voitures.

Malgré la proximité des images, l’approche de l’OMC dix ans plus tard est très différente, juge toutefois Joost Pauwelyn. Les ONG font aujourd’hui «partie du jeu» et poursuivent des stratégies «plus productives».

«Les protestataires ont fait leur éducation et influencent le système de l’intérieur», observe ce dernier.

Simon Bradley, Genève, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg et Pierre-François Besson)

La 7e conférence ministérielle de l’OMC avait lieu à Genève du 30 novembre au 2 décembre, avec la participation des délégués de plus de 100 pays.

La réunion visait à passer en revue le fonctionnement de l’organisation, avec pour thème général des discussions: «L’OMC, le système commercial multilatéral et l’environnement économique mondial actuel».

Bien qu’exclu de l’agenda, le cycle de Doha, qui se prolonge, a été l’un des sujets majeurs des débats.

Quelque 5000 personnes ont participé à une manifestation contre l’OMC à Genève le 28 novembre. Une manifestation qui a dégénéré lorsque 200 participants masqués ont provoqué des dégâts matériels dans la ville.

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