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Dans l’hôtellerie, la concurrence peut venir de l’Est

Zermatt est une destination convoitée pour les travailleurs étrangers. swiss-image.ch/Christof Sonderegger

L’hôtellerie et la restauration suisses vont-elles être bouleversées après l’élargissement, effectif depuis le 1er mai, de la libre circulation des personnes aux ressortissants de 8 nouveaux pays membres de l’UE comme les Polonais, les Tchèques, les Hongrois et les Lettons? Reportage.

Zermatt, avenue de la Gare: une enseigne de fast food, des boutiques d’horlogerie et de bijouterie, des magasins de sport, des échoppes de souvenirs, des restaurants du terroir. Taxis et camions électriques parcourent les rues presque sans bruit. Aucun moteur à combustion n’empeste l’air de la montagne.

Des Américains, des Allemands, des Chinois, des Indiens flânent dans la station. On rencontre aussi des sportifs, skis sur l’épaule, traînant les pieds dans leurs lourdes chaussures, après une journée à 1500 mètres au-dessus de la classieuse station.

Des groupes de jeunes et allègres Portugais parcourent également Zermatt en babillant. Comment peuvent-ils se payer des vacances dans un lieu aussi cher alors que leur pays est au bord de la faillite?

L’image est trompeuse car, en réalité, il s’agit des enfants des nombreux aides de cuisine, nettoyeurs et femmes de ménage portugais. En effet, beaucoup d’entre eux travaillent depuis des années à Zermatt, occupant pour la plupart des emplois non qualifiés. Ils ont généralement emmené leur famille avec eux.

Beaucoup d’étrangers

Durant la haute saison, plus de la moitié des personnes résidant à Zermatt ont un passeport étranger – sans compter les touristes.

80% des ces étrangers sont portugais, devant les Allemands. Cela va-t-il changer avec l’élargissement de la libre circulation des personnes à la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie et l’Estonie?

«Mes collègues allemandes travaillent surtout au service ou dans les cuisines des restaurants et des hôtels et elles sont au bénéfice d’une formation», constate la Suissesse Nathalie, 26 ans. Elle dirige le bar d’un hôtel connu.

Mais la plupart des autres étrangers occupent des postes dont les Suisses ne veulent plus. «Quels Suisses voudraient nettoyer des casseroles et des assiettes toute la journée ou alors passer dix heures à passer l’aspirateur et faire briller l’argenterie», demande Nathalie, pour qui la réponse est évidente: «Pour nos compatriotes, ce n’est tout simplement plus du tout imaginable».

Bas revenus

Les ressortissants de ces huit nouveaux pays ne pouvaient jusqu’ici travailler en Suisse que si l’employeur ne pouvait trouver aucune Suissesse ou Suisse pour occuper un poste. Cette limitation est tombée le 1er mai.

Mauro Moretto, responsable de l’hôtellerie et du tourisme au syndicat Unia, estime qu’il n’y a pas de grand danger sur le marché du travail de la branche: «Il faut être attentif au risque de dumping salarial et renforcer les contrôles. Mais la dernière libéralisation n’a pas bouleversé le marché». Il se réfère à l’année 2006, quand l’accord sur la libre circulation des personnes a été élargi aux dix pays ayant adhéré à l’Union européenne en 2004.

Nathalie constate que «les étrangers gagnent moins que les Suisses, mais ils gagnent plus que dans leur pays d’origine». Renate, une Allemande de 24 ans qui travaille dans le même hôtel que Nathalie comme cheffe de rang, témoigne: «J’ai été engagée tout à fait normalement, selon les règles de la convention collective. On peut effectivement dire que les Suisses gagnent davantage. Mais je suis d’avis qu’il faut négocier son contrat et ainsi avoir un sort satisfaisant».

Pression sur les Allemands?

«Nous nous attendons désormais à recevoir davantage d’offres de ressortissants d’Europe orientale, dit-on au Contrôle de étrangers de la commune de Zermatt. La plupart d’entre eux ont de bonnes connaissances de l’allemand. De ce fait, on s’attend à ce que le nombre d’Allemands et d’Autrichiens baisse.»

«Le danger existe déjà, admet Renate, mais je ne me fais pas beaucoup de souci. Nous gardons l’avantage d’une meilleure maîtrise de la langue. De plus, nous sommes des professionnels formés. Il faudra du temps pour que les gens de ces huit pays deviennent une véritable concurrence pour nous.»

L’Europe de l’Est dans les starting-blocks

Il existe déjà une certaine concurrence est-européenne, comme en témoigne Oksana, une Lituanienne de 26 ans. Avec son accent sympathique, elle prend commande des boissons et sert le petit-déjeuner.

Oksana a étudié le français et l’anglais. Elle parle aussi italien ainsi qu’un très bon allemand. Elle a attendu longtemps son permis de travail en Suisse. Cela ne lui a pas été facile de décrocher une place comme auxiliaire de service dans l’hôtel.

Oksana ne connaît aucun compatriote à Zermatt, mais elle est persuadée que beaucoup d’entre eux vont profiter de l’élargissement de la libre circulation des personnes pour venir tenter leur chance en Suisse car, selon elle, la situation économique dans son pays est absolument lamentable.

«Ça me plaît beaucoup d’être en Suisse et j’aimerais bien y rester, mais pas comme employée de service.» Son avenir, elle l’imagine dans un emploi où elle pourrait davantage faire valoir ses atouts linguistiques.

Salaires. En 2010, 38% des entreprises étrangères détachant des travailleurs en Suisse n’ont pas respecté les salaires minimaux fixés par les conventions collectives de travail. Dans les branches sans conventions, ce taux est de 12%. Le nombre d’infractions a augmenté par rapport à 2009.

Libre circulation. Cette hausse du nombre de cas constatés et sanctionnés montre que les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes sont efficaces, estime le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), dans un rapport présenté mardi. L’année passée, les commissions tripartites et paritaires ont contrôlé plus de 40’000 personnes soumises à l’obligation d’annonce.

Inquiets. L’Union syndicale suisse (USS) et Travail.Suisse tirent un bilan moins rose. L’USS juge que le rapport «donne une image inquiétante de la réalité », en particulier en Suisse alémanique. Vu les cas de sous-enchère salariale, elle ne comprend pas pourquoi aucun canton de Suisse alémanique n’a introduit à ce jour de salaires minimums sur son territoire.

Source : ATS

Sans compter les touristes, 7325 personnes vivaient dans le village de Zermatt le 11 février 2011, au cœur de la haute saison.

3721 d’entre elles étaient des Suisses et 3604 des étrangers, issus de 56 pays.

En fin de saison, durant la semaine après Pâques,

le nombre d’étrangers est tombé à 2794

car beaucoup d’hôtels et de restaurants ferment pendant quelques semaines à cette époque.

La libre circulation des personnes comprend le droit de venir en Suisse ou dans un autre pays de l’UE, de s’y installer, d’y chercher un travail, d’y exercer une activité dépendante ou indépendante et d’y demeurer lorsque cette activité prend fin.

Les personnes sans activité lucrative comme les rentiers et les étudiants ont également le droit d’immigrer, mais à condition qu’elles puissent justifier de moyens financiers suffisants et qu’elles aient une assurance maladie.

Dans l’application des dispositions sur la libre circulation des personnes, les discriminations basées sur l’appartenance nationale sont prohibées.

Les bénéficiaires de l’accord doivent bénéficier du même accès au marché de l’emploi et des mêmes conditions de travail que les nationaux. Ils ont le droit de se faire accompagner par leur famille.

Traduction-adaptation de l’allemand: Xavier Pellegrini

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